L’usine d’Indorama Ventures, située à Montréal-Est (Photo : courtoisie Indorama Ventures)

L’USINE D’INDORAMA SERA DÉMANTELÉE

Il faudra dire adieu à la chaîne du polyester telle qu’elle existe depuis les 15 dernières années dans l’est montréalais. La fermeture de l’usine d’Indorama cet été, qui équivaut à la perte d’un maillon indispensable dans cet écosystème unique au Canada, annonce sans doute le début de la fin pour celui-ci.

En entrevue, Dimitri Tsingakis, président-directeur général de l’Association industrielle de l’Est de Montréal (AIEM), confirme qu’à la suite de l’annonce de la fermeture de l’usine d’Indorama, située dans Montréal-Est, l’entreprise est en processus d’arrêt de son procédé de production d’acide téréphtalique purifié (PTA) et se prépare au démantèlement de son établissement.

Dimitri Tsingakis, PDG de l’AIEM (Courtoisie)

« Quand, où, quand et comment? Malheureusement, ces détails-là n’ont pas été partagés. Mais ce que je comprends, c’est qu’ils vont procéder au démantèlement », explique M. Tsingakis. Quant à savoir si c’est l’ensemble des installations qui seront démolies, où seulement une certaine partie, M. Tsingakis indique ne pas avoir ces détails pour l’instant. Cependant, d’après les informations qui lui ont été transmises, la partie du procédé de production de PTA sera très certainement démantelée, anticipe-t-il.

Cette nouvelle vient plomber les espoirs de voir renaître de ses cendres la chaîne du polyester, grâce au rachat de l’usine par une autre entreprise.

Plusieurs options auraient pu être envisagées pour sauver les installations d’Indorama, selon le professeur à l’École des sciences de la Gestion (ESG) de l’UQAM, Ali Azouz. La création d’une coopérative de travail, le rachat par les anciens partenaires d’affaires d’Indorama et des subventions de la part du gouvernement du Québec auraient tous pu mettre un frein à la fermeture définitive de l’usine. « Mais voudra-t-on à Québec subventionner avec les taxes des contribuables une usine qui perdait de l’argent, de l’aveu de son précédent propriétaire? », doute M. Azouz.

M. Tsingakis note aussi que l’entreprise Indorama Ventures pourrait être réticente à vendre son usine à un autre producteur de PTA, dans un contexte où on constate que le marché mondial pour ce produit est en surcapacité, notamment en raison de nouvelles installations en Chine. « Ce n’est pas certain qu’Indorama voudra aider à se créer un compétiteur», note-t-il.

Même la conversion de l’usine pour la production d’un autre procédé chimique serait « relativement compliquée », indique Louis Fradette, professeur titulaire et directeur du Département de génie chimique à Polytechnique Montréal. De plus, la question du brevet de procédé chimique complexifie les choses. « Il faut acheter une licence pour pouvoir utiliser les procédés de production. Tu ne peux pas prendre des appareils et des méthodes de fabrication pour produire quelque chose sans payer l’entreprise qui est propriétaire de cette licence, ni même modifier la chaîne de production qui à l’origine est la propriété intellectuelle de cette entreprise », souligne M. Fradette.

Les étapes de la chaîne du polyester (Courtoisie AEIM)

Pour l’instant, Indorama fournit toujours Alpek, le dernier maillon de la chaîne du polyester, en PTA importé des États-Unis. Alpek ne semble pas vouloir cesser ses activités de fabrication de Polyéthylène téréphtalate (PET) à Montréal. La production du polyester en soi n’est pas menacée, « mais on perd un maillon important de la chaîne », concède M. Tsingakis.

De plus, ce dernier note que l’entreprise Chimie ParaChem, qui approvisionnait Indorama en Paraxylène, a mis ses activités à Montréal-Est en suspens. Cette usine avait pour seul client celle d’Indorama. On anticipe une quarantaine de mises à pied dans ces installations, qui, avec la fermeture d’Indorama en août et la perte des 140 emplois, entraînerait à terme près de 200 emplois perdus. Pis encore, plusieurs sous-traitants étaient liés à l’activité de ces usines.

« On parle d’un ratio d’un pour un ou même d’un pour deux. Ça veut dire que pour chaque emploi dans l’usine, il y avait aussi un emploi en sous-traitance. On peut éventuellement s’attendre à ce qu’au total, ce soit jusqu’à 400 emplois qui soient perdus avec la fermeture d’Indorama et la suspension des activités de ParaChem », explique M. Tsingakis.

« C’est toute une industrie qui se trouve fragilisée aujourd’hui », poursuit le PDG de l’AIEM.

Enfin, la multinationale Suncor ne devrait pas fermer d’installations dans l’est à la suite du départ d’Indorama, note-t-il. Celle-ci produit du xylène, un élément dérivé du raffinement du pétrole brut, que l’entreprise peut exporter à d’autres clients.

L’avenir de la chimie dans l’est

La perte de la chaîne du polyester ne signifie pas une victoire pour l’environnement, malgré ce que l’on pourrait croire, indique M. Tsingakis. La production à Montréal-Est était très bien encadrée et permettait de limiter les émissions de gaz à effet de serre en réduisant le transport des produits chimiques. « Si je prends en exemple la fermeture de Shell il y a quelques années; ça n’a pas fait en sorte que nous avons moins consommé de produits du pétrole. On en consomme plus que jamais. Mais, désormais, les installations se trouvent ailleurs dans le monde et sont soumises à des normes environnementales sur lesquelles nous n’avons pas de contrôle », insiste-t-il.

Selon les estimations du professeur Louis Fradette, c’est environ 50 tonnes de produits chimiques, notamment d’acide acétique concentré, qui devront désormais transiter chaque jour pour fournir à la production de l’usine d’Alpek. Cela équivaut à 6 camions-remorques de 53 pieds, ou un wagon entier de train.

M. Fradette se désole aussi du fait que certaines initiatives de recherche en recirculation des produits chimiques sont mises en jeu par la perte de ces acteurs dans l’est. En effet, celui-ci mène le projet Valorisation Carbone Québec qui « vise à accélérer le développement et la démonstration de solutions commercialement viables et applicables au Québec pour capter et valoriser le CO2 en l’utilisant dans des applications et des produits à valeur ajoutée comme les carburants synthétiques», selon les informations disponibles sur le site de Polytechnique. Pour l’instant, le projet installé chez Chimie Parachem peut poursuivre ses activités, confirme le professeur.

« Depuis plusieurs années, nous travaillons à la mise en place d’une économie circulaire. Le départ d’Indorama réduit nos opportunités en ce sens », constate pour sa part M. Tsingakis.

À défaut d’avoir une boule de cristal pour prédire l’avenir, le professeur Azouz voit plutôt dans cette histoire une occasion de se réinventer. « Ça peut être un accélérateur pour la diversification du secteur pétrochimique. Si on ne peut pas être indéfiniment en compétition avec la Chine au niveau de la fabrication du polyester, pourquoi ne pas aller de l’avant dans l’innovation environnementale ou encore trouver des alternatives au polyester?