AUCUNE SOLUTION EN VUE POUR GÉRER LES CERFS DANS L’EST

Près de deux ans après la formation d’un comité d’experts pour examiner la problématique, peu d’avancées ont été faites dans le dossier de la gestion de la population de cerfs de Virginie dans l’est de Montréal. La Ville serait encore en train de soupeser la question.

« En ce moment, on est vraiment encore en train de regarder c’est quoi, la meilleure solution possible. Autant comme responsable des grands parcs que mairesse de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles (RDP–PAT), je considère que le parc nature est un joyau. Il faut donc assurer la protection du plus grand espace vert de notre territoire », a indiqué à EST MÉDIA Caroline Bourgeois, mairesse de RDPPAT, vice-présidente du comité exécutif de Montréal et responsable du dossier des grands parcs à la Ville.

Cette dernière insiste sur le fait qu’il est impossible de « faire fi du contexte » délicat dans lequel s’inscrit ce dossier. « Je sais que des centaines de personnes manifestent leur attachement aux cerfs dans Pointe-aux-Trembles. On le voit lorsqu’elles publient des photos sur les réseaux sociaux, par exemple. Les citoyens en sont fiers », poursuit-elle.

En février 2023, EST MÉDIA Montréal rapportait que la Ville avait créé un comité technique et scientifique qui devait débuter prochainement ses travaux et présenter un plan d’action pour lutter contre la surpopulation de cerfs. Après que nous ayons envoyé des demandes d’explications à l’administration, celle-ci avait fait savoir que le Service des grands parcs avait mis en place ce comité au printemps 2022. La Ville avait alors refusé de nous accorder des entrevues additionnelles à ce sujet ou de révéler qui étaient les membres de son comité.

Depuis, les personnes en charge du dossier semblent tergiverser. Lors du conseil municipal du 22 janvier 2024, après avoir été questionnée à propos de la gestion des populations de cerfs dans l’est par une citoyenne, Mme Bourgeois a indiqué que la Ville travaille toujours sur son plan d’intervention. « La problématique de la surpopulation de cerfs de Virginie est prise très au sérieux par la Ville. La mise en œuvre du plan d’intervention qui avait été proposé est en cours d’évaluation par la Ville de Montréal. Mais pour l’instant, pour vous rassurer, il y a quand même des mesures de protection ponctuelles qui sont prises lorsqu’il y a de la nouvelle végétation, comme des clôtures pour protéger les plantations actuelles », avait alors répondu l’élue.

En entrevue récemment avec EST MÉDIA Montréal, la responsable des grands parcs a aussi affirmé suivre de près le dénouement du dossier des cerfs au parc Michel-Chartrand, à Longueuil. « On observe ce qui s’y passe, on travaille avec des experts et il y a des recommandations à venir. On est en train de regarder la meilleure solution possible, nous a confié Mme Bourgeois. C’est sûr qu’avec la judiciarisation du dossier à Longueuil, les recommandations du comité ne pouvaient pas faire fi de cette situation qui était devant les tribunaux. Maintenant, il y a eu un jugement, et Longueuil a maintenu une décision, ça les regarde. Nous, on va prendre une décision avec le contexte que j’ai énoncé. »

Le 20 janvier dernier, le Journal de Montréal rapportait que selon des données de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), une centaine de collisions entre des véhicules et des cerfs de Virginie avaient été répertoriées entre 2019 et 2022 à Montréal, dont plusieurs dans l’est, notamment à proximité du parc-nature du Bois-D’Anjou et du parc-nature de la Pointe-aux-Prairies.

De nouveaux experts appelés en renfort

L’an dernier, EST MÉDIA Montréal avait réussi à contacter un des experts siégeant sur le comité technique de la Ville. Jean-Pierre Tremblay, professeur titulaire au département de biologie de l’Université Laval, est aussi l’un des auteurs d’un rapport déposé en 2021. Ce document, commandé auprès du Centre d’étude de la forêt, recommandait que l’on abatte une cinquantaine de bêtes sur les 64 dénombrées lors d’un inventaire aérien effectué en mars 2021. Les cerfs étaient alors en surpopulation dans le parc-nature de la Pointe-aux-Prairies et ceux-ci pouvaient occasionner d’importants dommages sur la flore dans le secteur, de l’avis des experts. La Ville avait alors rejeté la solution de l’abattage des bêtes.

Jean-Pierre Tremblay, professeur titulaire au département de biologie de l’Université Laval (Courtoisie ULaval)

Contacté par EST MÉDIA Montréal, M. Tremblay, assure toujours siéger au comité d’experts. Selon ce dernier, le développement le plus significatif pour la Ville de Montréal est le dépôt d’une demande de subvention en partenariat avec le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) du Canada, via le programme de subvention Alliance. Ce partenariat permettrait de « générer les connaissances scientifiques nécessaires au développement d’une stratégie d’intervention intégrée, durable et socialement acceptable qui visent à la fois à protéger la biodiversité des parcs-nature périurbains tout en réduisant le risque de maladies transmises par les tiques dans un climat changeant », souligne le chercheur.

Le projet est mené par une équipe de chercheurs interdisciplinaires en partenariat avec des organisations et municipalités qui gèrent six parcs-nature périurbains des régions de Montréal, de la Montérégie et de l’Estrie. « Nous attendons une réponse du CRSNG à tout moment », ajoute M. Tremblay.

Dossier judiciarisé et menaces à Longueuil

Il n’y a pas qu’à Montréal que la gestion des populations de cerfs cause des maux de tête aux élus, qui marchent souvent sur des œufs lorsqu’on leur demande de se prononcer sur le sujet. Le dossier a aussi traîné en longueur à Longueuil, où la judiciarisation du dossier (mentionnée plus tôt) et des menaces à l’endroit des dirigeants ont complexifié l’affaire.

C’est tout d’abord en 2020 que l’ex-mairesse de Longueuil, Sylvie Parent, a indiqué que son administration souhaitait procéder à l’euthanasie des cerfs du parc Michel-Chartrand en utilisant la capture. Des citoyens avaient contesté cette décision, une pétition signée par plus de 40 000 personnes avait circulé, et la mairesse avait même fait l’objet de menaces de mort. L’administration longueuilloise avait alors changé de cap et opté pour la relocalisation des bêtes. Puis, la successeure de la mairesse Parent, Catherine Fournier, avait choisi, au moment de son arrivée en poste en 2021, de procéder à la chasse contrôlée des cerfs. Des menaces ont aussi été faites à son endroit, la Sûreté du Québec avait alors enquêté.

Cette mesure avait été portée jusqu’en Cour supérieure par les citoyens en opposition, mais leur requête fut déboutée et le tribunal a confirmé que Longueuil pouvait procéder à l’abattage des cerfs. Ne lâchant pas l’affaire, les personnes à l’origine du dossier sont ensuite passées en Cour d’appel pour faire annuler la décision, qui fut temporairement suspendue en décembre 2022 par cette instance. La Cour d’appel a finalement refusé d’entendre la cause. En décembre 2023, la Ville de Longueuil a annoncé sa décision d’aller de l’avant avec la chasse des cerfs d’ici la fin de 2024.