L’ÉCONOMIE SOCIALE : ÇA FAIT PARTIE DE NOTRE QUOTIDIEN
Que signifie pour vous le terme « économie sociale »? Si vous avez de la difficulté à répondre, n’ayez crainte, vous n’êtes certainement pas seul.e. L’économie sociale, qui fait partie de notre vie de tous les jours, est un écosystème relativement complexe qui peut inclure différentes formes juridiques d’entreprises et d’organismes, qui offrent des produits et services ayant pour finalité de répondre aux besoins des communautés qu’elles desservent. Généralement, les entreprises d’économie sociale sont des organismes sans but lucratif (OSBL), des coopératives, ou des mutuelles (plus présentes au Québec dans le milieu de l’assurance). Pour démystifier ce secteur économique qui représenterait pas moins de 10 % du PIB de la province, nous avons rencontré récemment Marc Picard, directeur général de la Caisse d’économie solidaire Desjardins, entité dédiée exclusivement aux entreprises d’économie sociale, et Jean-François Lalonde, directeur général de PME MTL Centre-Est.
L’économie sociale est partout
D’entrée de jeu, les deux comparses (ils se connaissent visiblement bien depuis des années) insistent pour dire qu’il faut distinguer l’économie sociale de l’action communautaire. Une œuvre de charité, ce n’est pas une entreprise d’économie sociale, mais un organisme de bienfaisance. « Bien des gens confondent encore aujourd’hui les groupes communautaires et les entreprises d’économie sociale. Tu peux avoir une charte OSBL autant pour l’un que pour l’autre, sauf que dans une entreprise d’économie sociale, c’est l’activité marchande qui prime », affirme Marc Picard. Ce qui ne veut pas dire qu’un OSBL comme Le Chaînon ne peut pas intégrer des volets d’économie sociale à ses opérations, comme un magasin de vêtements et articles de seconde main, par exemple. Mais en général, les entreprises d’économie sociale traditionnelles ont comme activité principale de vendre des biens et services qui ont pour but de palier à des besoins dans leurs communautés.
« Mais attention, ça ne veut pas dire qu’elle ne peut pas générer de bénéfices, loin de là. Une entreprise d’économie sociale, même si elle ne vise pas le profit aux actionnaires, reste une entreprise qui doit faire face à ses obligations, comme toutes les entreprises », soutient Jean-François Lalonde.
L’économie sociale est partout autour de nous. Desjardins et BMR sont des exemples sur la scène nationale. La Société de développement Angus, le Cinéma Beaubien, la Cuisine Collective Hochelaga-Maisonneuve, La TOHU, Cyclochrome, Insertech, Imprime-Emploi, en sont d’autres plus près de nous, dans l’est de Montréal. On retrouve des entreprises d’économie sociale dans presque toutes les sphères d’activité économique. « Les projets d’économie sociale, ça commence pratiquement toujours à petite échelle, par une mobilisation locale. Et souvent, comme le besoin se fait sentir aussi ailleurs, l’entreprise finit par faire des petits, ça prend de l’ampleur, et ça donne des Cinéma Beaubien, qui gère aujourd’hui d’autres cinémas, ou des Société de développement Angus, qui rayonne bien au-delà de Rosemont avec des projets de développement urbain à l’extérieur de son territoire d’origine. Ça crée des bons emplois, aussi », avance M. Picard.
Quelques chiffres éloquents… À la Caisse d’économie solidaire Desjardins, qui accueille comme clientes entre 30 et 40 % des entreprises d’économie sociale au Québec, on gère aujourd’hui un capital de plus de 4 milliards $ (à noter toutefois que 95 % des entreprises d’économie sociale du Québec sont clientes du Mouvement Desjardins). Ce n’est pas rien. Selon le Chantier de l’économie sociale, on compterait aujourd’hui au Québec 11 200 entreprises d’économie sociale, dont 1 650 coopératives et OSBL d’habitation, qui embaucheraient au total quelque 220 000 personnes. L’ensemble de ces entreprises posséderaient un capital évalué à près de 335 G $, alors qu’elles généreraient 48 G $ par année de revenus. Pas mal…
Voir au-delà de l’aspect financier
Si les retombées financières de l’économie sociale sont réelles et importantes au Québec, les effets collatéraux générés par les projets de ces entreprises passent souvent sous le radar, alors qu’ils ont un impact, la plupart du temps, beaucoup plus large que celui visé à l’origine. Le cas du Cinéma Beaubien, dans Rosemont, en est un bon exemple rappelle Jean-François Lalonde. « Quand la collectivité s’est mobilisée pour sauver le Cinéma Beaubien, cela a bien sûr permis de garder des emplois dans le quartier et d’assurer une pérennité à cette institution importante tant pour l’arrondissement que pour tous les amateurs de cinéma à Montréal. Mais ce que l’on a remarqué par la suite, c’est que les commerces sur la rue Beaubien, aux alentours, bénéficiaient grandement de l’achalandage renouvelé du cinéma et cela a complètement dynamisé le secteur. Les policiers ont même affirmé que cette activité humaine importante dans le quartier avait fait diminuer le taux de criminalité. Je pense qu’il faut tenir compte de ce genre de rentabilité sociale aussi dans le calcul des retombées d’un projet, il faut penser au-delà de la profitabilité. »
L’entrepreneuriat n’est pas un monde facile, tant dans le privé que dans le secteur de l’économie sociale. Chaque modèle d’affaires a ses avantages et ses inconvénients. Par exemple, même si à priori on pourrait penser le contraire, le financement pour une entreprise d’économie sociale n’est pas nécessairement plus facile à obtenir que pour l’entrepreneur privé. « Oui il y a des subventions, des programmes, mais ces fonds sont généralement moins garnis pour les entreprises d’économie sociale, on doit travailler avec moins de capital de risque. Il y a encore une culture de l’entreprenariat traditionnel chez nos gouvernements, même s’il y a une amélioration au fil de temps. On remarque aussi que les programmes sont plus généreux au niveau des prêts que des subventions pour l’entreprise d’économie sociale, mais ça reste de l’endettement pour elle », explique le directeur de PME MTL Centre-Est.
Ce dernier ajoute, à titre d’exemple, que les entreprises d’économie sociale, comparativement à l’entreprise privée, n’ont généralement pas droit aux subventions et à l’équivalent de crédits d’impôt pour la recherche et le développement, ce qui est un réel frein au déploiement d’initiatives qui demandent du savoir et de l’innovation technique. « Si on pense à des secteurs d’avenir comme la récupération, la transformation de matières résiduelles, qui jouent un rôle important dans nos stratégies de développement durable, ce genre de financement est essentiel. Et pour l’instant, ça limite même, en bout de ligne, les aspirations d’organisations comme les municipalités qui cherchent des solutions en ce sens, parce que les entreprises d’économie sociale dans ce secteur d’activité manquent de financement sur leur territoire. »
L’un des autres grands enjeux pour le financement des entreprises d’économie sociale depuis quelques années est leurs difficultés à pouvoir soumissionner sur des contrats publics (gouvernementaux et institutionnels). Les critères de sélection inscrits dans les appels d’offres sont souvent trop restrictifs pour permettre aux entreprises d’économie sociale, qui sont en majorité de petites organisations, de soumissionner. « C’est un problème car on écarte premièrement d’office beaucoup de fournisseurs potentiels de qualité, et ça limite énormément bien des entreprises d’économie sociale dans leur développement. C’est un enjeu extrêmement important qui fait l’objet de pressions actuellement à Québec », soutient Jean-François Lalonde. Rencontrée récemment par EST MÉDIA Montréal, la ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, Chantal Rouleau, affirmait être bien au fait de cette situation et avait clairement exprimé son désir de rectifier le tir dans une prochaine réforme de la Loi sur l’économie sociale. Des initiatives comme l’Économie sociale, j’achète!, un mouvement pour encourager les acheteurs à créer des liens d’affaires avec les entreprises d’économie sociale dans une perspective d’approvisionnement responsable, viennent toutefois soutenir les entreprises qui souhaitent développer leurs liens d’affaires avec ces marchés.
Une économie résiliente
Plusieurs études dans le monde entier ont confirmé que les entreprises d’économie sociale, en général, passent mieux à travers les crises économiques, environnementales ou sanitaires que l’entreprise traditionnelle. La COVID 19 a particulièrement bien démontré ce phénomène au Québec avance Marc Picard. « À un certain moment pendant cette crise, la Caisse d’économie solidaire était celle qui avait la plus forte croissance de tout le Mouvement Desjardins, alors que dans le secteur privé l’heure était plutôt à l’austérité. Les paliers de gouvernement investissaient aussi dans les entreprises d’économie sociale, dont plusieurs étaient sur le terrain pour aider directement la population. En fait, depuis maintenant plus de 10 ans que je suis en poste chez Desjardins, et la Caisse d’économie solidaire n’a jamais connu une seule année de décroissance. Je pense que ça s’explique aussi par l’intérêt des gouvernements à maintenir et bonifier graduellement l’aide aux entreprises d’économie sociale. »
Le directeur général de PME MTL Centre-Est affirme observer lui aussi une croissance de l’économie sociale dans son portefeuille. « Nos financements allant au secteur privé variaient depuis des années entre 60 et 65 %, mais la tendance est claire, beaucoup de jeunes entrepreneurs se tournent en ce moment vers l’économie sociale. Cette année on s’approche même du 50/50 », conclut Jean-François Lalonde.
Note de PME MTL Centre-Est :
L’économie sociale, une solution pour un développement intégré de l’est de Montréal
L’économie sociale vise à intégrer des objectifs économiques, sociaux et environnementaux dans le développement d’un territoire ou d’une communauté. Dans le contexte de l’est de Montréal, où il peut exister des défis socioéconomiques et des besoins spécifiques, l’économie sociale peut jouer un rôle clé dans la promotion d’un développement intégré et équilibré.
Ces atouts offrent des opportunités de développement économique, social et culturel pour l’est de Montréal. En capitalisant sur ces forces, l’est de Montréal peut renforcer son attractivité et stimuler sa croissance de manière durable et intégrée.
Il convient de noter que l’économie sociale ne peut être la seule réponse au développement intégré de l’est de Montréal. Cependant, elle constitue un outil important qui peut compléter d’autres approches et initiatives de développement.
A travers cette série dédiée à l’économie sociale, des acteurs qui façonnent le territoire seront mis de l’avant. Vous ferez sans doute de bien belles découvertes!