Quel avenir pour l’incinérateur Dickson dans le secteur Assomption-Sud-Longue-Pointe? (photos du reportage : EMM).

ASSOMPTION SUD – LONGUE-POINTE : OÙ EN SOMMES-NOUS ?

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis le fameux projet de Cité de la logistique, présenté en 2015 par l’administration de l’ex-maire d’arrondissement Réal Ménard (Vision Montréal, Coalition Montréal). Une vision de développement et de requalification d’un territoire principalement industriel, mais aussi résidentiel, qui avait soulevé de nombreuses inquiétudes de la part des principaux organismes locaux et citoyens du secteur, délimité par l’avenue Souligny, les installations du Port de Montréal, la gare de triage Longue-Pointe et l’autoroute 25. Un combat qu’avait soutenu fortement Projet Montréal, qui a finalement pris les commandes de l’arrondissement en 2017.

Une nouvelle proposition avait ainsi été présentée par la Ville au début de 2019, renommant alors le territoire sous le vocable d’Écoparc industriel de la Grande-Prairie. Le projet, qui met beaucoup plus l’accent sur des préoccupations environnementales et de cohabitation que le précédent plan de développement, avait fait l’objet de consultations publiques la même année sous l’égide de l’OCPM, qui a déposé en bout de ligne un imposant rapport final en septembre 2019. C’est dans la foulée des recommandations de ce rapport que l’administration municipale de Mercier−Hochelaga-Maisonneuve a annoncé le 6 novembre dernier la mise sur pied de Concertation Assomption Sud–Longue-Pointe (ASLP), une nouvelle instance de concertation ayant pour mission d’orienter le développement de ce secteur en donnant une voix aux citoyen.nes et aux parties prenantes du territoire. Mais dans les faits, où en est-on avec les plans d’avenir de ce territoire très convoité, en ce début de 2021? EST MÉDIA Montréal s’est entretenu avec la conseillère municipale Laurence Lavigne Lalonde et le maire Pierre Lessard-Blais, question de faire le point, et de reculer quelque peu dans le temps.

De la cité à l’écoparc

Selon la conseillère du district Maisonneuve−Longue-Pointe, Laurence Lavigne Lalonde (Projet Montréal), il faut remonter à la campagne électorale municipale de 2013 pour expliquer tout le mouvement qui anime depuis le secteur Assomption-Sud−Longue-Pointe. « Il y avait eu à l’époque des entreprises qui avaient quitté le coin, c’était un peu vide, mais on savait aussi que les terrains industriels à Montréal se faisaient de plus en plus rares et que le territoire ferait probablement l’objet de spéculation dans un avenir rapproché. Comme il n’y avait pas de planification pour ce secteur très stratégique pour l’arrondissement, les deux élus de Projet Montréal (incluant moi-même), ont mis cela sur la table du Conseil de ville en disant qu’il faudrait bien que l’administration municipale réfléchisse au développement de ce quartier », explique-t-elle. Mais il ne s’agissait visiblement pas d’une priorité pour le maire en place, Réal Ménard, et les trois autres élus de l’arrondissement (dont deux de l’Équipe Denis Coderre pour Montréal), jusqu’au jour ou Ray-Mont Logistiques achète le plus grand terrain vacant du secteur, soit l’emplacement de l’ancienne Canadian Steel Foundries. C’est alors que des inquiétudes surgissent dans la population avoisinante concernant l’arrivée d’un grand projet privé d’entreposage, manutention et transport de produits en vrac, qui annonce particulièrement une augmentation du camionnage dans un secteur déjà saturé, soutiennent résidents et organismes de cette partie de MHM. La pression est alors forte sur Réal Ménard, qui finira par proposer une consultation publique sur l’avenir de l’Assomption-Sud−Longue-Pointe.

Le terrain de Ray-Mont Logistiques cause bien des mots de tête à l’administration municipale.

Il ressortira finalement des audiences et de ces discussions le projet de Cité de la logistique, proposant principalement de reconnaître que le secteur est propice au développement et à la concentration d’entreprises liées à cette activité économique. Constat logique compte tenu bien sûr de la situation géographique idéale de l’emplacement: soit à proximité des installations portuaires et entourée des réseaux ferroviaires et autoroutiers. Le plan prévoit également faire de ce secteur un pôle d’expertise majeur dans le Grand Montréal au niveau de la logistique avancée. Le hic, c’est que la proposition, très axée sur le développement industriel du quartier, ne répond pas aux préoccupations des résidents et organismes qui désirent avant tout une diminution des nuisances, et non une augmentation.

« Ça n’a pas calmé les inquiétudes des citoyens, bien au contraire, et la mobilisation a été beaucoup plus forte par la suite. Projet Montréal a appuyé cette mobilisation et y a participé activement afin que la Ville recule avec ce plan de Cité de la logistique. Ce que nous voulions, c’était un plan de développement qui attirerait des entreprises intéressantes, de la nouvelle économie, pas de l’industrie lourde, qui amènerait aussi des services, un développement qui viendrait s’inscrire dans un mode de vie à échelle humaine, car il y a des résidents dans cette zone mixte, il ne faut pas l’oublier », avance Laurence Lavigne Lalonde.

Il y a donc eu par la suite la création du mouvement Mobilisation 6600, regroupant principalement citoyens et organismes, qui avec un droit d’initiative, a forcé la Ville à tenir une consultation publique sur le développement projeté du secteur. Mais, des élections municipales arrivent et Projet Montréal prend la direction de l’arrondissement en 2017, avec en tête le nouveau maire Pierre Lessard-Blais. Laurence Lavigne Lalonde est aussi réélue dans le district. Le vent tourne complètement. La nouvelle équipe planche alors sur une toute nouvelle proposition : la création de l’Écoparc industriel de la Grande-Prairie, qui sera présentée à la population presque deux ans plus tard.

L’ancienne usine Mabe, au coin du boulevard de l’Assomption et Notre-Dame.

Selon la conseillère municipale, cette nouvelle vision de développement territorial changerait passablement les perspectives d’avenir pour ce secteur, atténuant au fil du temps les nuisances de l’industrie lourde traditionnelle, tout en accueillant plus d’entreprises manufacturières légères, de l’industrie du savoir ou des entreprises de services. Et cela dans un cadre beaucoup plus strict au niveau environnemental, prévoyant la création et la mise en valeur d’espaces verts.

C’est donc cette nouvelle mouture qui a été mise en jeu à l’OCPM en 2019, lors d’importantes audiences publiques où plus d’une vingtaine d’organisations et entreprises du secteur ont également présenté leur vision de l’Assomption-Sud−Longue-Pointe, et leurs projets, aux participants provenant de tout horizon, dont plus d’une centaine de citoyens des alentours. La présentation du projet, les documents de consultation publique ainsi que le rapport final de l’OCPM sont disponibles ici.

En lien avec l’une des recommandations de ce rapport, l’arrondissement a annoncé en octobre dernier la mise en place d’une instance de concertation avec le milieu et les parties prenantes interpelées par le projet de développement du secteur Assomption Sud–Longue-Pointe. C’est la Table de quartier Mercier-Ouest Quartier en santé (MOQS), qui agit à titre d’organisation responsable du Comité de milieu, qui a le mandat de mobiliser les citoyens et les partenaires dans le cadre de l’instance. Il s’agit en fait d’une table « consultative » qui devra en quelque sorte avoir un œil critique sur les prochains projets de développement dans ce secteur, en lien avec les orientations inscrites dans le plan directeur de l’Écoparc industriel de la Grande-Prairie. Toutefois, cette instance n’a pas de pouvoir décisionnel.

Voilà donc un bref résumé de la genèse moderne du dossier Assomption-Sud−Longue-Pointe.

Rue Hochelaga, au point de départ du boulevard de l’Assomption vers le nord.

Vision ou projet?

En date d’aujourd’hui, on parle plutôt d’une vision de développement ou de requalification du territoire, mais qui avec le temps pourrait bien devenir un véritable projet… particulièrement si les entreprises publiques et privées adhèrent et contribuent à cette vision plus axée sur la mixité et l’environnement. C’est qu’il y a somme toute beaucoup d’obstacles qui s’annoncent pour la Ville afin de transformer l’Assomption-Sud−Longue-Pointe en véritable « écoparc ». Et avouons que le secteur est actuellement loin d’être « la grande prairie » de jadis… « Nous avons encore du chemin à faire à l’arrondissement c’est vrai, nous avons à travailler sur le règlement d’urbanisme pour venir assoir la vision et s’assurer que nous ayons tous les outils urbanistiques pour faire respecter cette vision », affirme Laurence Lavigne Lalonde.

Le plus grand problème de l’administration municipale dans ce dossier, c’est qu’elle n’est pas propriétaire d’un nombre significatif de pieds carrés dans le secteur. Donc ça devient compliqué de projeter plus d’espaces verts ou encore d’obliger les propriétaires terriens à consacrer plus d’espace à l’aménagement d’îlots de verdure par exemple, ou encore d’octroyer une partie de leurs terrains pour fin de passages publics (le territoire est aux prises avec un grave problème de mobilité entre sous-secteurs). Le maire Pierre Lessard-Blais résume bien la situation : « Que la Ville ne soit pas propriétaire de la plupart des terrains est vraiment un élément crucial dans la compréhension de notre rôle. N’étant pas propriétaire, c’est une gymnastique incroyable que d’imposer notre vision. Ça peut se faire dans un cadre réglementaire mais on ne peut évidemment pas toujours tout faire et tout décider unilatéralement, ce qui serait de toute façon inimaginable dans un dossier comme l’Assomption-Sud−Longue-Pointe qui implique tant d’intervenants. Sans compter que ça peut amener son lot de contestations judiciaires, comme c’est le cas actuellement avec Ray-Mont Logistiques par exemple. »

Cela étant dit, la vision de l’arrondissement (appuyée bien sûr par la ville centre) semble déjà être partagée par de nombreux acteurs sur le terrain. L’entreprise française Décathlon, qui a choisi le secteur pour implanter son entrepôt desservant l’est canadien (dans une partie de l’ancienne usine Mabe), a accepté des aménagements sur son territoire recommandés par l’administration municipale. Plus récemment, UAP NAPA, qui reconstruit son siège social régional, a aussi acquiescé aux demandes de la Ville de notamment consacrer plus de pi2 au verdissement et d’aménager un lien de mobilité pour les piétons et cyclistes à proximité de leurs installations. Finalement, le ministère des Transports a reculé sur son projet de boucle autoroutière liant Souligny au boulevard de l’Assomption (du moins dans la forme présentée la plus récente) et qui aurait eu un impact néfaste sur le boisé Steinberg, le plus précieux espace vert actuellement dans ce secteur industriel. À la Ville, on s’attend aussi à l’exemplarité de la part des instances publiques qui ont d’importants projets de développement sur ce territoire, en particulier d’Hydro-Québec et de la STM. Il y a donc de l’espoir de voir véritablement se transformer le secteur, si la coopération va bon train. « La transformation de l’Assomption-Sud−Longue-Pointe va certainement se faire sur de nombreuses années. Il faudra profiter de chaque projet de transformation ou d’aménagement des entreprises, privées ou publiques, pour s’assurer que ça se fasse en cohérence avec la nouvelle vision territoriale. Cela impose de nouvelles réglementations, mais aussi un jeu de négociation avec les acteurs en place, dont certains sont là de longue date », soutient Laurence Lavigne Lalonde.

Partie du boisé Steinberg.

La Ville possède sur ce territoire un clos de voirie, le terrain de l’ancien incinérateur, ainsi que quelques petits parcs dans les zones résidentielles. Si la Ville désire augmenter les espaces verts et aménager des places publiques sur le site, un objectif majeur du nouveau plan, quelles sont les options et les ressources dont elle dispose? « On ne dévoile pas de liste officielle pour l’acquisition éventuelle de terrains, car on ne veut pas susciter de spéculation inutile, mais c’est sûr que nous sommes aux aguets des opportunités. Il y a différentes familles budgétaires qui peuvent contribuer à l’achat de terrains : sommes pour la décontamination, voies d’acquisition traditionnelles, budget d’acquisition pour fin d’espaces verts, droits de péremption, etc. Mais ça reste quand même des moyens limités car le prix des terrains en zone industrielle sur l’Île de Montréal est extrêmement élevé. Et il faut être conscient également que, pour le moment, les terrains à vendre sont rares dans le secteur », affirme le maire. Un discours qui semble donc écarter pour le moment l’option d’expropriation.

Ainsi, le commun des mortels voit depuis la dernière décennie très peu de changements perceptibles quant à « l’amélioration de la qualité de vie » des résidents et employés qui fréquentent le secteur. Et la mutation du type d’industries que l’on retrouve dans l’Assomption-Sud−Longue-Pointe se fait certes, mais très lentement. La clef, comme le répète l’administration municipale en place, semble effectivement et logiquement d’intervenir systématiquement dans chaque projet de transformation, petits, moyens et grands, dans cette zone. Avec le cumul d’interventions planifiées, on pourra alors espérer que le secteur s’aligne avec un développement plus harmonieux et souhaitable pour l’avenir non seulement de l’Assomption-Sud−Longue-Pointe, mais de tout l’est de Montréal.

Reste maintenant à s’assurer que les grands projets structurants qui s’annoncent et qui toucheront ce territoire stratégique, comme le REM, la refonte de Notre-Dame, le prolongement du boulevard de l’Assomption, et dans une autre mesure, les travaux de réfection du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, s’insèrent eux aussi dans cette vision commune. Et ça, c’est le très gros défi à relever dans les prochaines années.