ACHETER UN TERRAIN CONTAMINÉ : UNE BONNE AFFAIRE ?
Dans bien des cas, oui, affirment quelques acteurs immobiliers interrogés par EST MÉDIA Montréal, habitués de transiger ce type de terrain dans l’est de la métropole, mais pas toujours, et la prudence reste de mise. C’est aussi l’avis d’experts en décontamination de sols, tel que Benoit Dion, directeur principal, développement des affaires chez SANEXEN. Selon lui, c’est surtout la connaissance réelle de ce qu’il y a dans le sol et les solutions retenues pour la décontamination qui détermineront en bout de ligne si le deal est bon, ou pas. Bien sûr, en amont, il faut que le prix au pied carré soit alléchant, ce qui est généralement le cas lorsque ce genre de terrain est à vendre.
« L’évaluation de ce qui se cache dans le sol, donc procéder à une caractérisation du terrain selon les règles de l’art, faite par des professionnels accrédités par les instances gouvernementales, est incontournable si on veut minimiser les risques. C’est la base, car c’est à partir de cette caractérisation de sol que les firmes spécialisées pourront élaborer les scénarios possibles de décontamination et de réhabilitation du terrain. Et bien sûr les coûts associés au projet », explique Benoit Dion.
Cette étape, la plupart du temps, est assumée par l’acheteur potentiel. Même si plusieurs données sont disponibles à la vente, comme l’historique des activités sur le terrain (qui donne évidemment une bonne idée de la contamination du site), et même certaines études de sols antérieures, il faut généralement procéder à une caractérisation faite par une compagnie spécialisée, ce qui peut s’avérer dispendieux dépendant de la superficie du terrain et de la complexité des analyses requises. Il faut souligner également que la loi oblige une réhabilitation environnementale si l’usage du terrain change (construire un édifice à bureaux ou des tours à condo sur le terrain d’une ancienne pétrolière, par exemple). « Si l’acheteur est sérieux, il ne prendra aucune chance dans la qualité des études de caractérisation, à moins que cela n’ait été fait antérieurement par une firme reconnue, et qu’il peut valider », affirme M. Dion.
Comme ces études de sols peuvent demander des investissements de plusieurs dizaines de milliers de dollars, on imagine bien qu’on ne parle pas ici de petites entreprises. Car si en bout de ligne l’achat n’en vaut pas la chandelle pour le promoteur, la perte financière découlant des frais d’analyse est nette et immédiate. Pour aider à stimuler la décontamination des sols industriels dans l’est de Montréal (Secteur Industriel de la Pointe de l’Île-SIPI), la Ville a par ailleurs annoncé récemment un programme de subvention fort généreux qui peut défrayer jusqu’à 90 % des frais de décontamination, incluant les coûts d’analyses, une première qui fera sans doute bouger les choses sur ce territoire. Cette aide financière découle d’un investissement spécial de 100 M $ offert par Québec et dédié uniquement à la décontamination des sols de l’est de Montréal, une promesse qu’avait faite la ministre Chantal Rouleau à la dernière élection.
Comment et quoi décontaminer : la question qui tue
Une fois que l’on sait ce que le terrain abrite comme contaminants et ce que la réglementation exige comme réhabilitation pour l’usage que l’on prévoit, ce sont donc les solutions proposées qui viendront déterminer, en quelque sorte, le coût final du terrain. S’il n’existe d’autres solutions qu’excaver et détourner la terre vers un site d’enfouissement ou un centre de traitement, et remblayer par de la terre saine, ce sera extrêmement dispendieux pour l’acquéreur. Par contre, s’il s’agit d’hydrocarbures, la décontamination pourra sans doute se faire « in situ », donc sur le site même, par un procédé naturel de biotraitement, bien connu des firmes de décontamination. Il peut aussi y avoir des solutions hybrides sur un même site, dépendant des usages que prévoit en faire le propriétaire du terrain.
« Le nerf de la guerre dans notre industrie, c’est d’arriver avec des scénarios pour le client qui lui permettront de sauver le plus d’argent possible tout en permettant une réhabilitation adéquate et réglementaire du sol en fonction de ses activités. Les firmes qui se démarquent aujourd’hui sont celles qui ont plusieurs cordes à leur arc, dont les niveaux de connaissance et d’expertise permettent d’élaborer des plans créatifs et innovants. Par exemple, on ne traitera pas nécessairement de la même manière une zone de stationnement que celle prévue pour un bâtiment administratif ou encore une usine de production. On pourra même aller jusqu’à proposer des aménagements si ça peut réduire de façon considérable certains coûts de réhabilitation », explique Benoit Dion.
Il y a aussi les délais de traitement qui entrent en ligne de compte pour une majorité de clients, pressés de réaliser leurs projets. Car comme le dit si bien l’adage, le temps, c’est de l’argent… « C’est certain que le temps de décontamination peut être un frein pour certains acheteurs. Dans certains cas, il faut attendre plusieurs mois avant de faire quoi que ce soit sur un terrain en biotraitement, comme ça peut être le cas pour des grandes superficies, des anciennes pétrolières par exemple, ce n’est pas tout le monde qui peut attendre. Mais pour des plus petits terrains, la décontamination sur site peut prendre quelques semaines seulement. Évidemment, la solution de sortir le sol est toujours possible si on veut gagner du temps, mais les coûts sont beaucoup plus élevés », soutient le directeur principal, développement des affaires de SANEXEN.
Les défis de l’est de Montréal
Avec plus ou moins 40 000 000 de pi2 à décontaminer, selon les références, le sol de l’est montréalais traîne avec lui les reliquats de son passé industriel. Ce qui a longtemps été perçu comme un frein au développement de la région semble maintenant une opportunité d’affaires aux yeux de plusieurs, alors que les terrains se font très rares sur l’île de Montréal. On cherche du terrain, l’est en a. Mais à quel prix?
Selon des données conservatrices du marché immobilier, les 13 000 000 de pi2 tout juste mis en vente par ESSO, à Montréal-Est, vaudraient sur le marché actuel environ 300 M $, non-décontaminés. Et il n’existe aucune infrastructure publique desservant cette immense superficie, comme beaucoup d’autres terrains contaminés dans ce même secteur (égout, aqueduc, électricité, routes, etc.). Au-delà de la décontamination des sols, la mise en place d’infrastructures municipales, qui demandera des investissements publics beaucoup plus importants que la réhabilitation des terrains, est donc l’éléphant dans la pièce en ce qui concerne la reconversion des zones industrielles de l’est de Montréal. « Évidemment, pour ce genre de terrain (ESSO), comme pour l’ancien territoire de Shell, les frais de décontamination sont une chose, mais sans infrastructures municipales, il faut être réaliste, ce sera beaucoup plus difficile d’attirer les investisseurs. C’est la grande question en ce moment », avance Benoit Dion.
Donc, si les programmes d’aide financière pour la décontamination des sols dans l’est de Montréal s’accentuent et se font plus généreux, il faudra en faire plus pour développer les grands terrains. C’est probablement une des raisons qui expliquent d’ailleurs le peu d’engouement jusqu’à maintenant du secteur privé envers le programme d’aide financière offert par la Ville de Montréal pour décontaminer les terrains dans le SIPI. Toutefois, précisons que ce programme exclut le terrain des pétrolières, et que la Ville s’active depuis quelques semaines à mieux le faire connaître auprès des propriétaires terriens de cette zone.
Une bonne affaire, un terrain contaminé? « Comme je l’ai dit, ma réponse est souvent oui, mais cela dépend de plusieurs facteurs. Chez SANEXEN, on voit chaque année des clients qui réalisent de très bonnes affaires dans l’est de Montréal. Il ne faut pas avoir peur d’envisager l’acquisition d’un terrain avec un passif environnemental, les firmes comme la nôtre dans le domaine s’occupent d’à peu près tous les aspects, de l’analyse à la réhabilitation du terrain, ce qui inclut la maîtrise de la réglementation, les échanges avec les autorités gouvernementales et la gestion des demandes de subvention. Malgré ces frais, beaucoup de terrains, une fois réhabilités, auront été acquis à coût moindre que le marché », conclut Benoit Dion.