Christian Yaccarini SDA

Christian Yaccarini, président et chef de la direction de la Société de développement Angus (photo : Ulysse Lemerise).

UN CAFÉ AVEC… CHRISTIAN YACCARINI

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Produire un dossier spécial sur le développement de l’est de Montréal sans s’asseoir à la table de Christian Yaccarini serait, comment dire… s’intéresser au tennis canadien en ignorant Félix Auger-Aliassime? S’il y a un acteur sur le territoire qui est au courant des grands dossiers de développement de l’est, quand il ne fait pas carrément partie des instigateurs, c’est bien le président et chef de la direction de la Société de développement Angus. Il faut dire que le gestionnaire connaît l’est, aime l’est et milite activement pour l’amélioration du cadre de vie dans l’est depuis déjà plus de 30 ans. Et c’est toujours le cas aujourd’hui. Alors on s’est assis avec lui, nous avons pris un café, et on a jasé Est de Montréal… sans filtre.

EST MÉDIA Montréal : Le dossier de l’heure dans la région, le REM de l’est, est un projet qui vous tient vraiment à cœur. Pourquoi est-il si important à vos yeux?

Christian Yaccarini : On le sait depuis des décennies maintenant, l’est de Montréal a été longtemps négligé par les différents gouvernements qui se sont succédés et le territoire fait face à beaucoup d’iniquités; d’enjeux sociaux, économiques et environnementaux extrêmement importants qu’il faut régler aujourd’hui. Et pour y arriver, il faut avant tout régler la question du transport. Il faut désenclaver l’est, le connecter efficacement au réseau collectif montréalais afin d’améliorer la mobilité des résidents de l’est, mais aussi permettre aux gens, aux travailleurs notamment, de venir facilement dans l’est, sans avoir à prendre leur voiture. Le développement de l’est, ou sa revitalisation si vous voulez, passe en premier lieu par une amélioration significative du réseau de transport. Et c’est maintenant qu’il faut le faire parce que, comme on sait qu’un projet comme le REM de l’est prend 10-12-15 ans à réaliser, si on manque le bateau alors que les conditions semblent gagnantes comme aujourd’hui, en 2035 il va être tout simplement trop tard. Je pense que le projet du REM de l’est est pas mal plus important que la décontamination des sols en ce moment, en passant… quoique l’un n’empêche pas l’autre, bien sûr.

EMM : Vous militez pour un lien direct avec le centre-ville, connecté au noyau du réseau de transport collectif montréalais. Pourquoi est-ce essentiel selon-vous?

CR : Si on n’a pas ce lien avec le REM de l’est, on ne réussira pas à désenclaver réellement l’est de Montréal. Je suis d’accord qu’il faut améliorer la mobilité du transport collectif « intra-est », comme plusieurs experts le souhaitent avant tout, mais il faut aussi « ouvrir » l’est aux gens de l’extérieur de l’est. Il faut que les travailleurs dans l’est, en santé, dans les zones industrielles, dans le réseau scolaire, puissent accéder efficacement et rapidement à leurs lieux de travail en transport collectif. C’est un frein au développement de l’est en ce moment parce que les employeurs hésitent à s’installer dans des endroits peu desservis par le transport en commun.

EMM : Le projet d’un REM aérien dans le secteur de Mercier-Est fait toujours face à une vive opposition de résidents. Quelle est votre position à ce sujet ?

CY : Concernant le tronçon Souligny, je suis persuadé qu’il existe des solutions. Ce n’est pas vrai qu’on ne peut pas passer un lien sur le bord d’une voie ferrée. Il faut proposer un concept qui sera acceptable pour les gens du secteur sans mettre en cause la viabilité de tout le projet. Je crois que l’ARTM et les joueurs impliqués peuvent y arriver.

EMM : Revenons sur la décontamination des sols. Pourquoi dites-vous que le REM de l’est est plus important que la décontamination?

CY : Parce que ça ne sert à rien de mettre des dizaines, des centaines de M $ en décontamination si on ne développe pas le réseau de transport. Les grands terrains à décontaminer et à requalifier, surtout les anciennes pétrolières, si on ne les relie pas à un réseau de transport structurant, si on ne projette pas de le faire, tout ce qui va s’installer là ce sont des entrepôts, comme Amazon. Essayons d’éviter que les terrains vacants de l’est se développent tout croche, ça c’est notre job numéro un. Il faut s’organiser pour que ces terrains-là ne disparaissent pas au profit d’usages qui ne généreront pas de développement économique réel pour le territoire et la population qui l’occupe.

EMM : On parle depuis quelques années déjà d’une possible zone d’innovation qui s’implanterait justement dans le secteur des anciennes pétrolières. On entend des qualificatifs comme « chimie verte », « économie circulaire », ou encore « clean tech ». Rien n’est clair en ce moment, mais quelle est votre opinion quant à la revitalisation de ce secteur névralgique pour l’est de Montréal?

CY : C’est vrai que l’on entend pas mal de choses concernant l’avenir de ce territoire, et que la chimie verte ou l’économie circulaire revient constamment dans le discours public. Ce que j’espère, c’est que ces qualificatifs ne finissent pas par justifier que l’on fasse de cette partie de l’est un immense secteur dédié au recyclage. Surtout si c’est pour que la valeur ajoutée, la recherche, le savoir, les sièges sociaux, se retrouvent ailleurs, et que l’est serve à accueillir les usines de traitement et de transformation. Quand j’entend ces temps-ci qu’une zone d’innovation en technologies propres pourrait être bicéphale, avec le savoir et la recherche dans l’ouest de Montréal, et le traitement des matières dans l’est, ça me fait un peu peur, j’avoue. Ce n’est vraiment pas ce que j’appelle une vision de développement intéressante pour l’est de Montréal. J’ai donc très hâte de voir ce que les villes de Montréal et Montréal-Est vont sortir comme plan directeur pour le SIPI (secteur industriel de la Pointe-de-l’Île), parce qu’il faudra s’assurer que ce territoire ne se développe pas de cette façon.

EMM : Il y a dans ce parc industriel la fameuse « chaîne du polyester » qui sont justement des entreprises de haute technologie qui ont un pied dans les technologies propres. Ce ne serait pas une base pour implanter la zone d’innovation?

CY : Effectivement. Je pense que l’on pourrait peut-être partir de là parce que cette expertise en technologie propre est bien implantée, elle continue de se développer et on aurait déjà une bonne assise. Il faudrait certainement analyser cette possibilité.

EMM : L’autre zone d’innovation qui devrait incessamment être officialisée dans l’est de Montréal est celle d’un pôle santé d’envergure, projet dans lequel la Société de développement Angus est impliquée. Mais qu’est-ce qui définit, finalement, une zone d’innovation dans le secteur de la santé?

CY : Selon moi, cette zone d’innovation a trois objectifs. Le premier, c’est de développer l’industrie des sciences de la vie sur le territoire. Ensuite, il faut que cette zone d’innovation serve de levier pour revitaliser l’est de Montréal, pour remplacer certaines vieilles industries et infrastructures par de nouvelles, plus tournées vers les sciences et la technologie. Finalement, c’est bien certain que tous ces investissements doivent améliorer et le réseau et les indicateurs de santé pour les gens de l’est de Montréal. Angus a déjà commencé à construire des infrastructures dédiées au secteur de la santé sur son terrain et on attend les plans de reconstruction de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Il faut que tout ça, entre autres investissements en santé dans l’est, serve de catalyseur pour attirer d’autres acteurs de haut niveau dans ce domaine, des pavillons universitaires aussi, afin que notre région soit reconnue comme un leader dans ce secteur d’activité, et profite de l’impact socio-économique qu’une telle zone d’innovation peut générer. C’est ça qu’on veut pour l’est.

EMM : Est-ce que la Société de développement Angus a de nouveaux projets dans sa mire pour l’est de Montréal?

CY : Le déploiement de l’écoquartier Angus se poursuit, notamment avec la construction de l’école À pas de géant et de nouvelles unités d’habitation. Le projet de reconversion du 3333 Crémazie en ateliers d’artistes est actuellement également en cours. Et il y a bien sûr le fameux projet de revitalisation du Vieux Pointe-aux-Trembles qui avance selon l’échéancier prévu. Ce qu’il y a de vraiment nouveau, ce sont des projets qui sont en réflexion à Montréal-Est et dans Saint-Michel. Mais comme rien n’est officiellement ficelé, on ne peut pas élaborer davantage sur ces projets pour l’instant. Sinon je pourrais ajouter qu’un nouveau bâtiment mixte est sur la planche à dessin en ce moment sur le terrain d’Angus concernant le secteur de la santé, et qu’on travaille à signer une entente avec la firme Biolabs pour qu’elle vienne installer une antenne chez nous. Ce serait vraiment un bon coup pour l’est de Montréal car cette entreprise de Boston est un grand incubateur en santé reconnu mondialement et qui possède des installations dans 12 grandes villes aux États-Unis et en Europe. Donc, comme on dit, il y a beaucoup de choses dans le collimateur de la SDA!


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