Nouveau centre de traitement des matières fines de construction, une première nord-américaine à Montréal-Est (photo : EMM).

TRAITEMENT DES RÉSIDUS FINS DE CONSTRUCTION : UNE SOLUTION NÉE DANS L’EST

9h00 du matin le 20 octobre dernier. Direction : cœur industriel de Montréal-Est, sur le site de l’ancienne usine de tuyaux de cuivre Wolverine, fermée en 2007 après plus de 70 ans d’activité. Du monstre de l’ère industrielle lourde qui a laissé sa marque dans cette partie du territoire de l’est montréalais subsiste encore l’impressionnant squelette du bâtiment principal, notre point de rencontre avec l’équipe de SANEXEN, qui accueille un journaliste pour la toute première fois sur ce site devenu aujourd’hui le premier centre de traitement de matières fines en Amérique du Nord provenant des secteurs de la construction, de la rénovation et de la démolition (CRD).

Arrivé sur les lieux, une forte impression frappe immédiatement l’imaginaire : la coquille de l’usine, aujourd’hui complètement dénudée de son contenu original, est vraiment immense… et spectaculaire. On peut facilement se projeter dans une scène de film se déroulant dans le Berlin industriel de l’entre-deux-guerres. D’ailleurs, de par son look industriel d’autrefois, sa vaste étendue sans division intérieure ni équipement lourd, ses longues rangées de fenêtres à carreaux typiques, et son toit toujours en place, le site est paraît-il très prisé du milieu cinématographique montréalais. « Tout le monde a la même réaction en venant ici la première fois, c’est un site vraiment particulier », reconnaît d’entrée de jeu Mathieu Germain, directeur développement stratégique chez SANEXEN, une entreprise de solutions environnementales bien implantée dans l’est de Montréal. Depuis les premiers développements, l’équipe de SANEXEN a imaginé transformer ce site en laboratoire pour trouver une solution de traitement et de valorisation des matières fines de CRD, un véritable problème sur le plan environnemental.

Le gypse, ennemi des centres de tri

Les matières fines de construction que l’on retrouve dans les centres de tri, dans le jargon des matières résiduelles, représentent en fait tout ce qui est de diamètre inférieur à 2 pouces. On peut donc retrouver dans cette catégorie une foule de matériaux tels que : roches, éclats de bois, de métal, de verre, de pvc, etc. Ces derniers peuvent être soit triés et revalorisés, ou encore servir pour du recouvrement de chantier, par exemple. Toutefois, dans ces lots qui arrivent aux centres de tri, on retrouve aussi généralement et en grande quantité des résidus de gypse (placoplâtre, gyproc), et c’est là tout le problème, car cette matière est non recyclable. Depuis plusieurs années, plusieurs centres de tri au Québec refusent ainsi d’accueillir sur leurs sites les matières fines de construction. Résultat : les stocks s’accumulent, ou finissent par être disposés ou enfouis dans des sites illégaux.

« Le gypse est composé de 15 à 20 % de souffre et lorsqu’il se décompose, il produit du sulfure d’hydrogène (H2S), un gaz toxique qui a aussi la particularité de sentir fortement les œufs pourris. De plus, le H2S vient corroder les systèmes de captation de biogaz qui émanent des lieux d’enfouissement technique (LET) et en diminue l’efficacité et la qualité des biogaz récoltés pour la revente. C’est pourquoi les résidus de gypse, les fines de CRD comme on les appelle communément, sont bannies des centres d’enfouissement au Québec, mais aussi un peu partout en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde », explique Jean-Simon Bussières-Dicaire, chargé d’expertise en recherche et développement chez SANEXEN, agissant comme expert technique au nouveau centre de traitement des fines de CRD de l’entreprise.

Jean-Simon Bussières-Dicaire, Gabrielle Tremblay et Mathieu Germain de SANEXEN (photo : EMM).

Au Québec, selon les données de RECYC-QUÉBEC, l’industrie de la construction générerait quelque 400 000 tonnes par année de matières fines contaminées au gypse.

L’innovation de SANEXEN

SANEXEN œuvre, entre autres, dans le traitement et la revalorisation des sols contaminés depuis 35 ans. L’entreprise est particulièrement active dans l’est de Montréal avec plusieurs projets majeurs réalisés dans ce domaine d’expertise ces dernières années, opérant in situ, sur leur site de traitement (SOL +) ou en partenariat avec d’autres centres de traitement sur le territoire. Elle est également reconnue pour son imposante équipe de spécialistes et ingénieurs en environnement qui a proposé ces dernières années plusieurs solutions innovantes qui se sont démarquées sur la scène internationale.

Le défi que s’est lancé l’équipe de R & D de SANEXEN, il y a plus de cinq ans, n’était donc pas simple : faire des résidus de gypse un compost de première qualité, exempt de contaminant, et surtout sans produire de H2S. Le défi était donc, en particulier, de stabiliser le souffre afin qu’il devienne un oligo élément (très recherché dans le compost) au lieu qu’il se transforme en gaz. Le tout en utilisant le moins d’énergie possible. Et ils y sont arrivés, le procédé étant actuellement en instance de brevet au Canada et aux États-Unis. « Plus de 95 % des résidus de gypse que nous traitons est valorisé sous forme de compost de grade A, comme on en retrouve dans les grandes surfaces de quincaillerie par exemple», affirme Jean-Simon Bussières-Dicaire.

Quelques biopiles en traitement (photos : EMM).

Officiellement en opération depuis le mois de mai dernier, le centre de traitement a obtenu de Québec un certificat d’autorisation pour traiter pas moins de 150 000 tonnes de matière par année, soit près de la moitié de ce qui est généré par année dans la province. « Comme il s’agit d’une première dans ce domaine, cela a pris deux ans avant d’avoir cette autorisation, alors que généralement ce genre d’autorisation prend six mois. Il a fallu que le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques analyse en profondeur chaque élément du procédé, et il a aussi fallu innover pour tester et valider correctement l’ensemble du procédé. C’était un processus assez complexe », avance Mathieu Germain.

Il faut noter ici que la matière reçue par SANEXEN à Montréal-Est provient exclusivement de centres de tri, certains provenant d’aussi loin que la région de Québec. L’entreprise doit aussi faire un tri de la matière qui arrive afin d’extraire le gypse des autres matériaux de construction. Ainsi, le bois, le papier et le carton seront triés ensemble pour fin de biomasse, alors que les résidus de métal, verre, plastique, mais surtout une bonne quantité de roches, retourneront sur le marché essentiellement pour faire du recouvrement de chantier.

Le procédé de décontamination retenu par SANEXEN (biopiles) est finalement très semblable à celui utilisé pour traiter des sols contaminés aux hydrocarbures, par exemple. Selon Environnement et ressources naturelles Canada, cette technique consiste à excaver les sols afin de les mettre en piles (biopiles) généralement d’une hauteur d’un à trois mètres. La biodégradation des contaminants à l’intérieur des biopiles est optimisée par un contrôle des paramètres tels le pH, la teneur en eau, les concentrations en substances nutritives et l’aération. Si l’aération passive de la biopile n’est pas suffisante (utilisation de la différence de pression des gaz présents à l’intérieur de la biopile et dans l’atmosphère afin de permettre le mouvement de l’air vers l’intérieur ou l’extérieur de la biopile), l’utilisation d’un système d’aération ou d’extraction pourra être nécessaire.

« On faisait déjà du traitement biologique de sol sur le site de l’ancienne Wolverine, à notre centre connu sous le nom de SOL +. Nous avons donc repris les mêmes installations et adapté nos connaissances pour transformer du biotraitement de contaminant organique dans le sol en compostage de matière organique. Il y a ici, aujourd’hui, une capacité de 56 lignes de traitement (NDLR : biopiles) », indique Mathieu Germain. La vaste superficie du site intérieur leur permet une telle quantité, mais aussi le fait que la structure soit couverte et très haute. Ainsi, la matière fine ne part pas au vent, n’a pas besoin d’être recouverte, et l’air circule très bien.

Autre aspect très important dans le procédé de traitement : la faible quantité d’énergie utilisée. Le système de traitement par biopile utilise principalement l’énergie dégagée par l’activité bactérienne. À cette première étape de traitement, la chaleur à l’intérieur de la biopile peut frôler les 85 degrés celsius, de manière 100 % naturelle. « Les micro-organismes travaillent alors pour nous afin de s’assurer qu’il n’y ait plus aucun élément pathogène dans la matière. Ensuite, nous allons nous assurer de stabiliser les contaminants comme le souffre et le calcium. C’est là que se retrouve en grande partie l’innovation de SANEXEN, notre recette secrète. Dans tout ce processus, nous allons capter et traiter les gaz qui sont dégagés. Il n’y a pratiquement pas de perte ni de rejet », ajoute le chargé d’expertise en recherche et développement. Ainsi, toujours selon ce dernier, le nouveau centre de traitement peut produire du compost de première qualité en un mois et demi, alors qu’on doit compter généralement sur une période d’un an et demi, dit-il.

Les gaz qui s’échappent des biopiles sont captés par un système plutôt sophistiqué (photo : EMM).

Avenir prometteur

La technologie et le savoir-faire derrière cette innovation offrent de belles perspectives d’avenir pour cette branche d’activité de SANEXEN. Le modèle d’affaires, basé sur le coût du service rendu et non sur la vente des produits résiduels (qui ont peu de valeur monétaire sur le marché), ainsi que sur une position prédominante dans ce marché, probablement bien au-delà du territoire québécois, est très intéressant confirme Mathieu Germain. « Il y a toujours la possibilité d’exploiter d’autres sites ailleurs au Québec, au Canada et aux États-Unis, et pourquoi pas dans le monde entier, mais on pourrait aussi faire affaires avec des partenaires qui utiliseraient notre procédé », explique-t-il.

L’extérieur du vaste centre de traitement, site de l’ancienne usine de tuyaux de cuivre Wolverine (photo : EMM).

Et il y a plus. L’entreprise planche déjà sur d’autres utilisations que le compost pour la matière fine traitée. Nous avons pu voir certains tests lors de notre visite, en fait des prototypes notamment de panneaux isolants, et de céramique, produits qui ont déjà fait l’objet de travaux au Conseil national de recherches Canada. « SANEXEN ne produira certainement pas de produits du genre, mais peut s’avérer un partenaire de première ligne avec certains fabricants, pourquoi pas? », conclut Mathieu Germain, qui porte visiblement bien son titre de directeur développement stratégique.


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