LES STUDIOS DE ROUEN FONT RAYONNER LES ARTISTES ET LA CULTURE DANS L’EST
Les Studios de Rouen ont vu le jour il y a 18 ans dans Hochelaga. Ils comprennent 76 studios d’enregistrement de musique professionnels situés dans deux bâtiments, ainsi qu’une grande salle polyvalente. Ses dirigeants défendent également bec et ongles la culture et les artistes du quartier et d’ailleurs.
C’est en 2005 que Richard Gingras et Ross Richard, deux musiciens professionnels, arrivent à réaliser leur rêve d’avoir leurs locaux de pratique « qu’ils n’avaient jamais pu avoir ». Ils réussissent à convaincre l’homme d’affaires Louis-Charles Houle, passionné de culture, de créer avec eux la société Les Studios de Rouen. « Ils avaient décidé de s’installer ici, car il y a une vie de quartier intéressante, un secteur en développement avec des loyers accessibles », indique Christian Fafard, gérant des Studios de Rouen et guitariste amateur. Le choix de l’immeuble s’est alors porté sur celui d’une entreprise de textile appartenant à un membre de la famille Rossi, datant des années 50. Pour convaincre cette dernière de leur vendre l’édifice, les fondateurs avaient promis qu’ils allaient « monter un lieu culturel et y faire de la musique pendant 50 ans ». Pendant un an, tout a été reconstruit à l’intérieur des murs. Des artistes ont été impliqués dans le projet, en faisant part de leurs besoins et remarques.
Des studios prisés et chaleureux
76 studios, principalement de pratique, y sont loués à l’année à des prix abordables. Ils sont de toute taille, climatisés et insonorisés, avec un internet haut débit, et sont répartis entre deux bâtiments. Le premier, situé au 3935 rue de Rouen, abrite 33 locaux ainsi que la salle Le Nombre 110 (voir plus loin). Dans le second, au 2175 de l’avenue d’Orléans, 43 studios de répétitions sont répartis sur trois étages, la bâtisse ayant été acquise et aménagée en 2010.
Dans les couloirs des bureaux rue de Rouen, un panneau diffuse des photos en hommage aux femmes dans le monde du rock. Pour la décoration, des affiches ornent les murs, tout comme de vieux instruments de musique récupérés. Des objets sur le thème de la musique, une cuisine et des terrasses rendent les lieux très chaleureux. « Nous nous voyons comme du coworking axé sur les groupes musicaux. Nous avons la réputation d’avoir les plus beaux studios sur Montréal et les mieux entretenus. Nous vendons une bonne ambiance, car les artistes ont besoin d’être dans un bel environnement pour être créatifs, sinon cela ne marche pas. Je m’efforce de donner une âme, c’est un travail au quotidien. Tout cela sans compromis sur la technique et la qualité », ajoute M. Fafard.
Beaucoup d’artistes débutent leur pratique dans les Studios de Rouen et en partent lorsqu’ils ont d’autres besoins. Par exemple, le groupe Choses Sauvages, dont les membres sont originaires de Mont-Tremblant et Saint-Jérôme, y est resté pendant 8 ans, avant d’acquérir son propre studio ailleurs.
Une salle associative pour rejoindre de nombreux artistes
Le nombre 110 est une salle de musique qui est l’OBNL rattaché à l’entreprise. Installée dans ses murs, on y retrouve une scène avec des écrans et une régie son et lumière dernier cri. Elle y accueille des groupes professionnels pour la plupart, des artistes émergents comme plus aguerris. L’association permet d’avoir accès à des subventions afin d’aider la communauté des artistes. Elle est louée par des musiciens indépendants ou rattachés à des maisons de disque comme Coyote Records, Joy Ride Records, Audiogram, Bonsound ou Simon Records par exemple. « C’est une salle multidisciplinaire, où nous faisons beaucoup de préproduction. Les groupes de musiques la louent par exemple avant de partir en tournée pour monter leur spectacle et le pratiquer une, deux ou trois fois au complet. Ils s’en servent autant pour pratiquer les chansons que pour ajuster et vérifier toute la technique. Le but est de coordonner le tout et éviter les problèmes une fois sur une grande scène », explique Christian Fafard, qui est aussi fondateur de l’association Le nombre 110 avec Pierre Martial-Gaillard.
Ariel, un artiste fidèle aux Studios de Rouen
Ariel, alias Ariel Coulombe, est un artiste montréalais. Il a remporté en 2009 le concours Les Francouvertes et a participé plusieurs fois aux Francos de Montréal et au festival Osheaga. Il s’est installé dans l’est depuis quelques années. Il a quatre albums de rock à son actif, le dernier Chroniques Souterrainnes ayant été nommé à l’ADISQ, et une tournée se dessine. S’il réalise ses albums dans les Studios de Rouen depuis presque dix ans, son local est devenu un studio de production professionnel qu’il a nommé Manic6, en référence au numéro 6 du local 106 et à la centrale électrique Manic-5, car des installations d’Hydro-Québec sont visibles depuis ses fenêtres. Il réalise et mixe pour des artistes comme le groupe Caprices, Towers of Jupiter, ou pour Simon Fournier. « Je voulais sortir de ma propre démarche en travaillant sur les projets artistiques d’autres personnes, pour me nourrir moi-même et parfaire mes techniques. J’ai revu la vocation de ce studio, je me le suis approprié comme gestionnaire. Moi je choisis d’avoir mon lieu de travail près de chez moi, près des artistes. Il est bien insonorisé, on n’entend pas le son des groupes qui pourraient jouer plus fort, alors qu’il y a pourtant beaucoup de fenêtres. Tout ici est très professionnel, mais reste à une échelle humaine », souligne Ariel.
Bien intégré dans le quartier
À leurs débuts en 2006, les bâtiments étaient entourés d’entreprises, dont certaines à l’abandon. Le lieu est depuis toujours accessible aux artistes 7 jours sur 7, 24h sur 24, mais le bruit engendré ne gênait alors personne. Il a cependant fallu composer avec l’évolution du voisinage et l’arrivée de riverains. M. Fafard est proactif et discute régulièrement avec l’administration, car de nouveaux condos se rapprochent des bâtiments au fil des années. Selon lui il y a un risque, car il rappelle les problèmes rencontrés par la salle de spectacle la Tulipe, avec de nombreuses plaintes contre le bruit déposées par les riverains des nouvelles habitations proches. « Un projet résidentiel a failli s’implanter à côté de nous, à la place d’un garage de mécanique. J’ai été faire un discours devant le maire de l’Arrondissement, Pierre Lessard-Blais, pour lui expliquer que pour nous la culture était importante, et que nous aimerions que la Ville soit de notre côté. Il fallait que le règlement sur le bruit soit adapté pour que nous conservions notre accès 24h sur 24. Nous échangeons aussi avec le député provincial Alexandre Leduc », poursuit-il.
Avec les années, M. Fafard a fini par aller voir toutes les entreprises aux alentours et les voisins. « Dès qu’il y a de nouveaux appartements, si je vois une personne sur un balcon je vais jaser avec elle cinq minutes, pour voir si elle nous entendait, si nous pouvions améliorer certaines choses. Notre but est de rapprocher les gens, le bon voisinage en fait partie. Je parle aussi avec les itinérants pour comprendre leur environnement, savoir ce qui se passe dans le quartier. Nous sommes amis avec tout le monde et bien intégrés », insiste-t-il.
Des défis et la défense de la culture
« Ces dernières années, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un combat beaucoup plus grand que nos studios. Celui de la protection de la culture. Car nous sommes là pour rester de nombreuses années », assure le gérant.
La flambée des prix immobiliers serait un enjeu important pour M. Fafard. Selon ses informations, des artistes de Toronto seraient actuellement chassés de leurs studios après la très forte hausse de leur loyer, car ils ne peuvent se permettre d’avoir une telle charge financière. Pour revenir à Hochelaga, si en 2010 les Studios de Rouen ont pu acquérir un nouveau bâtiment, avenue d’Orléans, pour faire face à la demande croissante de locaux de la part des artistes, et le rénover entièrement, ils ne pourraient plus le faire aujourd’hui avec les prix actuels du marché, ou devraient doubler le tarif des loyers, croit M. Fafard. « La culture commence par de jeunes artistes. Nous voulons que nos studios restent abordables et accessibles en partie pour des artistes d’ici », défend-il. L’embourgeoisement du quartier est pointé du doigt. Avec des loyers de plus en plus dispendieux dans le secteur, sa crainte est de voir partir des musiciens locaux, car « 70 % des locataires demeurent dans un rayon de 5 à 10 kilomètres. Ils viennent pratiquer dans un endroit proche ».
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