Daniel Chartier, vice-président du Collectif en environnement Mercier-Est (photo courtoisie).

UN CAFÉ AVEC… DANIEL CHARTIER

Membre bien en vue du Collectif en environnement Mercier-Est et militant de longue date sur nombre d’enjeux d’aménagements urbains dans le sud-est de Montréal, Daniel Chartier est particulièrement de toutes les tribunes depuis quelques mois. C’est lui qui, plus souvent qu’autrement, porte la voix de nombreux dissidents du REM de l’est dans le secteur de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Nous l’avons rencontré la semaine dernière, question de connaître davantage le personnage, et de discuter de sa vision du REM de l’est.

Architecte paysagiste de carrière et de renom, résident de Mercier-Est depuis plus de 30 ans, le jeune retraité de la Ville de Montréal a toujours eu la conscience sociale bien aiguisée. Avant même qu’il termine ses études à l’Université de Montréal, il commence à s’impliquer de près dans des dossiers d’aménagements urbains et de protection de zones naturelles. « Ce qui m’allumait au début de mes études, c’était l’idée de faire plus avec moins. Et ce leitmotiv ne m’a jamais vraiment quitté depuis. Je me considère plutôt comme un minimaliste. Souvent dans des dossiers qui ont l’air complexes, je pense qu’on peut effectivement faire mieux, même avec moins de moyens. J’ai souvent abordé ou analysé des enjeux d’aménagements urbains avec cette approche », affirme Daniel Chartier.

EST MÉDIA Montréal : D’où vient votre passion pour l’architecture de paysage?

Daniel Chartier : Lorsque je suis entré en architecture à l’Université de Montréal, mon premier projet étudiant en 1973 consistait à mettre sur pied un parcours d’aventure pour les jeunes au parc Thomas-Chapais, dans Mercier. On construisait certaines infrastructures comme des petites maisons, des passerelles, etc., mais le soir, malheureusement, des gens défaisaient tout ça. En regardant le site de plus près, en réfléchissant sur comment je pouvais améliorer la situation, je me suis mis à m’intéresser à la magnifique nature de cet endroit. Je voulais comprendre et reconnaître ce qui composait cet environnement et j’ai alors étudié à fond l’œuvre de Marie-Victorin. C’est là que j’ai basculé vers l’architecture de paysage.

EMM : Vous avez défendu toute votre carrière et encore aujourd’hui plusieurs projets d’aménagements urbains sous un angle citoyen avant tout, et non administratif, même si votre employeur était la Ville de Montréal. Vous souvenez-vous de votre première approche en ce sens?

DC : Tout à fait. En 1974 notre faculté s’était mobilisée dans une grande lutte concernant le projet de Village olympique temporaire. Le maire Drapeau, qui ne pliait jamais à l’époque, mais jamais, avait finalement décidé de modifier son projet pour les pyramides olympiques, avec comme conséquence qu’environ trois quarts du territoire convoité est resté vert. Ce fut un moment marquant dans ma vie car c’est à ce moment que j’ai réalisé que lorsqu’on travaille ensemble, que l’on monte bien ses dossiers et son argumentaire, on peut faire de belles choses, que c’est possible en fait de changer les choses. Deux ans plus tard, toujours aux études, je me suis impliqué dans la sauvegarde du Boisé de la Chapelle de la Réparation à Pointe-aux-Trembles, et par la bande j’ai travaillé pour qu’on sauve aussi le Bois Héritage juste à côté, un bois humide d’intérêt. Cela a pris quelques années, mais le député Marcel Léger a finalement légiféré dans ce sens en 1978 et les deux territoires font aujourd’hui partie du parc-nature de la Pointe-aux-Prairies. Là aussi j’ai pu voir qu’avec un dossier bien étoffé, on peut réaliser des choses avec l’administration publique.

EMM : Votre carrière à la Ville de Montréal a débuté en 1977. On dit que plusieurs parcs d’envergure portent en partie votre signature. C’est le cas?

DC : En fait j’ai eu la chance d’être impliqué dès le départ dans des grands projets d’aménagement, et cela a été le cas la plupart du temps par la suite. Je me souviens notamment avoir rejoint rapidement l’équipe dédiée au dossier du parc-nature de l’Île-de-la-Visitation. Plus tard il y a eu l’élaboration des plans directeurs d’aménagement du Parc Jarry en 1986 et 1989, l’aménagement de l’extrémité ouest de l’Île Sainte-Hélène en vue du 350e anniversaire de Montréal, et finalement en octobre 1991 j’ai rejoint l’équipe de planification d’aménagement du Mont-Royal, mon principal dossier jusqu’à ma retraite en décembre 2014. Je faisais des analyses, de la planification, de la coordination et de la négociation avec les différents acteurs impliqués dans l’aménagement du Mont-Royal. Ce qui est extraordinaire avec ce site c’est qu’il faut vraiment apprendre à travailler en collégialité. On ne pouvait pas faire cavalier seul dans ce dossier car il y avait trop de joueurs impliqués, surtout de puissantes institutions. À la fin de ma carrière, on m’a incité à produire une synthèse des travaux réalisés pendant mes années sur le dossier du Mont-Royal, et c’est cet exercice d’analyse et de réflexion qui, en quelque sorte, m’a donné l’élan pour m’impliquer dans certains dossiers touchant Mercier-Est, à titre de résident et de bénévole.

EMM : Sur quels dossiers ou projets de l’est de Montréal êtes-vous intervenu depuis ?

DC : J’ai pondu quelques mémoires depuis ma retraite et intervenu assez souvent dans les conseils d’arrondissements, surtout ceux de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Ma première intervention importante à titre de citoyen, je dirais que c’est concernant le dossier de la requalification du terrain du Mont Saint-Antoine en fonction de l’interaction avec le métro Honoré-Beaugrand, alors qu’il me semblait logique d’offrir aux citoyens un accès, un corridor direct avec la station de métro. Par la suite je me suis impliqué plutôt activement dans le Comité citoyen du parc Thomas-Chapais, afin que la Ville prenne les moyens de bien protéger cet environnement exceptionnel, un dossier qui va assez bien aujourd’hui. Et quelques autres enjeux, notamment l’échangeur Sherbrooke et le circuit de pistes cyclables dans Mercier-Est, pour ne nommer que ceux-là. Par ailleurs, je suis aussi un collaborateur très actif de la page Facebook Les Badauds de Mercier-Est, créée en 2012 par Denis Clavet, un résident du quartier bien impliqué dans sa communauté.

EMM : Vous êtes aujourd’hui très actif dans le Collectif en environnement Mercier-Est, un organisme fondé en 2004 dont vous assurez maintenant la vice-présidence. Par quelle circonstance avez-vous rejoint ce groupe?

DC : C’est relativement récent. J’avais proposé un plan d’aménagement du réseau cyclable dans Mercier-Est dans le cadre d’un comité consultatif sur la mobilité dans le secteur organisé par l’arrondissement, et le Collectif était là. Je trouvais leurs interventions intéressantes et je leur ai demandé s’ils voulaient bien endosser ma proposition, ce qu’ils ont refusé (rires). Ils m’ont plutôt dit qu’ils déposeraient une proposition complémentaire à la mienne. Nous avons commencé à collaborer ensemble à ce moment-là, il y a de cela environ trois ans je dirais.

EMM : Depuis le lancement d’EST MÉDIA Montréal en juillet 2018, nous vous avons souvent croisé dans des consultations publiques, comme pour le développement du secteur industriel de la Pointe-de-l’Île (SIPI) par exemple; nous recevons régulièrement vos communiqués de presse également. Mais depuis le projet du REM de l’est, vos interventions se multiplient, notamment auprès des médias qui sollicitent souvent vos opinions sur le sujet. Bref, vous êtes de toutes les tribunes ces temps-ci pour clamer votre désaccord avec ce projet. À quel point le REM de l’est occupe-t-il votre agenda?

DC : C’est un projet tellement important, qui aura un immense impact dans l’est de Montréal, et c’est pourquoi ça mobilise depuis des mois toutes les ressources du Collectif en environnement Mercier-Est. Personnellement, c’est pratiquement un travail à plein temps d’analyser tout ce qui ressort de ce projet semaine après semaine, et ce qui ne ressort pas justement, ou ce que CDPQ Infra ne nous dit pas. C’est vrai que nous avons beaucoup de visibilité média depuis un certain temps, nous l’apprécions aussi car c’est important que les gens qui vont subir le REM dans sa proposition actuelle se fassent entendre, mais en même temps ce n’est pas un travail évident à faire. C’est un dossier délicat à traiter, il faut tout de même faire attention à ce que l’on dit et comment on le dit. Je marche souvent sur des œufs ou des tisons ardents. Les œufs c’est pas trop pire mais les tisons ardents c’est vraiment désagréable (rires).

EMM : Quelle est, dans les grandes lignes, votre position concernant le projet du REM de l’est?

DC : Premièrement, je crois qu’il faut spécifier ici que le Collectif a mûrement réfléchi la question. Le sujet du transport collectif dans l’est nous l’étudions depuis très longtemps, nous avons déposé des mémoires à ce sujet, et nous avons accès à un excellent réseau de spécialistes dans ce champ d’expertise. En avril dernier, notre comité d’une vingtaine de personnes sur le REM de l’est a par ailleurs fait connaître la position du Collectif en 13 points, on a fait produire des outils de communication comme des affiches, des dépliants, etc., et nous avons organisé des événements publics invitant les gens à manifester leur désaccord face au projet actuel. Le Collectif salue la volonté du gouvernement d’investir dans le transport collectif structurant dans l’est, nous croyons que c’est essentiel de le faire, mais le projet de CDPQ Infra n’est tout simplement pas viable, et le promoteur retenu par Québec n’est également pas le bon joueur pour réaliser un tel projet.

Donc, dans les grandes lignes, nous sommes bien sûr contre une structure aérienne dans l’est, qu’importe le quartier, qui sera sans équivoque une fracture urbaine désastreuse. Première chose. Ensuite, plus on examine le dossier, particulièrement avec les récents rapports de l’ARTM et de la STM, plus on se rend compte que ce projet ne réglera pas les vrais problèmes de transport dans l’est, mais il cannibalisera plutôt les réseaux déjà existants. Le modèle d’affaires de CDPQ Infra n’est pas compatible avec les besoins de la population de l’est et j’ai un sérieux doute sur la capacité réelle du REM de l’est à générer un développement territorial intéressant, selon ses prétentions. Il faut écarter CDPQ Infra du dossier, remettre le projet entre les mains de l’ARTM comme cela aurait dû se faire dès le départ, et retourner à la planche à dessin avec les bons acteurs.

EMM : Quels sont les principaux enjeux du transport collectif dans l’est selon vous?

DC : Comme les études sérieuses le démontrent, il faut améliorer la mobilité entre les différents quartiers de l’est. Désenclaver particulièrement des secteurs comme Pointe-aux-Trembles, Rivière-des-Prairies, dans une autre mesure Mercier et Anjou notamment. Cela peut certainement se faire par différents modes de transport interconnectés. Dans cette optique, il faut absolument que le prolongement de la ligne bleue se fasse.

Nous avons avant tout un besoin criant d’élaborer une vraie vision urbanistique de l’est de Montréal. Avec le REM, on a mis la charrue devant les bœufs selon moi. En terminant, je dirais que le projet du REM de l’est a tout de même le bon côté d’avoir sensibilisé une bonne partie de la population du secteur sur la question du transport collectif, et surtout mobilisé plusieurs citoyens face à l’importance de réaliser un bon projet pour la communauté. Et non un projet pour faire plaisir aux développeurs immobiliers et aux industriels. J’espère que de plus en plus de citoyens de l’est vont s’intéresser à cette question, car elle est au cœur d’un développement réussi du territoire.