350e DE PAT : LE PASSÉ, LE PRÉSENT ET L’AVENIR D’UNE COMMUNAUTÉ
Tout au long de l’année 2024, les Pointeliers ont mis en lumière l’importance de revisiter leur histoire tout en la liant au présent et à l’avenir. En effet, ce 350ᵉ anniversaire ne se limite pas à un simple devoir de mémoire : Pointe-aux-Trembles (PAT) se distingue par son dynamisme face aux défis actuels.
Pour ce quartier, il était indispensable de dresser un portrait mettant en valeur les grandes étapes de son passé, les réalités de son présent et les aspirations pour son avenir.
De la Nouvelle-France au 20e siècle
Mais de quoi pouvaient bien vivre les habitants de PAT à l’époque? Comme bien des seigneuries de la Nouvelle-France, sa principale économie reposait sur l’agriculture. Selon Pierre Desjardins, président de l’Atelier d’histoire de la Pointe-aux-Trembles, on trouvait au bout de l’île « des terres très fertiles, vraiment exceptionnelles ».
Mais cette prédominance de l’industrie agricole laissera peu à peu sa place à d’autres secteurs d’activités au fil des siècles. L’arrivée du tramway en 1896 à PAT donne à son développement une dimension touristique. « Pour faire la promotion des tramways, on créait ce qu’on appelait des “trolley parks”. On invitait les gens du centre-ville à aller en tramway dans ces parcs-là. Notre parc s’appelait Bout-de-l’Île Park », explique M. Desjardins.
C’est d’ailleurs le long de ce chemin de fer que vont apparaître des institutions d’importance pour la communauté : la chapelle de la réparation, le chantier de tir de l’armée canadienne ou encore le cimetière Hawthorne Dale.
Dans cet élan touristique de l’époque, PAT attire de nouveaux propriétaires. « Les gens riches achetaient des maisons de campagne. Toute notre série de maisons victoriennes dans le village ont cette origine-là », précise l’historien.
Territoire stratégique
Dès le 17e siècle, PAT est reconnu pour sa position géo-stratégique sur le plan militaire et est même choisi comme lieu de défense. « Parce que quand vous êtes sur le quai de Saint-Jean-Baptiste, vous voyez l’île Sainte-Thérèse, mais vous la voyez des deux bords. Alors, s’il arrive des “envahisseurs”, vous les voyez venir », explique M. Desjardins.
Le secteur sera d’ailleurs le théâtre de la bataille de la Coulée Grou en 1690 au cours de laquelle les Iroquois attaqueront le village. Cet affrontement aura un impact sur l’architecture des lieux. « Après la bataille de la Coulée Grou, on va fortifier le village de PAT. Il gardera d’ailleurs ses fortifications de 1693 jusqu’à 1763. Quand les Britanniques s’empareront du Canada, ils vont exiger le démantèlement des fortifications du village », relate l’historien.
Des communautés religieuses historiques
Le rôle tenu par les communautés religieuses dans le développement de PAT s’avère primordial dans son histoire. M. Desjardins affirme même que « le 350e qu’on fête, c’est l’incorporation de la paroisse à Ville-Marie, parce qu’il n’y a pas de municipalité avant 1855 ».
Une communauté fondée par Marguerite Bourgeoys s’impose dès le premier siècle d’existence de la paroisse : la Congrégation de Notre-Dame. « En 1690, elles [les sœurs de la Congrégation] arrivent à PAT et elles vont être ici pendant 300 ans. Le curé François Séguenot va les faire venir pour l’instruction des femmes et des filles. »
Des siècles plus tard, en 1951, le cardinal Paul-Émile Léger lui-même inaugure une autre institution majeure : le Foyer de Charité. « Ils vivaient vraiment de la charité. Ils n’acceptaient même pas l’aide sociale pour leurs locataires. Tous les gens qui travaillaient là n’avaient pas de salaire. Les services médicaux étaient fournis gratuitement par les médecins et les dentistes de PAT », rappelle M. Desjardins.
Pointe-aux-Trembles sous tutelle
Au 20e siècle, l’industrialisation tarde à venir. Comme l’explique le président de l’Atelier d’histoire de la Pointe-aux-Trembles, « il y a eu des tentatives vers 1910, 1915, mais ça n’a pas marché. La ville est tombée sous tutelle en 1924 pendant 30 ans. Donc, il n’y a pas eu de développement. Et en 1955, la tutelle est levée, et comme par hasard, en 1956, Petrofina (qui deviendra Suncor) arrive. »
Les temps modernes
Après avoir été mairesse de l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles (RDP–PAT) de 2010 à 2018, Chantal Rouleau est élue députée de la circonscription de PAT, tout en occupant la fonction de ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire. L’élue se rappelle le moment où PAT s’est incorporé à la Ville de Montréal, en 1982. « Ça venait soulager PAT de dettes importantes. C’était un moment où il fallait refaire les infrastructures à un coût élevé. L’incorporation à la Ville venait alléger notre fardeau fiscal. »
En 2002, l’arrondissement Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles–Montréal-Est est créé. Toutefois, dès 2006, Montréal-Est préfèrera se défusionner. Mais la cohabitation de RDP et PAT au sein du même arrondissement ne se fera pas sans heurts. « Cette jonction-là n’a pas été simple. On a souvent parlé de deux solitudes. Il fallait créer une unité entre ces deux grands quartiers avec des réalités différentes », se rappelle Mme Rouleau.
Chantal Rouleau (courtoisie)
À son arrivée au pouvoir en 2010, la nouvelle mairesse a dû composer avec une onde de choc qui a marqué de nombreux Pointeliers : « Quand je suis arrivée, Shell a fermé. Ça a causé un gros choc économique et social. Ça représentait beaucoup d’emplois pour des gens qui avaient eu ce travail toute leur vie et qui, du jour au lendemain, se retrouvaient dans une situation plus difficile », se rappelle la députée.
L’accès au fleuve
Cette situation préoccupante ne l’a toutefois pas empêchée d’entamer un projet qui lui tenait à cœur. « J’ai voulu mettre en valeur le fait que nous sommes bordés par le fleuve Saint-Laurent et la rivière des Prairies, deux magnifiques cours d’eau. On a créé le Plan bleu vert pour redonner accès au fleuve et créer des liens vers des parcs », explique Mme Rouleau.
Cette réappropriation des espaces fluviaux s’accompagne d’une revitalisation de certains secteurs qui s’étaient quelque peu dégradés au fil des années, surtout au bout des rues perpendiculaires au boulevard Notre-Dame Est, donnant justement sur le fleuve. « Ce qu’on voyait, c’était des écriteaux “danger” ou “défense de passer” avec des gros blocs de ciment, et parfois aussi des déchets. C’était un peu abandonné », commente la politicienne.
Comment redonner fierté aux citoyens dans un tel contexte? Pour Chantal Rouleau, il fallait que « les gens puissent se retrouver en mettant en place le marché public, la place du Village avec le parc du Fort ». Ces nouveaux attraits ont été accueillis favorablement dans le secteur, d’autant plus qu’à proximité, on y trouvait « des établissements malfamés. Il y avait beaucoup de criminalité qui se déroulait près du fleuve », se souvient-elle.
Miser sur la culture
La place toujours plus grande qu’occupe la culture à PAT alimente aussi la fierté des Pointeliers. Mme Rouleau donne en exemple le Théâtre de L’Oeil Ouvert, « avec des jeunes qui proviennent des quartiers centraux, mais qui ont adopté le quartier et qui s’impliquent beaucoup depuis ». Sans oublier l’ancienne église de Saint-Enfant-Jésus qui, ajoute-t-elle, s’est « transformée en lieu pour les arts circassiens et les arts communautaires ».
Son coup de cœur revient toutefois au concert de l’Orchestre Métropolitain dirigé par Yannick Nézet-Séguin, présenté en juillet dernier. « C’est le chef d’orchestre le plus reconnu à travers la planète aujourd’hui et il était chez nous, à PAT, pour célébrer le 350e. J’en suis très fière! »
Navette fluviale et plage de l’Est
Parmi les projets marquants de Chantal Rouleau, en tant que députée cette fois, on note la création de la navette fluviale reliant entre autres PAT au Vieux-Montréal, à partir de 2019. Elle en a pratiquement fait son cheval de bataille, partage-t-elle : « Quand j’ai commencé ce projet de navette fluviale, je me battais fort contre les institutions qui disaient « Non, c’est pas possible d’avoir du transport collectif sur le fleuve! Ça ne se fait pas!” Voyons donc! Le Québec a démarré avec le fleuve. Je me suis beaucoup battue, et aujourd’hui, ça fait partie de la stratégie nationale maritime du Québec. »
Quant à la création de la plage de l’Est, deux ans plus tard, c’est un projet qui lui trottait dans la tête même avant son entrée en politique. Pendant des années, cette plage en bordure du fleuve était un terrain vague. « Il ne s’y passait rien. Il y avait des mauvaises herbes, des blocs de ciment », se souvient Mme Rouleau. Cette situation changera pourtant son parcours professionnel : « C’est ce qui m’a amené en politique », évoque-t-elle.
En voulant créer la plage de l’Est, la ministre s’est une fois de plus confrontée aux sceptiques. « On me disait “C’est impossible!” C’est un mot que je ne tiens pas dans mon dictionnaire. Quand je suis devenue mairesse, le premier geste que j’ai posé, ç’a été de procéder au changement de zonage de ce terrain-là pour que ça devienne la plage de l’Est. » Un succès? L’ancienne mairesse répond par l’affirmative : « On a tracé des sentiers, et aussitôt qu’on a mis des bancs de parc, les gens y sont allés. »
Le passé garant de l’avenir
Pour la mairesse actuelle de l’arrondissement de RDP–PAT, Caroline Bourgeois, le passé reste garant de l’avenir. « Notre programme politique ressemble à un retour au début du 20e siècle quand il y avait le tramway, des commerces de proximité, les gens qui allaient au camping, les plages, l’agriculture… C’est au cœur même de notre plateforme aujourd’hui », remarque-t-elle.
À propos du dossier des commerces de proximité, Mme Bourgeois se dit consciente des enjeux de taille pour PAT : « C’est pas facile pour les commerçants avec l’explosion des prix dans l’immobilier. C’est pour ça qu’il y a toute une transformation dans le Vieux-Pointe-aux-Trembles, où on peinait à attirer des commerces pour qu’ils s’installent dans les bâtiments existants. »
Ainsi, selon cette dernière, toutes les institutions doivent faire leur part. « Dans les dernières années, le public a beaucoup investi ici, dans le secteur Notre-Dame : on réouvre la rue au grand complet, on enfouit les fils, on élargit les trottoirs. Mais force est de constater que le privé n’a pas suivi », croit-elle.
Autre défi à relever pour les années à venir : inciter les citoyens à acheter chez eux. « Tout le pouvoir d’achat des Pointeliers se déplace vers les banlieues comme Repentigny, Lachenaie, Laval, Anjou. On n’est pas capable de pouvoir garder le capital des Pointeliers dans le quartier », se désole Mme Bourgeois.
Patrimoine industrielle
Si la reconversion du patrimoine religieux demeure une préoccupation pour les élus pointeliers, la transformation des immeubles liés à l’industrie pétrochimique lourde le long de Sherbrooke Est représentera également un enjeu majeur dans l’avenir, notamment au niveau des perceptions. Mme Bourgeois croit que « lorsque les gens n’ont jamais mis les pieds ici et qu’ils ont juste traversé l’autoroute 40, on leur dit “Pointe-aux-Trembles”, et pour eux, c’est là où il y a des cheminées et des réservoirs de pétrole. Mais quand ils arrivent par la navette [fluviale], ils disent “Mais c’est donc bien beau ici!” ».
Pour la mairesse, le développement à prévoir sur Sherbrooke Est, où se trouvent encore quelques usines, sera au centre des enjeux municipaux. « L’économie du secteur va être appelée à être revue d’ici les 50 prochaines années. Quels types d’entreprises vont venir s’installer? Qu’est-ce qu’on va valoriser? Ce sont des grands défis qui sont très stimulants pour la suite, parce qu’il y a un potentiel de redéveloppement énorme dans l’est de Montréal. »
Les transports
D’autant plus que le secteur de Sherbrooke Est devrait bientôt accueillir de nouveaux transports collectifs, dont l’arrivée tarde. « Je commence à être royalement découragée! Je ne peux pas concevoir qu’en 2024, on est encore en train de se demander c’est quoi, le bon mode de transport collectif pour PAT », s’indigne Mme Bourgeois.
La mairesse se déclare prête à accueillir le Projet structurant de l’Est, bien qu’elle éprouve encore une certaine appréhension. « Tout ce qu’on veut, c’est que ça se développe, mais que ces stations soient accessibles. Que vous puissiez y aller à pied, à vélo, en voiture, qu’il y ait une possibilité de pouvoir se raccorder à ces stations-là. C’est important qu’on ne devienne pas une énième banlieue sans saveur, sans couleur où vous avez d’énormes stationnements incitatifs », avise-t-elle.
En terminant, Mme Bourgeois abonde dans le même sens que sa prédécesseure, Chantal Rouleau, en ce qui concerne la fierté des Pointelliers pour les années à venir : « C’est important. Ce n’est pas une question d’être chauvin. C’est de se dire qu’on a la chance de vivre sur l’île de Montréal. On est entourés d’eau, entourés de vert, avec des bonnes écoles, des organisations communautaires dynamiques. C’est agréable de vivre dans le quartier », conclut l’élue.