SURPOPULATION DE CERFS DE VIRGINIE : ENVIRON 140 BÊTES SERONT ABATTUES DANS L’EST
Environ 140 cerfs de Virginie devront être abattus d’ici la fin de cette année dans l’est de Montréal. C’est ce qu’a décidé la Ville de Montréal après avoir étudié les recommandations d’un comité d’experts mandaté de trouver des solutions à la surpopulation de cette espèce sur son territoire.
Il s’agit de la méthode la plus humaine et efficace qu’a identifiée un groupe de scientifiques, vétérinaires et biologistes. Ceux-ci tirent la sonnette d’alarme en ce qui concerne la préservation des milieux naturels dans l’est. En effet, la présence de cerfs de Virginie, communément appelés chevreuils, en surabondance dans les parcs de la Pointe-aux-Prairies et du Bois-d’Anjou pourrait gravement nuire à la flore et à la faune dans ces secteurs.
« Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on est ici aujourd’hui. C’est une annonce qu’on aurait préféré ne pas avoir à faire, mais la surpopulation des cerfs de Virginie au Québec touche aussi Montréal et affecte l’est de Montréal, où le nombre d’individus est de 125 cerfs dans un environnement qui a la capacité d’en accueillir environ 25 », a affirmé mardi Laurence Lavigne Lalonde, responsable des grands parcs, du Mont-Royal et du parc Jean-Drapeau au sein du Comité exécutif de la Ville.
Plus précisément, selon un dénombrement aérien effectué cette année, on retrouve 140 cerfs dans les parcs de la Pointe-aux-Prairies et 25 au Bois-d’Anjou. Pour atteindre l’équilibre souhaité par les experts, il faudra réduire la population à environ entre 15 et 23 cerfs à la Pointe-aux-Prairies et entre 3 et 4 cerfs au Bois-d’Anjou. Ce sont donc, entre 138 et 147 chevreuils qui pourraient être tués, selon les estimations des experts. Toutefois, le nombre précis de bêtes qui seront abattues n’est pas encore déterminé, explique la Ville, qui souhaite attendre les prochaines étapes du processus de gestion avant de s’avancer.
Un appel d’offres pour engager une firme qui sera chargée de mandater des chasseurs professionnels pour abattre les chevreuils à l’arme à feu devrait prochainement être lancé. On estime que les bêtes seront abattues cet automne, mais la chasse pourrait s’étendre jusqu’à cet hiver si nécessaire. La viande des bêtes tuées sera revalorisée en étant offerte à des banques alimentaires locales.
Contrôle de la population
Ainsi, après plusieurs années d’études et beaucoup de questions restées en suspens, la Ville de Montréal se dit contrainte d’opter pour des solutions létales, se basant sur les recommandations des experts. La capture et la relocalisation des bêtes causeraient trop de stress chez les cerfs en question, une espèce qui supporte mal ce genre de méthode qui entraîne souvent un taux de mortalité excessif. La stérilisation a aussi été considérée par les experts, mais celle-ci est couteuse (entre 600 $ et 1000 $ par bête) et demande une logistique complexe. De plus, le risque de migration de chevreuils, non stérilisés, en dehors de l’île de Montréal pourrait ruiner les efforts mis en place.
Toutefois, la stérilisation des femelles, une fois la chasse des chevreuils en surpopulation complétée, est toujours envisagée. Il faudrait capturer et opérer chirurgicalement environ 90 % des femelles laissées en vie pour que le projet de contrôle de la population soit efficace, de l’avis des experts.
Parce qu’il est capable de se reproduire rapidement, environ un an après sa naissance, et qu’il est un animal opportuniste qui prospère dans les milieux transformés par les humains, le cerf de Virginie peut voir sa population croître de façon exponentielle dans les milieux urbains et périurbains. Dans le parc-nature de la Pointe-aux-Prairies, la population est passée de 41 à 140 bêtes entre 2014 et 2024. Et le nombre d’individus a explosé récemment, l’augmentation ayant été de 253 % dans les parcs de la Pointe-aux-Prairies et du Bois-d’Anjou depuis 2021. Il fallait donc agir rapidement, selon Mme Lavigne Lalonde.
Pourtant, la Ville avait déjà entre ses mains des recommandations de son comité d’experts formulées dans un rapport rédigé en 2021. Ce document, commandé auprès du Centre d’étude de la forêt, proposait alors que l’on abatte une cinquantaine de bêtes sur les 64 dénombrées lors d’un inventaire aérien effectué en mars 2021. « Le rapport de 2021 faisait des recommandations, mais c’était important pour nous de les analyser dans notre contexte pour amasser d’autres expertises autour de ce rapport-là. Il y avait dans les recommandations de ce rapport plusieurs mesures pour nous accompagner dans la régénérescence des espèces végétales. Donc, il y a quand même des choses qui ont été mises en place pour ça. On n’a pas pris le rapport et on ne l’a pas « tabletté », s’est défendue la responsable des grands parcs.
Ce n’est pas l’avis de l’Opposition officielle de la Ville, qui dénonce un laissez-faire de la part de l’administration Plante à cause de son attente à agir dans ce dossier. « Nous allons prendre le temps d’analyser les recommandations de ce nouveau rapport d’experts. Toutefois, nous déplorons que l’administration Plante ait attendu tout ce temps avant d’agir, alors qu’elle a en main les recommandations du groupe d’experts entourant la situation du cerf de Virginie dans l’est de Montréal depuis 2021. Pendant ce temps, les cerfs se sont multipliés et la situation s’est détériorée », a indiqué par communiqué Aref Salem, chef de l’Opposition officielle à l’Hôtel de Ville de Montréal.
Un dossier chaud pour Montréal?
Problème qui affecte de nombreuses villes en Amérique du Nord, la gestion de la population du cerf de Virginie a aussi récemment causé des remous ailleurs dans la grande région de Montréal.
À Longueuil, le dossier a été judiciarisé et des menaces à l’endroit des dirigeants ont complexifié l’affaire. En 2020, l’ex-mairesse de Longueuil, Sylvie Parent, indiquait que son administration souhaitait procéder à l’euthanasie des cerfs du parc Michel-Chartrand en utilisant la capture. Des citoyens avaient contesté cette décision, une pétition signée par plus de 40 000 personnes avait circulé et la mairesse avait même fait l’objet de menaces de mort. L’administration longueuilloise avait alors changé de cap et opté pour la relocalisation des bêtes. Puis, la successeure de la mairesse Parent, Catherine Fournier, avait choisi, au moment de son arrivée en poste en 2021, de procéder à la chasse contrôlée des cerfs. Des menaces ont aussi été faites à son endroit, la Sûreté du Québec avait alors enquêté.
La mesure choisie par l’instance municipale avait été portée jusqu’en Cour supérieure par les citoyens qui s’y opposaient, mais leur requête fut déboutée et le tribunal a confirmé que Longueuil pouvait procéder à l’abattage des cerfs. L’affaire a été menée en Cour d’appel pour faire annuler cette décision, qui fut temporairement suspendue en décembre 2022 par cette autre instance. La Cour d’appel a finalement refusé d’entendre la cause. En décembre 2023, la Ville de Longueuil a annoncé sa décision d’aller de l’avant avec la chasse des cerfs d’ici la fin de 2024.
Interrogée au sujet d’éventuels recours juridiques intentés par des citoyens montréalais contestant la décision d’abattre les cerfs et sur la possibilité de menaces portées à l’endroit des élus, Mme Lavigne Lalonde n’a pas voulu s’avancer sur ces « questions hypothétiques ». Cependant, elle a réitéré que le choix d’abattre les chevreuils est « la bonne solution ».
De nombreuses nuisances
La surpopulation de cerfs de Virginie cause de nombreux effets indésirables à Montréal, incluant une hausse marquée des accidents routiers. 86 collisions avec un animal au total sont survenues en 2022 et 2023.
Tel que mentionné plus haut, l’espèce entraîne aussi la dégradation importante de l’intégrité des écosystèmes, dont la disparition quasi totale du trille blanc et la prolifération d’espèces envahissantes, telles que le nerprun. De plus, il est impossible de régénérer le couvert forestier en raison du broutage systématique des jeunes arbres par les cerfs, ce qui menace l’équilibre écologique des parcs et l’accroissement de la déforestation.
Aussi, la rareté de la nourriture disponible pour les cerfs met en péril leur bien-être. Enfin, la surpopulation entraîne l’augmentation de la propagation des tiques à pattes noires, celles qui peuvent transmettre la maladie de Lyme.