PÉNURIE D’EMPLOYÉS SECTEUR INSTITUTIONNEL : RÉINVENTER LE RECRUTEMENT ET RESTER FLEXIBLE

Dans une série de trois articles, EST MÉDIA Montréal se penche sur l’impact de la pénurie de main-d’œuvre dans différents secteurs économiques, soit le commercial, l’industriel et l’institutionnel. Jusqu’à quel point la pénurie les affecte-t-elle? Comment se traduit le manque d’employés au quotidien? Quelles solutions ont été trouvées pour pallier la situation? Et comment un employeur envisage-t-il l’avenir dans un tel contexte? Aujourd’hui, incursion dans le secteur institutionnel de l’est.

Rythmé par des rondes de négociations, des manifestations et des prises de position des différents partis politiques, l’automne a révélé le grand enjeu de pénurie de main-d’œuvre du secteur institutionnel québécois. L’éducation, la santé, les services de garde et plusieurs autres peinent à recruter des employés et doivent redoubler d’efforts afin de les attirer dans leurs rangs. Devançant la dernière saison automnale ainsi que la pandémie qui frappe depuis deux ans, le problème de la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur public était déjà amorcé depuis quelques années. « C’est arrivé graduellement, c’était de plus en plus difficile de trouver du personnel qualifié », témoigne Benoît Lalande, directeur adjoint pour le Centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île (CSSPI), qui regroupe 5 arrondissements de Montréal et compte à lui seul 42 000 élèves et 8 000 employés. Même son de cloche en santé : « La pénurie de main d’œuvre est le sujet de l’heure et il touche absolument tous les secteurs d’activités, et le réseau de la santé n’y échappe pas », ajoute Christian Merciari, porte-parole du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’est de l’Île-de-Montréal, qui « emploie plus de 17 000 personnes et dessert plus de 500 000 citoyens. »

Bien sûr, le manque d’enseignants tend à défrayer davantage les manchettes, tout comme l’insuffisance d’infirmières par exemple. Néanmoins, ce sont toutes les catégories d’emplois institutionnels qui souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre, ce qui résulte en un affichage quasi permanent de certaines offres d’emploi. « Les données varient de jour en jour », note le porte-parole du CIUSSS, « mais la pénurie de main d’œuvre touche autant les soins infirmiers, l’ergothérapie, le travail social, l’alimentation que les postes dans les secteurs administratifs. »

Le Centre intégré de dialyse Raymond-Barcelo de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (photo : EMM).

Pandémie et croissance

Si la pandémie n’aide en rien la pénurie de main-d’œuvre, augmentant par-dessus le marché les absences répétées pour cause de maladies, elle ne fait pas cavalier seul. Le CSSPI a aussi vu croître considérablement sa population d’élèves au cours des dernières années. « On a vraiment eu une grande croissance. Avant la pandémie, les frontières étaient ouvertes, ce qui amenait beaucoup d’élèves issus de l’immigration récente », mentionne Benoît Lalande. Et les trois centres de services scolaire (CSS) de l’île de Montréal, soit le CSSPI, le CSS Marguerite-Bourgeois et le CSS de Montréal vivraient cette croissance importante. « Chez nous, c’était vraiment marqué. Il y avait beaucoup de nouvelles familles qui s’installaient dans nos secteurs », ajoute le directeur adjoint du CSSPI. À la même période, le ministère de l’Éducation diminuait les ratios du nombre d’élèves par classe et créait des mesures pour aider les milieux défavorisés. En découlait un besoin plus grand d’enseignants et autres professionnels. Et du côté de la santé, les vagues d’infections qui se succèdent pèsent bien entendu sur le réseau qui doit se réorganiser parfois d’une semaine à l’autre, nous le rappelle sans cesse le gouvernement en place.

Benoît Lalande, directeur adjoint du CSSPI (photo courtoisie CSSPI).

Au CSSPI, on tient toutefois à préciser une chose : toutes les classes ont un enseignant attitré et la qualité des services n’est pas diminuée. « En entrevue, on garde des standards élevés afin de s’assurer que les gens qu’on engage connaissent les programmes de formation et les stratégies de gestion de classes. Je parle encore des enseignants, mais c’est la même chose en service de garde. Il y a des entrevues de sélection, des gens sont retenus et d’autres non, pour toutes sortes de raisons », souligne Benoît Lalande.

Adapter le recrutement

Les employeurs institutionnels doivent néanmoins adapter certaines de leurs pratiques à la crise actuelle, notamment en transformant leurs méthodes de recrutement. Certains CSS se sont tournés vers les universités, afin d’approcher les futurs enseignants dès les bancs d’école et de même en recruter avant la fin de leurs études. « Des étudiants de deuxième et de troisième années universitaires, qui ont une formation, une base, vont déjà être appelés à faire une suppléance ou à obtenir, à la fin de l’année, un petit contrat pour compléter leur année, chose qu’on voyait moins avant. J’ai moi-même une formation en enseignement et j’ai commencé à la fin de ma formation, j’avais fini mes quatre années d’université », se remémore le directeur adjoint du CSSPI. Et en ce qui concerne les autres professionnels en institutions scolaires, qui se font souvent rares? « On a des solutions. Si un jeune a besoin d’une évaluation en psychologie, en psychoéducation ou en orthophonie et qu’on n’a pas nécessairement la ressource pour le faire, on fait alors appel à une ressource extérieure », précise Benoît Lalande.

École Sainte-Marguerite-Bourgeoys, nouvellement rénovée et agrandie (photo courtoisie CSSPI).

En santé, on a misé, entre autres, sur des campagnes de recrutement. « Plusieurs ont été mises en place au cours des dernières années afin de maximiser les possibilités de recrutement pour notre organisation », explique Christian Merciari, porte-parole du CIUSSS de l’est de l’Île-de-Montréal. « Certaines de ces campagnes ont été plus ciblées que d’autres afin de recruter certains types d’emplois plus spécialisés. » Elles se sont déclinées en plusieurs volets tels que de la publicité traditionnelle et des campagnes numériques et de relations publiques. « Et une prochaine campagne est en cours de développement », révèle le porte-parole.

Développer la marque employeur, comme le font les entreprises privées, devient aussi une solution pour pallier la pénurie de main-d’œuvre. Autant les institutions de la santé que de l’éducation tentent de se différencier des autres, de montrer la valeur ajoutée à travailler pour elles. « Les CSS, on peut tous se ressembler », avoue Benoît Lalande. « On est à Montréal, oui, mais on n’est pas Marguerite-Bourgeois ni le CSSDM. On est la Pointe-de-l’Île, on a une couleur propre à nous et on essaie de la mettre à l’avant-scène. »

S’adapter aux candidats

Il n’y a encore pas si longtemps, il fallait se battre pour obtenir un poste, que ce soit en éducation ou dans le réseau de la santé. Aujourd’hui, les différentes organisations publiques s’arrachent les professionnels entre elles et doivent user de créativité pour se démarquer auprès d’eux. Et si aucun bris de service ne survient au CSSPI, c’est à cause d’efforts soutenus mis en œuvre par le département des ressources humaines et celui des communications, qui travaillent conjointement afin de traverser ensemble la tempête. « On réussit à ne pas couper dans les services en mettant des efforts constants dans le recrutement, ce qui n’était pas le cas avant. Et on est en compétition avec d’autres organismes publics qui cherchent les mêmes travailleurs qualifiés », renchérit Benoît Lalande. Le portrait des candidats a aussi évolué. Ces derniers ne recherchent pas nécessairement les mêmes conditions que leurs prédécesseurs. « Ils ne sont pas attirés par les mêmes choses que je l’étais quand je suis arrivé en emploi. Est-ce que c’est le salaire? Est-ce que ce sont les conditions de travail? Et à quel endroit ils vont pour faire leurs recherches d’emploi? On reste vraiment à l’affût des nouveautés, des tendances. Et on reste flexibles », indique le directeur adjoint du CSSPI.

Comme pour d’autres secteurs, profiter de l’expertise de professionnels à l’étranger participe aussi à pallier la pénurie de main-d’œuvre actuelle. « Depuis 2019, on a commencé à aller chercher des enseignants en France principalement. Les trois CSS de Montréal étaient impliqués », ajoute Benoît Lalande. « Chez nous, c’est une soixantaine d’enseignants qui sont partis de la France pour venir travailler avec nous. C’est une solution parmi tant d’autres, je dirais. Il ne manquait pas juste 60 enseignants, mais on utilise cette voie parmi d’autres pour arriver à mettre des enseignants dans chacune des classes. » Le CSSPI accueille ainsi environ 25 nouveaux candidats étrangers par nouvelle année scolaire, ce qui lui permet de conserver un certain équilibre dans l’accompagnement de qualité qu’il leur propose.

D’une période à l’autre, les besoins se déplacent. Le CSSPI semble avoir réussi à régler la plupart des situations problématiques dans ses écoles primaires. La prochaine épine se trouvera probablement au secondaire; en plus de la situation de pénurie déjà présente depuis quelques années et exacerbée par la pandémie, le CSSPI bâtit à l’heure actuelle deux nouvelles écoles secondaires sur son territoire. « Elles auront besoin de personnel », déclare le directeur adjoint. La pandémie nous l’a bien montré, la situation peut changer à tout moment! « Lorsque les frontières rouvriront, ça se peut qu’on ait encore beaucoup de jeunes issus de l’immigration récente qui entrent dans nos écoles primaires et qu’on ait alors besoin de s’ajuster. » Et du côté du CIUSSS de l’est de l’Île-de-Montréal, on semble fonder beaucoup d’espoir dans la prochaine campagne de recrutement. Espérons pour lui que la stratégie retenue fonctionne.