L’église Saint-Bernadin-de-Sienne située dans Saint-Michel est inoccupée depuis 2013 (Image issue de Google Maps)

L’ÉGLISE SAINT-BERNADIN-DE-SIENNE PERD SON STATUT PATRIMONIAL; UNE DÉMOLITION EST ATTENDUE

L’église de Saint-Bernadin-de-Sienne vient de voir son statut patrimonial retiré par l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension (VSP), l’administration municipale se résignant à sa démolition à la suite d’une détérioration de la structure posant un danger pour la sécurité publique.

Depuis 2013, l’ancienne église de Saint-Bernadin-de-Sienne se languit sur les abords de l’autoroute Métropolitaine. Le bâtiment situé au 7979, 8e avenue et construit au début des années 1950 n’a pas eu la vie facile. Deux incendies en 2019 ont endommagé l’édifice, l’un d’eux ayant ravagé le presbytère, finalement démoli en 2020. La dégradation autour de son clocher est si avancée qu’elle est visible à l’œil nu : d’imposants morceaux de pierre se sont détachés. D’ailleurs, la flèche du clocher a finalement été enlevée et déposée à l’extérieur, sur le site. L’édifice se trouve donc dans un état de dégradation avancée et sa restauration est quasi impossible. « Le professionnel qui l’a inspecté stipule qu’il serait plus réaliste d’envisager de le reconstruire que de le réparer », note-t-on à l’arrondissement dans le sommaire décisionnel du 2 juillet dernier.

Un nouveau propriétaire

En 2019, l’église avait été rachetée par le groupe Christ en Action Évangélisation (C.A.E.) pour la somme de 2 273 000 $. Celui-ci aurait sur la table le projet de construction d’un nouvel édifice d’une valeur de 20 M$.

Mais avant d’aller de l’avant avec ce projet, il fallait démolir l’ancien bâtiment. Or, cela était impossible jusqu’à présent, car l’église Saint-Bernadin-de-Sienne a été ajoutée en 2014 à la liste des bâtiments d’intérêt patrimonial et architectural hors secteurs de valeur exceptionnelle de VSP, ce qui lui octroyait certaines protections légales.

Après de nombreuses inspections et deux demandes d’analyse déposées au Conseil du patrimoine de Montréal et au comité Jacques-Viger, l’arrondissement a conclu qu’un projet de restauration de l’édifice serait trop couteux. « La restauration du bâtiment ainsi que la réparation et la reconstitution des œuvres d’art endommagées, détruites ou disparues sont estimées à minimum 9 M$ », selon un avis de la Direction du développement du territoire de l’arrondissement. C’est pour cette raison qu’il a fallu retirer à l’édifice sont statut patrimonial lors du conseil d’arrondissement du 2 juillet dernier.

Laurence Lavigne Lalonde, mairesse de VSP (Courtoisie Projet Montréal)

Il s’agit d’une situation regrettable selon la mairesse de VSP, Laurence Lavigne Lalonde. « Ce n’est jamais quelque chose qu’on fait de gaieté de cœur. Mais dans ce projet-là, il était impossible de préserver l’église dans son état actuel. Elle doit passer par une démolition, vu l’état de désuétude du bâtiment », explique l’élue.

La démolition était donc inévitable selon cette dernière puisque la bâtisse représente aujourd’hui un danger pour la sécurité publique. Ainsi, même si le propriétaire, le groupe C.A.E., n’a pour l’instant pas déposé une demande officielle de démolition, il fallait quoi qu’il en soit passer par l’étape du retrait de la liste patrimoniale, indique la mairesse.

Une autre solution était-elle possible?

Chez Héritage Montréal, un organisme qui se porte à la défense du patrimoine bâti montréalais, on se désole de ce dénouement. « On n’a aucune garantie que le projet du propriétaire ira de l’avant. On ne sait pas s’il sera construit et s’ils ont les fonds pour le réaliser », s’inquiète Taïka Baillargeon, directrice adjointe aux politiques chez Héritage Montréal. Cette dernière s’inquiète donc qu’on démolisse l’édifice sans avoir de plan pour la suite des choses.

Taïka Baillargeon, directrice adjointe des politiques chez Héritage Montréal (Photo issue de LinkedIn)

C’est une composition architecturale unique qui serait perdue une fois que les bulldozers viendront s’y attaquer. En effet, cette église fait partie d’un mouvement important d’édifices religieux construits durant la seconde moitié du 19e siècle, époque à laquelle un boom démographique crée une forte demande pour ce genre de construction à Montréal. Plus précisément, le voile de béton, les verrières, les œuvres d’art et une multitude d’autres éléments uniques auraient mérité d’être préservés, croit la directrice adjointe. Dans les documents décisionnels de l’arrondissement, on précise que dans le cas du voile de béton, il serait possible de le préserver et de le restaurer dans un futur projet, et que la structure qui le supporte est en « bon état ».

De plus, l’évaluation patrimoniale du lieu qui a été réalisée en 2014 par la division du patrimoine accordait à l’immeuble une « très grande valeur architecturale, paysagère et artistique », selon les documents de l’arrondissement.

Est-ce que l’arrondissement aurait pu en faire davantage pour protéger l’église Saint-Bernadin-de-Sienne? Face à cette question, Mme Lavigne Lalonde répond que la Ville de Montréal a donné « du mordant » à sa règlementation protégeant les édifices contre la négligence des propriétaires entraînée par l’inoccupation des lieux. De son côté, Mme Baillargeon rappelle toutefois que le Règlement sur l’occupation et l’entretien des bâtiments, adopté en octobre 2023, garde un certain flou sur les édifices à caractère religieux. « La Ville sait que les fabriques n’ont plus les moyens d’entretenir leurs bâtiments. Elle se garde donc de les mettre à l’amende », affirme la directrice adjointe d’Héritage Montréal.

La mairesse de VSP reconnaît qu’il s’agit d’un enjeu complexe dans le cas des églises. « On ne veut pas donner 250 000 $ d’amende à un propriétaire qui n’a déjà plus les fonds nécessaires pour réaliser des rénovations qui peuvent valoir des milliers de dollars. Et ça serait de l’argent en moins pour entretenir l’édifice », souligne l’élue, qui ajoute que l’équipe de Projet Montréal privilégie plutôt l’accompagnement des fabriques et propriétaires de lieux de culte dans leurs projets d’entretien et de réaménagement des bâtisses.

Deux paliers concernés

Pour Mme Baillargeon, il faut toutefois en faire plus pour qu’une situation similaire ne se reproduise plus à Montréal. « Dès qu’on sait que l’édifice sera inoccupé, il faut trouver une solution pour se réapproprier les lieux. Par exemple, on pourrait y installer des organismes ou des ressources communautaires qui pourraient offrir des services, tout en s’assurant que l’eau courante, le chauffage et l’électricité soient toujours en fonction, ce qui aiderait les bâtiments à se détériorer moins rapidement », insiste-t-elle.

Par ailleurs, la mairesse de VSP soutient que les arrondissements ont des fonds et pouvoirs limités en matière de protection du patrimoine religieux. « C’est extrêmement couteux, et il y a une partie de cette responsabilité qui est entre les mains du gouvernement québécois. »

Effectivement, le ministère de la Culture et des Communications (MCC) est responsable du dossier de la préservation du patrimoine bâti au Québec. Dans un courriel, le MCC affirme que celui-ci « accompagne […] les partenaires concernés et rend disponibles des aides financières comme celles des programmes gérés par le Conseil du patrimoine religieux du Québec (CPRQ). Ainsi, depuis 1995, le ministère finance la restauration et la requalification du patrimoine religieux via divers programmes visant sa protection, sa transmission et sa mise en valeur. »

« En ce qui concerne l’église Saint-Bernardin-de-Sienne, aucune demande d’aide n’a été déposée au courant des cinq dernières années dans les programmes du CPRQ financés par le ministère », indique-t-on dans le même message.

On conclut en indiquant que « la perte de tout immeuble patrimonial, comme l’église Saint-Bernardin-de-Sienne, est regrettable pour les Québécois. Les communautés sont appelées à prendre des décisions importantes, parfois difficiles, quant à la préservation du patrimoine religieux. »