Projection du viaduc en soirée (image Port de Montréal),

UN VIADUC DE LUXE FACILITERA LA SORTIE DES CAMIONS DU PORT DE MONTRÉAL

Des volontés bien distinctes s’opposent depuis plusieurs années dans le secteur Assomption-Sud, au cœur de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Malgré la pandémie de Covid-19 et l’urgence climatique, il semble bien que la logistique de transport gagne des points sur les mouvements citoyens qui préféreraient moins de camions, et plus de verdure.

Récemment, trois développements majeurs dans ce secteur de MHM sont venus confirmer la tendance. Il s’agit de la présentation des plans avancés d’un viaduc qui enjambera la rue Notre-Dame et les voies ferrées du CN, un peu à l’est de la rue Viau, afin de faciliter la sortie des camions du Port de Montréal. Ensuite de la poursuite des travaux virtuels d’un comité de concertation pour faire de l’Écoparc industriel de la Grande Prairie un endroit relativement paysagé, où les entreprises côtoieraient « plus civilement » les proches résidents. Et finalement, des démêlés judiciaires de l’éléphant dans la pièce, à savoir le plus grand propriétaire privé du secteur, Ray-Mont Logistiques, qui souhaite y déménager son terminal montréalais de conteneurs, situé actuellement à Pointe-Saint-Charles.

Architectes et paysagistes à la rescousse du viaduc

Le Port de Montréal s’étend du centre-ouest, autour du Vieux-Port, jusqu’à Montréal-Est, avec une interruption dans Mercier-Est pour le parc de la Promenade Bellerive, long de 2 km, un rare endroit dans l’est où l’on peut vraiment se tremper les pieds dans le fleuve, ou même y pêcher, en toute légalité.

Malgré son emprise majeure, le Port de Montréal souhaite un bon voisinage avec les citoyens de grands quartiers qui sont coupés de tout accès au fleuve, et même de sa vue. Son administration a d’ailleurs investi considérablement en ce sens ces dernières années, ayant même aujourd’hui une employée dédiée spécifiquement aux relations avec les citoyens. Mais une certaine rivalité persiste entre le Port qui veut, non pas maintenir, mais accroître ses activités, et des résidents voisins qui réclament moins de camions, moins de bruit, plus de végétation et plus d’accès au fleuve.

Avec patience et diplomatie, il faut le dire, le Port de Montréal semble finalement faire accepter son futur viaduc pour camions, qui passera au-dessus de la rue Notre-Dame, juste à l’est de l’antique pont métallique du Canadien National. Et si le projet du REM de l’Est se concrétise comme prévu, ses trains passeraient au-dessus du pont du CN, puis du viaduc, soit une hauteur s’approchant d’un 5e étage.

Ce futur viaduc facilitera la sortie des camions du Port, pour les diriger plus vite vers l’autoroute 25, puis vers la Métropolitaine ou le Pont-tunnel, tout en évitant le plus possible la rue Notre-Dame souvent embouteillée. En somme, on souhaite transiter plus de marchandises, avec plus de camions, tout en offrant une fluidité intéressante aux clients du Port que sont les firmes de transport, comme leurs propres clients exportateurs ou importateurs, tout cela sans augmenter les GES (les gaz à effet de serre émis par les camions).

Dévoilé en janvier 2015, dans le cadre d’une stratégie d’accès amélioré au Port de Montréal, le projet de viaduc aérien avait aussitôt suscité la grogne de citoyens de Viauville qui craignaient la hausse du bruit près de chez eux, et près du foyer pour personnes âgées Grace Dart. Depuis six ans, en vain, ces riverains répètent qu’ils préfèreraient un viaduc plus loin, ou sous la rue Notre-Dame, ou toute autre solution.

Le Port de Montréal a donc tenu deux réunions d’information, pour apaiser l’opposition, la première en présentiel, peu avant la pandémie, le 5 décembre 2019, qui attira une quarantaine de citoyens plutôt inquiets.

À l’époque, les délégués du Port avaient expliqué pourquoi ils avaient retenu ce scénario, plutôt que d’autres plus à l’est qui auraient nécessité des expropriations coûteuses, des manœuvres difficiles aux camions ou des embranchements plus compliqués avec la rue Notre-Dame.

Quatorze mois plus tard, au début de février 2021, le Port de Montréal présentait sur son site Web des plans plus détaillés de son projet de viaduc, version améliorée, en vue d’une seconde rencontre citoyenne, virtuelle celle-là, le 24 février.

En peu de temps, le Port de Montréal a apporté plusieurs améliorations esthétiques à son projet, sans en modifier toutefois ni son emplacement, ni son usage. À l’aide d’études et d’experts, le Port explique que le viaduc aura un impact auditif négligeable par rapport à la rue Notre-Dame, plus proche des résidences et plus affairée.

C’est par son design et par son aménagement paysager que ce projet se distingue de l’ensemble des viaducs routiers qu’on voit généralement au Québec. Visiblement, le Port a mis les bouchées doubles pour calmer une opposition citoyenne tenace et bien organisée.

En complémentarité avec la firme d’ingénierie WSP, un bureau d’architectes locaux, Architecture 49, a ainsi œuvré à la matérialité du viaduc; aux couleurs; au voilage; à l’éclairage; aux approches végétalisées; à la gestion durable des eaux de ruissellement; à la plantation d’arbres; au volet artistique; et même… à une halte pour réparer les vélos!

Le Port projette de transformer une friche abandonnée en parc accueillant (image Port de Montréal).

Du béton rappelant les motifs de Guido Molinari

Ce « viaduc de luxe » rappellera notamment le passé industriel du secteur, tout en s’harmonisant à la friche existante. Un sentier sera aménagé pour piétons et cyclistes. Un voile métallique très particulier sera installé de chaque côté du viaduc pour rappeler l’ancienne Canadian Steel Foundries (1914-2004) tout près, démolie en 2009. Quant aux montées vers le viaduc, son béton sera décoré de formes inspirées de l’œuvre du peintre Guido Molinari (1933-2004) qui avait son studio dans le quartier Hochelaga, lequel studio est devenu un musée en son honneur.

Par rapport au projet de 2019, la nouvelle mouture du viaduc tourne plus étroitement vers l’est, ce qui l’éloigne un peu des plus proches résidents. Quant au bruit des camions, qui circulent essentiellement de 7h à 17h du lundi au vendredi, il sera un peu atténué par les voiles métalliques des deux côtés. Près de la moitié des camions sortant du Port quotidiennement, soit environ 1 450 sur 3 300, emprunteront ce viaduc.

Pour l’éloigner des plus proches résidents, le Port a modifié la sortie nord du viaduc. Le trajet illustré en vert est donc retenu (image Port de Montréal).

La présentation d’une heure sur Zoom fut suivie de 80 minutes de questions écrites ou orales des citoyens, apparemment peu impressionnés et sceptiques. Même si ce projet est planifié par des professionnels depuis presque 10 ans, des voisins ont proposé des solutions complètement différentes, parfois étranges, avouons-le, lesquelles n’ont pas eu l’air d’ébranler les représentants du Port de Montréal.

La réunion virtuelle du 24 février était informative, et non plus consultative. Le futur viaduc du Port de Montréal sera donc bientôt construit pour une mise en service fin 2022. Puisque le boulevard de l’Assomption ne sera pas prolongé dès l’an prochain, une route temporaire raccordera en attendant le fameux viaduc à la rue Dickson.

Les coûts de l’ensemble du projet sont estimés de 25 à 39 M $, à préciser lors de l’ingénierie détaillée. Quant à l’Évaluation des Effets Environnementaux (ÉEE) des experts retenus par l’administration portuaire, elle se résume ainsi : « pas d’impact important sur les milieux physique, biologique et humain ».

Bien que le Port de Montréal se targue d’adopter une vision très écologique, participant même au Partenariat climat Montréal, ses ambitions inquiètent toutefois des militants, puisqu’il entend augmenter son accès quotidien de 2 500 à 3 300 camions d’ici 2023, alors qu’il aura atteint sa pleine capacité. De plus, un nouveau terminal du Port de Montréal vient d’être autorisé à Contrecœur qui permettra la manutention annuelle de près de 600 000 grands conteneurs. Le Port de Québec, un rival, veut aussi s’agrandir.

Mais tout cela n’entraine-t-il pas nécessairement une hausse de la consommation, logiquement dommageable aux ressources naturelles et au climat? « Nous ne faisons que répondre à la demande de nos clients, se défend Daniel Dagenais, directeur des opérations du Port. La population augmente, les importations suivent tout simplement. »

Le viaduc de luxe aura 130 panneaux métalliques décoratifs de chaque côté, une idée d’Architecture 49 (image Port de Montréal).

Instance de consultation pour l’Écoparc industriel

Sous la gestion de l’ancien maire de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Réal Ménard, la Ville et le gouvernement du Québec souhaitaient vers 2015 développer une « Cité de la logistique », dans le quadrilatère approximatif des rues Hochelaga, Viau, Notre-Dame et de l’autoroute 25.

Peu après, la firme Ray-Mont Logistiques y a acheté un immense terrain pour y déménager son terminal de Pointe-Saint-Charles, soit le lot contaminé de la Canadian Steel Foundries. Cette logistique portuaire ne plaisait pas du tout à certains riverains, en particulier de Viauville, qui auraient préféré de l’industrie légère agrémentée d’espaces verts, ou idéalement un grand parc. Laurence Lavigne-Lalonde, élue de Projet Montréal, et le groupe Mobilisation 5 000, ont alors obtenu les 5 000 signatures nécessaires pour imposer la tenue d’une consultation publique officielle à ce sujet.

Entretemps, les élections municipales de novembre 2017 ont écarté le maire Ménard, au profit de Pierre Lessard-Blais de Projet Montréal qui devenait majoritaire (4 élus contre 1) dans l’arrondissement. Peu après, des travaux de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) ont porté non pas sur la Cité de la logistique, mise au rancart, mais sur un « Écoparc industriel de la Grande Prairie », le nouveau concept proposé par Projet Montréal. Cette Grande Prairie est le nom d’un ancien ruisseau qui passait par là, connu surtout sous le nom de ruisseau Molson.

Une instance de concertation a été lancée en novembre 2020 pour voir au développement harmonieux de l’Écoparc industriel de la Grande Prairie (carte de Provencher-Roy pour la Ville de Montréal).

L’OCPM a recommandé notamment la mise sur pied d’une instance de concertation entre les citoyens et les différents grands joueurs du territoire, incluant même la Base militaire Longue-Pointe. Cette instance a débuté ses travaux (forcément virtuels) à l’automne 2020. Elle a attiré une cinquantaine de participants à sa récente réunion du 11 mars, alors que deux professionnels de la firme de design Provencher-Roy, l’une des plus réputées au Québec, ont proposé un Plan directeur d’urbanisme respectant des normes modernes de développement durable, inspirées de modèles exemplaires établis ailleurs au monde.

L’instance de concertation, animée par l’organisme Mercier-Ouest en Santé, poursuivra bientôt ses réunions via un comité restreint d’une douzaine de personnes, voué au Plan directeur, dont des représentants municipaux et des experts choisis par la Ville. Réduits à trois représentants, les citoyens, aussi mobilisés soient-ils, devront visiblement modérer leurs attentes.

D’autres soucis pour Ray-Mont Logistiques

Face à l’opposition au grand terminal de Ray-Mont Logistiques, en particulier celle du groupe Facebook Mobilisation 5 000 (devenu Mobilisation 6 600 pour MHM), l’ancienne administration du maire Réal Ménard avait changé la réglementation, rendant quasi impossibles les opérations du futur terminal.

La compagnie a alors poursuivi la Ville, exigeant d’obtenir un permis d’exploitation en vertu du zonage et des règles en vigueur lors de l’achat du terrain et de la demande de permis initiale (en 2016). La Cour supérieure, puis la Cour d’appel du Québec, ont donné raison au requérant, en ordonnant à l’arrondissement de lui délivrer son permis. Et tôt après ce gain récent de janvier 2021, la firme Ray-Mont Logistiques a intenté une poursuite contre la Ville pour 372 M $, soit ses pertes encourues, selon elle, par le retard de cinq ans dû aux tentatives réglementaires de la Ville.

Bien que celle-ci soit sur le point d’émettre le permis à Ray-Mont Logistiques, la compagnie n’est pas au bout de ses peines puisque CDPQ-Infra vient de déposer une réserve foncière de deux ans sur un tiers de son nouveau terrain, pour y construire une ligne aérienne du REM de l’Est. La compagnie pourrait donc devoir aménager un terminal moins vaste, ou bien mettre sous le REM des installations peu élevées. Évidemment, CDPQ-Infra compense les expropriés pour la valeur du terrain requis, mais cela ne faisait certainement pas partie du plan d’affaires de l’entreprise.

Ray-Mont Logistiques se spécialise notamment dans le transport de produits céréaliers, provenant surtout du Manitoba et de la Saskatchewan, vers les quatre coins du monde. Les produits arrivent par train, sont ensachés, mis en conteneurs, puis repartent par navires. La firme a trois terminaux au Canada et deux aux États-Unis.


Pour en savoir plus sur le sujet :

Rencontre citoyenne du 24 février sur le futur viaduc du Port de Montréal :

https://www.youtube.com/watch?v=LsxmL8RwW5M

Lien routier autour du Terminal Viau, par le Port de Montréal :
https://www.port-montreal.com/fr/le-port-de-montreal/projets/lien-routier

Présentation de Concertation Assomption Sud-Longue-Pointe

https://www.realisonsmtl.ca/concertationaslp

Site de Ray-Mont Logistiques

https://www.ray-mont.com/fr/accueil/


Nos principaux textes dans ce dossier :

La Cité de la logistique transformée en Écoparc industriel (16 mars 2019)

https://estmediamontreal.com/cite-logistique-ecoparc-industriel/

Assomption Sud – Longue-Pointe : où en sommes-nous ? (15 janvier 2021)

https://estmediamontreal.com/assomption-sud-longue-pointe-cite-logistique-ecoparc-grande-prairie-2021/

Assomption-sud : vive réaction de l’ex-maire Réal Ménard (22 janvier 2021)

https://estmediamontreal.com/assomption-sud-vive-reaction-real-menard-mercier-hochelaga-maisonneuve/