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REPRISE COLLECTIVE : UNE RELÈVE ENGAGÉE POUR PÉRENNISER LES ENTREPRISES

Bien qu’encore considéré comme un modèle qui prend timidement sa place, le repreneuriat collectif représente pourtant une avenue particulièrement intéressante pour les propriétaires qui souhaitent se départir de leur entreprise. Tour d’horizon d’un mode de transfert aux nombreux avantages qui risque de gagner en popularité ces prochaines années.

Contrairement à l’achat privé effectué par une société par actions, la reprise collective permet à des individus internes ou externes à une organisation donnée, comme ses employés, ses partenaires ou encore ses clients, de reprendre collectivement les rênes de l’entreprise sous une forme coopérative ou bien en tant qu’organisme à but non lucratif (OBNL).

Nada Elkouzi de la Coopérative de développement régional du Québec (Courtoisie)

Pour de nombreux adeptes de ce modèle, un des principaux avantages de la reprise collective serait d’assurer une plus grande pérennité aux entreprises québécoises. « Plusieurs entrepreneurs ne trouvent pas de moyens de reprise et n’ont pas d’autres choix que de fermer leur entreprise. Avec le repreneuriat, ça peut être des travailleurs ou des fournisseurs qui se regroupent pour l’acheter et qui vont donc continuer d’offrir les services et assurer sa stabilité », explique Nada Elkouzi, directrice régionale Montréal-Laval à la Coopérative de développement régional du Québec.

Le modèle du repreneuriat collectif permet aussi d’éviter une potentielle vente à des actionnaires ou à des intérêts étrangers qui risqueraient de dénaturer la mission de l’entreprise ou de délocaliser les emplois. « Qu’ils soient des employés, des fournisseurs ou des collaborateurs, les personnes qui vont reprendre l’entreprise collectivement vont bien connaître l’organisation, ont à cœur de conserver sa culture et ses valeurs. On maintient donc les activités, on conserve des emplois locaux et on continue de répondre aux besoins du milieu dans lequel l’entreprise évolue », précise Mme Elkouzi.

Gaëtan Cirefice, directeur Gestion et financement – Économie sociale – Présentation pour PME MTL Est-de-l’Île, dénote plusieurs avantages qui profitent directement aux membres de la coopérative qui fait le rachat d’une entreprise. « Les employés ont le pouvoir décisionnel, donc des meilleures conditions de travail, parce que c’est leur mission de les améliorer. Ils sont engagés et ont un sentiment accru d’appartenance aux activités de l’entreprise. Donc, cela crée des emplois beaucoup plus durables à long terme. »

Selon le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM), le repreneuriat collectif peut aussi être une avenue efficace « dans des contextes où on retrouve des dimensions plus complexes que la seule rentabilité ». Par exemple, une reprise collective peut éviter la dévitalisation d’un milieu causée par la fermeture de commerces essentiels ou encore maintenir l’accès à des services de proximité pour les citoyens. 

Plusieurs options pour diverses organisations

La reprise collective comprend une diversité de modèles et d’options et n’est pas propice à un milieu ou une industrie en particulier, explique Nada Elkouzi. « En termes de secteurs d’activités, c’est très varié. C’est plutôt une question au niveau des valeurs et de l’engagement des entrepreneurs qui souhaitent reprendre une entreprise. »

Le transfert peut être partiel, où une partie seulement du capital-action est acquise par un groupe de personnes, ou bien total, où l’ensemble des employés, par exemple à travers une structure coopérative, fera l’acquisition de l’entièreté du capital. « La participation financière des membres peut être une mise de fonds, ce qui va permettre à la coopérative d’aller chercher du financement pour conclure la transaction », donne en exemple la directrice régionale de la Coopérative de développement régional du Québec.

Qu’une reprise d’entreprise se fasse collectivement ou non, les étapes de transfert sont sensiblement les mêmes, même si les délais peuvent varier, explique Mme Elkouzi. « C’est certain que le processus ne va pas se faire du jour au lendemain – tout comme une reprise au niveau privé, qui se fait sur le long terme -, pour s’assurer de ne pas mettre en péril la continuité de l’entreprise. Il y a d’abord une préparation à faire par le cédant et ensuite des évaluations à réaliser avec les parties prenantes au niveau de la faisabilité de procéder à l’acquisition, de la valeur de l’entreprise, des étapes d’implantation, du transfert de l’information et des contacts, etc. »

Une division égalitaire

Opérée sous la forme d’une coopérative, l’entreprise acquise collectivement devient donc démocratique. « Il y a des règles suivies par les membres, un conseil d’administration qui sera élu, mais, évidemment, c’est une entreprise qui doit avoir aussi des gestionnaires et des rôles définis », explique Nada Elkouzi.

Elle ajoute que lorsqu’on parle de reprise, la façon de travailler au quotidien n’est pas si différente d’une entreprise dite « régulière », mais qu’il s’agit plutôt de mettre en place des ajustements au niveau de l’organisation de la propriété collective de l’entreprise. « Chacun aura des fonctions à occuper en tant que membre propriétaire, mais sera aussi rémunéré selon ses responsabilités, le poste occupé, etc. Donc, comme dans toute entreprise privée, il  y aura une politique salariale, qui sera équitable en fonction du marché, pour que la coopérative reste compétitive et attire des talents. »

Gaëtan Cirefice de PME MTL Est-de-l’Île (Courtoisie)

Dans le modèle du repreneuriat collectif, la valeur de l’investissement monétaire ne mène pas à un plus grand pouvoir décisionnel, tient à préciser Gaëtan Cirefice. « Des actionnaires, par exemple, devront chacun une portion de capital et feront un peu ce qu’ils veulent avec. Alors que dans une situation de reprise collective, l’entreprise appartient à 100 % à la coopérative, et ce sont ses membres qui la géreront via celle-ci. Que les membres aient investi 1000v$ ou 100 000v$, ils ont le même droit de vote au final. »

Pour ce dernier, la gouvernance démocratique tient donc une place particulièrement importante dans ce modèle, puisque les personnes qui n’ont pas nécessairement les moyens d’investir un montant élevé dans la coopérative auront tout de même « un sentiment d’engagement et d’adhésion très fort, car ils auront le même impact dans la prise de décisions ».

Et qu’un membre propriétaire fasse partie des acquéreurs de départ d’une entreprise ou bien qu’il la rejoigne des mois plus tard, « le statut dans la coopérative reste le même », ajoute M. Cirefice.

Un modèle à succès encore peu répandu

Selon Mme Elkouzi, ce modèle, « qui n’est pas encore assez utilisé au Québec », gagnerait à être plus connu. « Il a un potentiel énorme, mais ce n’est pas encore nécessairement le réflexe des entrepreneurs de se tourner vers le repreneuriat », indique-t-elle. Gaëtan Cerfice abonde en ce sens, affirmant que dans la province « 92 % des entreprises sont des PME qui représentent un terrain très fertile pour la reprise collective ». Il croit également que ce modèle donne accès à des emplois « très valorisants pour des jeunes qui sont dans cette quête de sens professionnelle ».

Le CQCM dénote effectivement « peu de reprises collectives sur le territoire montréalais ». La moitié des démarches de repreneuriat aurait lieu dans des communautés de moins de 10 000 habitants, selon le conseil. Les données récoltées par le Global Entrepreneurship Monitor (2021) indiquent toutefois que la reprise collective serait plus populaire au Québec que dans le reste du Canada, avec un pourcentage de 35,8 % contre 25,1 %.

Le Cinéma Beaubien, repris en 2001 sous forme d’OBNL par des citoyens de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, est un exemple de réussite d’une reprise collective qui a permis de sauver in extremis une institution culturelle grandement appréciée des Montréalais.

Chose certaine, avec les départs à la retraite qui seront à la hausse au cours des prochaines années, le manque de relève entrepreneuriale deviendra un enjeu d’importance dans la province. Le repreneuriat collectif pourrait donc devenir une solution au défi de vente et de succession, croient Nada Elkouzi et Gaëtan Cirefice.

Mme Elkouzi rappelle que différents outils et leviers fiscaux au Québec permettent de financer et de faciliter ce type de transaction. « Donc, même si on peut penser que les employés de notre compagnie ne sont pas très riches et ne pourront pas acheter l’entreprise, il y a des façons de réaliser tout de même l’achat. Ce ne sont alors pas les individus qui auront à emprunter, mais l’entité collective. »

L’équipe de PME Montréal Est-de-l’île offre quant à elle aux divers modèles de coopératives un accompagnement personnalisé, en plus d’informer sur les différentes possibilités de financement. « On propose toute une gamme de services pour les coopératives et les OBNL, à toutes les étapes de la vie de leur organisation. On les écoute pour répondre à leurs besoins de la meilleure manière, que ce soit en matière de faisabilité, de planification de budget, d’obtention de subventions ou encore avec la mise en place de leur gouvernance. Notre équipe les accompagnera à l’interne ou bien les référera aux différents partenaires du milieu, comme la Coopérative de développement régional du Québec avec qui nous collaborons de près », termine Gaëtan Cirefice.

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