Bibliothèque de Maisonneuve, ancien hôtel de ville de la cité de Maisonneuve (EMM/Alexandre Gagné)

PARCOURS HISTORIQUE : LES 141 ANS DU VILLAGE DE MAISONNEUVE

Les travaux de prolongement du service rapide par bus (SRB) sur le boulevard Pie-IX au sud de la rue Sherbrooke sont l’occasion de rappeler à notre mémoire que l’endroit a longtemps constitué le cœur de l’ancienne Cité de Maisonneuve, qui souligne cette année ses 141 ans de fondation. Retour sur les traces de cette ancienne municipalité de l’est de Montréal.

En déambulant actuellement sur le boulevard qui porte le nom du pape Pie IX, souverain pontife de 1846 à 1878, on peine à imaginer que cette large artère a joué un rôle de premier plan dans le développement de la ville de Maisonneuve au XIXe siècle. Si les travaux en cours pour prolonger le SRB jusqu’à la rue Notre-Dame défigurent temporairement le secteur, ils permettent d’évoquer comment s’est construit ce qui a été le cinquième pôle industriel majeur au Canada, au début des années 1900.

Le parcours historique que propose l’Atelier d’histoire Mercier–Hochelaga-Maisonneuve donne au flâneur urbain la possibilité de découvrir comment est née cette ancienne municipalité à travers 12 lieux et bâtiments emblématiques.

Château Dufresne

En 1883, quand la municipalité d’Hochelaga est annexée à Montréal, de grands propriétaires terriens décident de fonder une nouvelle ville. Elle s’appellera Maisonneuve, en l’honneur du fondateur de Montréal, Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve. L’endroit n’est alors qu’un petit village comptant une cinquantaine de familles. Parmi les habitants se trouvent les frères Oscar et Marius Dufresne, les riches héritiers de l’entreprise familiale de fabrication de chaussures fondée par leur père, Thomas.

À la tête du conseil municipal, Marius Dufresne, ingénieur de formation, veut faire de Maisonneuve une ville moderne à l’européenne. Inspiré par l’avenue des Champs-Élysées, il dessine les plans du grand boulevard Pie-IX et de l’avenue Morgan. Puis, au coin de la rue Sherbrooke et du boulevard Pie-IX, les frères Dufresne se font construire deux maisons bourgeoises jumelées. C’est à cet endroit que débute le parcours historique.

Le château Dufresne (EMM/Alexandre Gagné)

Les travaux du château Dufresne s’échelonnent de 1915 à 1918 et coûtent à l’époque un million de dollars. La somptueuse résidence de 44 pièces, inspirée du Petit Trianon de Versailles, est la première du genre, en béton armé, à être construite à Montréal. L’intérieur sera décoré de nombreuses fresques peintes par l’artiste d’origine italienne Guido Nincheri. Les frères Dufresne résident dans le château jusqu’à leur décès, dans les années 1930 et 1940, avant que la bâtisse ne passe aux mains des pères de Sainte-Croix en 1948. La Ville de Montréal reprendra les lieux en 1957 pour y loger des musées jusqu’à ce que le château ne prenne sa vocation actuelle en 1999.

Le musée fait toujours l’objet de travaux. Lors de notre passage, l’entrée principale du château était toujours inaccessible, laissant dubitatifs des touristes sur l’accessibilité du lieu.

American Can

Marchant sur le boulevard Pie-IX vers le sud, nous passons devant le Parc olympique et l’avenue Pierre-De Coubertin, revampée au cours des dernières années. Puis, au coin de la rue Ontario, nous arrivons devant le complexe de l’American Can, une ancienne manufacture de boîtes de cigares et de conserves qui a débuté ses activités en 1901 sur un site occupé auparavant par une usine de fabrication de brosses. Le complexe a cependant été agrandi à deux reprises. Son architecture, avec des fenêtres à petits carreaux et en arche, rappelle celle de l’usine Ford de Détroit, aux États-Unis. L’entreprise a été un des plus gros employeurs de Maisonneuve pendant plusieurs décennies. En 1987, le siège social de l’American Can déménage en Ontario et la société prend le nom d’Onex Packaging.

Hôtel de ville

En traversant le boulevard Pie-IX, nous arrivons devant l’imposant hôtel de ville de Maisonneuve construit en 1910 et inauguré 2 ans plus tard. Toutefois, peu de gens savent que le premier bâtiment municipal était en réalité situé au coin de l’avenue Letourneux et de la rue Notre-Dame avant que celui-ci ne devienne le premier édifice de prestige de la municipalité naissante. Avec ses colonnades romaines et son intérieur en marbre, où apparait la devise de la Ville, «Foi et travail», l’immeuble de la rue Ontario veut alors exprimer une image de puissance et de prospérité que Maisonneuve souhaite mettre de l’avant. Après l’annexion de Maisonneuve à Montréal, le bâtiment aura diverses vocations : école, institut de recherche sur le cancer et bureaux municipaux avant de devenir une bibliothèque en 1981. En 2019, des travaux d’agrandissement et d’amélioration viendront cependant moderniser l’allure du bâtiment par l’ajout de deux ailes entièrement vitrées.

Usine de chaussures

En poursuivant notre marche sur la rue Ontario en direction est, nous remarquons la caserne de pompiers no 2, à l’angle de la rue Desjardins, qui a occupé ce bâtiment de sa construction en 1909 jusqu’en 2005, alors que la Ville y installe la Maison de la culture Maisonneuve. Puis, tout juste devant, nous distinguons, en lieu et place du CLSC Hochelaga-Maisonneuve, l’immeuble occupé autrefois par la Dufresne & Locke, l’importante manufacture de chaussures, propriété de Thomas Dufresne associé au marchand de cuir Ralph Locke. En 1904, l’entreprise, très prospère, exportera même une partie de sa production en Égypte. Employant dans ses bonnes années jusqu’à 500 travailleurs, l’usine fermera ses portes en 1937, un an après la mort d’Oscar Dufresne qui avait pris la succession de son père.

La Maison de la culture Maisonneuve, ancienne caserne no 2 (EMM/Alexandre Gagné)

Banques

Pour favoriser le développement économique de leur ville et attirer sur leur territoire de nouvelles entreprises et industries, les dirigeants municipaux accordent de généreuses subventions et exemptions de taxes, une stratégie adoptée par des villes de banlieue à cette époque, mais davantage par Maisonneuve. Pour gérer l’afflux de capitaux, plusieurs banques s’installent dans le secteur. C’est le cas de la Banque Molson, ouverte en 1906 dans un imposant immeuble en pierre calcaire de Montréal, à l’intersection de la rue Ontario et de l’avenue de La Salle. En 1925, l’institution passe aux mains de la Banque de Montréal, qui conserve une succursale à cet endroit jusqu’à la fin des années 1990. Au moins six autres banques vont s’installer à Maisonneuve au début des années 1900, signe de la vigueur économique de cette période.

Services publics

En marchant vers l’est, le flâneur urbain découvre la magnifique avenue Morgan où se trouvent le bain public ainsi que le Marché Maisonneuve, toujours en activités. Ouvert en 1916, le Bain Morgan, inspiré des thermes romains, vient à l’époque combler un besoin d’hygiène alors que très peu de logis sont équipés d’une baignoire. Les notions de propreté corporelle sont encore limitées et le lavage à la débarbouillette (ou gant de bain) demeure la norme.

Puis, en remontant l’avenue, on ne manque pas d’apercevoir l’impressionnant bâtiment du Marché Maisonneuve, dont la construction a été supervisée par Marius Dufresne lui-même. Les travaux qui débutent en 1912 mettront deux ans à être complétés. De style beaux-arts, l’immeuble doté d’un clocheton central a été construit au coût de 260 000 $, en dollars de l’époque. L’endroit est d’abord dédié à la vente de bétail dans tout l’est de Montréal, puis on y propose la vente de fruits et de légumes jusqu’au début des années 1960, alors que l’essor des supermarchés amène la Ville à fermer l’immeuble pour y loger plutôt des services municipaux. Le marché actuel, érigé dans un bâtiment adjacent, ouvre ses portes en 1995.

Le Marché Maisonneuve (EMM/Alexandre Gagné)

Divertissement et foi

La balade dans le Maisonneuve d’autrefois se poursuit rue Sainte-Catherine, devant le Théâtre Granada, aujourd’hui connu sous le nom de Théâtre Denise-Pelletier. L’immeuble, construit en 1929, est l’initiative de deux familles d’origine grecque impliquées dans le domaine cinématographique. C’est l’un des plus grands à Montréal avec plus de 1 685 places. En 1977, la compagnie du comédien Gilles Pelletier fait l’acquisition du théâtre et le rebaptise plus tard du nom de sa sœur Denise, également comédienne réputée, décédée deux ans auparavant. Le visiteur ne manquera pas de jeter un œil, au passage, au parc Morgan et à sa fontaine tout juste situés devant le théâtre.

La promenade se termine devant la première église de Maisonneuve : l’église du Très-Saint-Nom-de-Jésus, rue Adam. Après la construction d’une petite chapelle, la fabrique décide d’ériger l’église actuelle dont l’ouverture a lieu en 1906. Fait d’intérêt, les cinq cloches ont été coulées dans une fonderie d’Annecy, en Haute-Savoie, en France, et installées dans le clocher en 1912. L’intérieur, richement décoré, comporte une trentaine de vitraux conçus à Limoges, aussi en France, mais également un impressionnant orgue Casavant, une maison de facteurs d’orgues de Saint-Hyacinthe, acquis en 1914. L’instrument est le plus imposant de la métropole avec un système de tuyaux pesant près de 4 t. Laissé à l’abandon dans les années 1960, l’instrument se détériore. En 2009, le diocèse décide de fermer l’église au culte, mais une levée de boucliers et de fonds dans le quartier permet de sauver l’église et de restaurer graduellement l’orgue. Le bâtiment, rouvert depuis 2014, accueille d’ailleurs, cet été, les passionnés d’histoire qui peuvent profiter d’une visite guidée gratuite de l’orgue, du jeudi au samedi, et ce, jusqu’au 31 août.

L’église du Très-Saint-Nom-de-Jésus (EMM/Alexandre Gagné)

Il est possible de retrouver l’intégralité de ce circuit historique sur le site BaladoDécouverte ou sur la chaîne YouTube de l’Atelier d’histoire Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.