TRANSFORMATION DE L’ÉGLISE SAINTE-BIBIANE EN REFUGE : COHABITATION SOUS HAUTE TENSION
Le projet de transformation de l’ancienne église Sainte-Bibiane en centre d’hébergement pour personnes vulnérables soulève les passions au sein de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie (RPP) depuis déjà quelques semaines.
L’avenir de l’ex-lieu de culte situé au coin du boulevard Saint-Michel et de la rue Dandurand rend les discussions houleuses entre élus municipaux et citoyens et commerçants inquiets. Pour ces derniers, le projet d’aménagement d’un refuge pour personnes en situation de vulnérabilité s’avère préoccupant, l’église Sainte-Bibiane se trouvant à proximité de cinq écoles primaires.
La Société de développement commerciale (SDC) Promenade Masson a aussi émis quelques réserves dans un texte publié sur son site web la semaine dernière, qui relève entre autres la manière dont l’information sur l’éventualité du projet a été soumise à la population. Le directeur général de la SDC Promenade Masson, Kheir Djaghri, avoue que, contrairement à ce qu’a avancé la Ville dans une infolettre, son équipe n’a pas pris connaissance du projet en février. « On a été officiellement approchés par l’arrondissement en avril », précise-t-il.
Apprendre de ses erreurs
Selon lui, la Ville aurait dû faire preuve de plus d’humilité dans son approche. « Annoncez-nous le projet qui va être fait, mais dites-nous surtout : “Nous avons appris de nos erreurs.” C’est ça qui manque! »
À ce sujet, Guillaume Rivest, relationniste à la Direction des relations de presse de la Ville de Montréal, se veut rassurant à propos des semaines à venir. « Dès qu’il y aura de nouveaux développements sur le projet, l’arrondissement enverra un avis au voisinage », assure-t-il.
Et quelles sont ces «erreurs» soulignées par la SDC? Ne pas prendre en considération les ratés des expériences semblables dans d’autres quartiers montréalais. « Quand vous voyez à la télé les commerçants du Village qui parlent d’augmentation de vols à la sauvette, de personnes qui prennent de la nourriture sur la table d’une terrasse, de personnes qui font leurs besoins à l’entrée d’un commerce, vous vous dites qu’il y a un risque. C’est une réalité qui se vit ailleurs. Qui nous garantit aujourd’hui que cette réalité ne sera pas vécue ici? », s’interroge M. Djaghri.
Vérifications diligentes
Même s’il suscite bien des réactions, le projet reste encore loin d’être réalisé. L’immeuble sera inspecté pour évaluer la faisabilité de sa transformation en refuge. « Le but des vérifications diligentes est de déterminer si la transaction peut se conclure, ce qui signifie que le projet pourrait éventuellement ne pas se concrétiser », nuance Guillaume Rivest.
Confiant, il avance tout de même que « les travaux pourraient commencer à l’automne si la transaction est effective ». Et une ouverture au début de l’année 2025 semble toujours un objectif atteignable.
À l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment
Un autre reproche formulé dans les doléances de la SDC a été transmise par son directeur : « La Ville jusqu’à maintenant a parlé d’accompagnement “dans” le bâtiment, à l’intérieur. Nous, on parle d’un accompagnement efficace à l’intérieur ET à l’extérieur du bâtiment. »
Il s’agit d’une inquiétude à laquelle la Ville répondait déjà dans son infolettre envoyée aux citoyens : « Pour assurer une bonne transition avec le voisinage, on parle de mettre en place, entre autres : de l’éclairage bonifié, une attention particulière à la propreté dans le secteur, la présence régulière du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et d’intervenantes et intervenants en travail de rue… »
Néanmoins, une question demeure : est-ce que ces bonnes intentions étaient déjà prévues dans les coûts du projet, estimés à « un montant de 2,5 millions pour l’achat et la sécurisation d’un montant supplémentaire de 2,5 millions pour des travaux structurels importants »? M. Rivest répond à l’affirmative. « Les coûts pour assurer une bonne transition avec le voisinage seront intégrés dans le budget de l’arrondissement. »
Dignité humaine
M. Djaghri croit fermement qu’une solution bénéfique passerait par un accompagnement plus étroit des personnes dites vulnérables : « L’accompagnement efficace renvoie à la dignité humaine. Prévoir un lieu pour que ces personnes puissent faire leur toilette, un lieu pour que ces personnes puissent se connecter sur Internet et se chercher un travail, avoir une ressource qui puisse les orienter vers un travail ou une formation professionnelle. »
Non seulement la SDC Promenade Masson ne s’oppose pas à un plan d’aide pour les personnes vulnérables, mais son directeur va plus loin. « Certaines de ces personnes ne devraient même pas être dans un refuge, avance-t-il. Elles devraient être dans un logement d’intégration. Quelqu’un qui a vécu une situation de divorce ou qui a perdu son travail, il va se retrouver à la rue. Est-ce que sa place est dans un refuge? Non. Ce serait plutôt dans un logement d’intégration dans lequel il va se reconstruire petit à petit. »
D’autant plus que le modèle a fait ses preuves ailleurs, selon M. Djaghri. « En Europe, il y a des logements d’intégration qui se réalisent, les PLA-I : Pré-locatif aidé d’intégration. On prête de l’argent aux municipalités à un taux très, très bas pour réaliser du locatif aidé concernant une population à très faible revenu. »
À propos de l’amplification du phénomène de l’itinérance dans le quartier, le directeur de la SDC s’avère sceptique. « Je défie quiconque de m’apporter une étude nous permettant de constater qu’il y a un phénomène d’itinérance qui a explosé à Rosemont. On est en train d’importer un problème à Rosemont qui n’existe pas. »
Selon la Ville toutefois, Rosemont ne doit pas ignorer la situation. « Entre 2018 et 2022, le nombre de personnes en situation d’itinérance a bondi de 33 % à Montréal. L’arrondissement de RPP n’y échappe pas et a connu une hausse importante du nombre de personnes vivant dans la précarité domiciliaire ou alimentaire », répond Guillaume Rivest.
« L’union fait la force »
Alors, à quoi peut-on s’attendre pour la suite concernant les relations entre l’arrondissement, les commerçants et les citoyens? M. Djaghri témoigne de sa bonne foi : « Il y aura un retour quand même de la Ville. Il y a des personnes compétentes qui travaillent fort. Il faut être patients. »
Et pour le directeur de la SDC, les tenants du projet ne devraient pas trop s’emballer, car il compte bien persister. « Si la réponse de la Ville n’est pas à la hauteur des attentes, à ce moment-là, on va porter le tout au domaine public. Ce sera un communiqué de presse ou encore des affiches sur l’artère Masson. »
Comme l’opposition au projet semble aussi se déployer ailleurs avec la création de divers comités et un groupe Facebook, M. Djaghri n’exclut pas des alliances possibles pour se faire entendre d’une seule voix. « Si nos attentes sont communes, ça peut être fédérateur. L’union fait la force! », termine-t-il.