DE PRÉCIEUSES COOPÉRATIVES D’HABITATION DANS RDP
Très peu de chantiers pour construire des coopératives d’habitation ont été lancés dans les dix dernières années à Rivière-des-Prairies (RDP). Pourtant, le besoin pour une telle offre en logements subventionnés est énorme dans ce quartier où une importante partie des résidents vit avec de faibles revenus.
Heureusement, quoique trop peux nombreux, les efforts pour créer des logements sociaux se poursuivent et portent souvent leurs fruits. Il en est ainsi de la coopérative Au courant du quartier, située sur le boulevard Rodolphe-Forget et dont les habitations furent achevées en 2015. C’est à l’origine la Corporation de développement communautaire (CDC) de RDP qui mit en place les pièces sur l’échiquier pour que le projet se concrétise. « La CDC RDP a travaillé même avant la mise en œuvre de la Table de développement sociale sur ce dossier qui a mené à la création d’une coopérative. À la suite de discussions lors de la Journée de l’habitat que nous avons organisé en 2008, un comité s’est mis en place », raconte Isabelle Fortin, agente de liaison à la CDC RDP. L’organisme Bâtir son quartier a ensuite collaboré au projet pour assurer la concrétisation de 57 logements sociaux.
Toutefois, depuis cette aventure, seulement un seul autre projet s’est réalisé dans le quartier, soit celui de la coopérative Brise-de-l’Île, située sur la rue Joseph-Morin. Construit en 2018, ce bâtiment a ajouté 33 logements sociaux au parc locatif de RDP.
Selon les informations collectées par EST MÉDIA Montréal à partir des données en ligne de la Fédération de l’habitation coopérative du Québec, il existe 229 unités de logement social dans le quartier, dont 139 unités ont été construites il y a plus de dix ans, soit 61 % du total.
Des besoins impérieux
Il y a une « stagnation dans la création de nouveaux logements sociaux dans RDP », d’après Dominique Martel, organisatrice communautaire chez Infologis.
« Il y a des projets qui se sont construits dans le passé, mais depuis quelques années, il n’y a pas grand-chose qui a vu le jour », poursuit-elle. Pis encore, la situation risque de s’aggraver avec l’abolition de programmes comme Accès Logis, qui a été remplacé par le Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ).
« Avec ces nouveaux programmes, on parle surtout de logements abordables et de moins en moins de logements sociaux, et ça nous inquiète en tant que comité logement. Nos requérants, les personnes qui viennent nous voir parce qu’ils ont besoin de logements, ce ne sont pas des logements abordables qu’il leur faut. Ils ont des besoins impérieux, il leur faut donc un logement adapté à leur capacité de payer. Donc ce n’est pas un logement qui est un peu en bas du prix courant qui va les aider », explique Mme Martel.
Lorsqu’il est question de logements sociaux, les locataires admissibles – ils doivent gagner en deçà de 33 500 $ à Montréal – ne consacreront pas plus de 25 % de leurs revenus pour leur loyer, peu importe la valeur marchande de celui-ci. A contrario, la signification du terme logement abordable varie beaucoup en conséquence des programmes offerts et des barèmes de l’administration municipale concernée. C’est souvent un pourcentage de la valeur du loyer sur le marché qui est proposé au locataire, qui se trouve fréquemment dans un édifice privé, grâce à des subventions. « Le problème avec l’idée du logement abordable, c’est qu’à la base ce n’est pas la capacité de payer du locataire qui est prise en compte pour faire le calcul », insiste la coordonnatrice. On risque donc d’assister à des envolées pour le prix des loyers lorsque le marché locatif s’enflamme.
En effet, les données les plus récentes à la portée d’Infologis, provenant du Recensement de la population de Statistique Canada en 2016, rapportent qu’à RDP, près de 20 % des locataires déboursent plus que 30 % de leur salaire pour se loger. De plus, le taux d’inoccupation dans le quartier demeure très bas, aux alentours de 1,3 %. « Ça fait en sorte que les loyers sont de plus en plus chers. Selon une récente enquête des Regroupements des comités logement et associations de locataires du Québec, en 2023, il fallait payer 1 349 $ par mois en moyenne pour se loger dans RDP, tandis qu’en 2021, ce montant était de 1 086 $ », souligne Mme Martel. Il faut également tenir compte que ces données datent déjà de plusieurs années, alors que l’inflation immobilière a explosé depuis le début de la présente décennie. La réalité est probablement encore plus préoccupante aujourd’hui.
Changer des vies
Déménager dans une coopérative peut complètement changer la vie des locataires. C’est ce que relate Sylvie Despatie, résidente de la coop Au courant du quartier depuis son inauguration. « Avant, je vivais dans un bloc au coin d’Armand-Bombardier et Maurice-Duplessis et c’était insalubre. Il y avait des coquerelles et mes enfants étaient toujours malades. Puis, on a déménagé dans la coop et ç’a été merveilleux. Je suis bien, j’ai vraiment l’impression d’avoir mon chez-moi », insiste-t-elle.
La mère de trois jeunes adultes peut encore profiter de son 6 et demi sans craindre de se faire évincer. Elle bénéficie aussi de subventions pour son loyer et se dit convaincue qu’elle ne pourrait pas se loger adéquatement en dehors de la coopérative. « Sans rabais et subventions du gouvernement, un loyer pour un logement comme le mien à RDP coûterait environ 1 200 $, alors qu’ici je paie 400 $. Impossible pour moi de me loger au privé en ce moment », ajoute Mme Despatie.
Difficile de créer une coopérative d’habitation
Selon Edith Cyr, directrice générale de Bâtir son quartier, créer des projets de coopérative exige une importante mobilisation de la part d’un milieu. « On a vu que plusieurs des acteurs, la CDC, Infologis, les élus et notre organisme, se sont mis autour de la table pour concrétiser Au courant du quartier. Ce fut une belle mobilisation qui a donné des résultats », affirme-t-elle.
Cette dernière ne se voit pas étonnée du peu de mises en chantier de coopératives d’habitation dans les récentes années. Le nerf de la guerre, le financement, n’est tout simplement pas au rendez-vous. « Dans tous les quartiers, pas seulement RDP, la demande est beaucoup plus forte que l’offre. Il n’y a jamais eu assez de coops pour les besoins. Du côté du financement, ce qui est offert en ce moment, ce sont surtout des appels d’offres. Les gouvernements lancent des ouvertures de contrat et il faut y faire une demande à ce moment-là. Autrefois, on avait des enveloppes en entrée continue, donc en tout temps on pouvait déposer un projet. Ou sinon, ça se faisait par cycles. Ce qui arrive parfois, c’est qu’on travaille sur un montage pendant un certain temps et qu’il est trop tard pour s’inscrire à un programme. Il faut donc attendre au prochain », souligne la directrice.
Celle-ci note d’ailleurs que dans RDP, puisque près de 70 % des résidents sont propriétaires de leur domicile, les propriétés disponibles pour la conversion en coopératives sont moins nombreuses, ce qui occasionne un frein additionnel à ce type de développement.