Louise Harel – Crédit photo EMM.

UN CAFÉ AVEC… LOUISE HAREL

Est Média Montréal lance aujourd’hui une nouvelle série de textes intitulée « Un café avec… », qui vous proposera à chaque mois une rencontre exclusive et sans prétention avec une personnalité de tous horizons qui a laissé sa marque dans l’Est de Montréal, ou qui possède un lien tangible avec la région.

Pour inaugurer cette série, nous avons pensé à l’incontournable Louise Harel, députée d’Hochelaga-Maisonneuve pendant sept mandats et 28 années consécutives, chef de Vision Montréal de 2009 à 2013, maintes fois ministres et à la fois actrice et témoin privilégiée de l’évolution moderne de l’Est montréalais. De plus, il y avait longtemps que nous n’avions pas entendu Mme Harel commenter l’actualité politique, particulièrement sur le territoire qui nous intéresse. Voici donc les principaux extraits de notre discussion avec « la grande dame de l’Est », qui s’est déroulée fin juillet au Marché Maisonneuve.

Est Média Montréal : Mme Harel, comment allez-vous, et profitez-vous bien de votre retraite?

Louise Harel : Ça va très bien. C’est une période de ma vie que j’apprécie beaucoup en ce moment. Moi qui ai toujours vécu en quatrième vitesse durant mes 28 années comme députée et par la suite mes quatre autres années à l’hôtel de ville de Montréal, le rythme de vie est inévitablement plus calme aujourd’hui (rires).

EMM : Vous êtes tout de même impliquée dans plusieurs causes, non?

LH : Je me rends utile. Je n’ai pas beaucoup appris à dire non, même au fil du temps, alors quand on me sollicite, habituellement je réponds par l’affirmative. Je m’implique par exemple au sein du projet Sac à dos, je suis ambassadrice de la Fondation des Auberges du cœur, présidente du c.a. du comité de la fête nationale, membre active de la Société historique de Montréal, membre du c.a. du Festival des Petits bonheurs, et j’en oublie…

EMM : Est-ce que vous vous ennuyez de la politique active?

LH : Oui, mais il arrive un temps où il faut passer le flambeau à d’autres. Il faut ensuite accepter de ne plus avoir l’influence qu’on a déjà eu. Mais le sujet politique m’intéresse toujours et je reste aux aguets de ce qui se passe, notamment dans l’Est de Montréal où j’habite toujours.

EMM : Justement, parlons de l’Est. Est-ce que l’effondrement des châteaux forts péquistes dans l’Est de Montréal l’an dernier vous a perturbé et comment expliquez-vous ce phénomène?

LH : Dans l’Est, pour le PQ, c’est la vague Québec Solidaire qui a fait mal, pas la vague caquiste. En fait la CAQ a sauvé les meubles à Montréal en faisant élire Chantal Rouleau dans Pointe-aux-Trembles, et par une faible majorité gagné le comté de Bourget, à cause de la performance de QS qui a divisé le vote péquiste. Le côté positif, c’est que ça confirme le retour des jeunes familles dans les quartiers comme Hochelaga-Maisonneuve, Rosemont, Mercier, qui sont la base des électeurs de QS, le même réseau en quelque sorte que celui de Projet Montréal. J’ajouterais aussi que le dernier suffrage a démontré clairement que nous sommes actuellement dans une phase de nationalisme de conservation, et non d’affirmation comme le prône historiquement et avant tout le programme du PQ. Maintenant, qu’adviendra-t-il du projet de souveraineté dans les prochaines années? Ça reste une interrogation, mais vous savez, le vent peut changer très vite en politique.

EMM : Que pensez-vous de la volonté actuelle de revitaliser l’Est de Montréal de la part des acteurs politiques et socio-économiques de la région, et d’après-vous est-ce que les astres sont vraiment alignés afin que les grands projets se concrétisent?

LH : Le discours est très « vocal » en ce moment, mais les investissements concrets se font dans l’Ouest, notamment via le REM. Je trouve personnellement qu’on manque de vision dans l’Est de Montréal en s’accrochant à des projets qui n’ont pas été réalisés dans le passé comme la ligne bleue (métro), le SRB Pie-IX, la rue Notre-Dame. Il n’y a pas de vision intégrée de développement commercial, résidentiel et industriel. J’ai le sentiment qu’on fait du surplace depuis au moins une bonne décennie et que maintenant il faut vraiment passer en 4e vitesse.

EMM : N’est-ce pas justement le discours de Québec et de Montréal? Il y a même eu en décembre dernier une Déclaration officielle du gouvernement du Québec et de la Ville de Montréal pour revitaliser l’Est de Montréal, signée devant les médias par Chantal Rouleau et Valérie Plante.

LH : Une des conditions pour que la revitalisation de l’Est s’enclenche réellement est d’avoir un ministre de la Métropole. Là on a une ministre déléguée à la Métropole, mais sans ministère, donc sans sous-ministre, sans équipe de fonctionnaires. Si vous n’avez pas cette capacité de déposer des projets vous-même dans les comités ministériels, de les faire progresser, de les amener jusqu’au Conseil des ministres, vous pouvez bien avoir de la bonne volonté, mais vous n’avez pas les conditions nécessaires pour pouvoir faire évoluer vos projets au sein de l’appareil politique, qui est d’ailleurs très lourd. Mais indéniablement, je crois que Chantal Rouleau est vraiment de bonne foi et qu’elle a une réelle volonté de faire avancer les choses dans l’Est. Ce qui lui faudrait, c’est que le premier ministre lui octroie un vrai ministère de la Métropole.

EMM : Selon-vous, quelles devraient être les priorités des gouvernements pour dynamiser l’Est de Montréal?

LH : Deux enjeux majeurs influencent le lent développement de l’Est de Montréal. Un : le grand nombre de terrains contaminés, et deux : le piètre réseau de transport collectif, qui s’effrite dramatiquement à mesure que l’on se dirige vers la Pointe-de-l’Île. Les investissements publics devraient se consacrer à ces enjeux, avant tout.

EMM : Jusqu’à maintenant, quel est votre avis sur l’administration montréalaise depuis l’élection de Projet Montréal?

LH : Je donnerais la note de passe à l’équipe de Valérie Plante. Je suis assez satisfaite de leur volonté d’accorder la priorité au transport collectif et très favorable à leur politique d’introduire de l’inclusion sociale dans les projets de construction.

EMM : Vous êtes en faveur de la ligne rose?

LH : Oui, tout à fait. Les Montréalais y ont selon moi adhéré avec bien sûr l’élection de Projet Montréal qui en a d’ailleurs fait son cheval de bataille. C’est le développement de cette ligne de métro qui bonifierait et améliorerait le transport à Montréal. Et il faudrait vraiment que la ligne bleue soit raccordée dans l’Est à la ligne verte. En parlant de la ligne bleue, je me souviens que Marc-Yvan Côté avait annoncé son prolongement dans l’Est en 1989. Il avait lancé la campagne électorale avec ce projet sous une tente au Jardin botanique. Imaginez, nous sommes 30 ans plus tard, et on parle encore de ce projet!

EMM : Vous avez vécu au fil de votre carrière une évolution certaine de la manière, disons-le comme cela, de faire de la politique. Qu’est-ce qui caractérise selon-vous l’ère politique moderne?

LH : La nouveauté, en fait je dirais l’air du temps, c’est que les partis ne parlent aujourd’hui qu’à leur électorat. Ce que l’on appelle le « Wedge Politics » (politique de division). C’est le cas particulièrement de Projet Montréal et de Québec Solidaire, et je dirais aussi à un certain point de la Coalition Avenir Québec. Ceci étant, c’est aujourd’hui très difficile pour l’opposition de se faire entendre, car il n’y a plus beaucoup de débats. On dirait qu’il n’y a plus de grands projets rassembleurs à Montréal en particulier, mais des projets pour plaire avant tout à l’électorat du parti au pouvoir.

EMM : Vous croyez que ce n’était pas le cas avant?

LH : Beaucoup moins. Rappelez-vous du temps, récent d’ailleurs, des maires Drapeau, Doré, Bourque… Les maires devaient s’adresser à tous les Montréalais et on parlait de projets de ville dans son ensemble. Maintenant, on comprend qu’essentiellement, la vie politique consiste en fait à s’adresser à son électorat et à s’assurer sa fidélité. Mais il faut se le dire, le véritable enjeu en ce qui concerne la politique municipale à Montréal, c’est le faible taux de participation des citoyens, qui ne dépasse jamais les 45 % dans les meilleures années. Je souhaite vraiment que les Montréalais accordent un jour plus d’importance aux élections municipales.

EMM : Quelles sont vos réalisations politiques dont vous êtes la plus fière?

LH : J’apprécie le fait que j’ai pu réaliser des changements qui se sont quand même révélés importants pour les Québécois. Je pense entre autres à la création d’Emploi-Québec. À l’époque, alors que j’étais ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, ça faisait presque 30 ans que le Québec réclamait la compétence en matière de formation professionnelle, formation de main-d’œuvre et en matière d’emploi. J’ai alors négocié avec Pierre Pettigrew à Ottawa pour obtenir ces pouvoirs, et nous avons réussi à rapatrier les quelque 1 200 fonctionnaires fédéraux et créer en bout de ligne Emploi-Québec. Je suis particulièrement fière de ça.

Parmi les autres réalisations auxquelles j’ai contribué, et que je crois importantes, je dirais spontanément la création des Carrefours jeunesse-emploi, la loi sur l’équité salariale, la perception automatique des pensions alimentaires, la loi du 1 % en formation (ou loi sur les compétences), et les fusions municipales en 1980.

Je dirais que mon seul regret en politique, c’est de ne pas avoir été ministre de l’Éducation. J’aurais vraiment aimé m’investir dans ce domaine, vraiment.

EMM : Les fusions municipales, n’est-ce pas le plus dur combat que vous avez mené politiquement?

LH : C’était difficile parce que je me faisais attaquer durement et personnellement, et encore aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Mais c’était selon moi nécessaire. D’ailleurs, aujourd’hui, personne ne voudrait se passer de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Et ces changements profonds dans le monde municipal, qui a donné plus de poids aux grandes villes régionales, ont finalement été très bien accueillis partout au Québec, sauf dans l’Ouest de Montréal.

EMM : Au niveau local, que diriez-vous de vos 28 ans de travail à titre de députée?

LH : (Longue réflexion…). Je dirais que ma plus grande satisfaction, c’est d’avoir le sentiment d’avoir redonné de la fierté aux gens d’Hochelaga-Maisonneuve. Parce qu’il ne faut pas se le cacher, il y a eu des années extrêmement difficiles dans le comté, des périodes très creuses, dans l’Est de Montréal dans son ensemble. Nous avons vécu une transformation brutale en fin de siècle et perdu des milliers et des milliers d’emplois dans la région à cause des fermetures d’usines.

Nous avons dû nous relever les manches afin de passer d’une culture ouvrière à une culture entrepreneuriale. Cela s’est fait en grande partie avec les organismes communautaires et par le soutient à l’économie sociale. Je crois aujourd’hui qu’Hochelaga-Maisonneuve n’est plus le parent pauvre de l’Est, qu’il est un quartier fier et plutôt branché, et que cela est le résultat de beaucoup d’efforts qui y ont été investis depuis au moins une vingtaine d’années. Je regarde par exemple le Marché Maisonneuve, où nous sommes actuellement, et ça représente bien l’évolution positive du quartier depuis l’arrivée des années 2000.

EMM : Rappelez-nous de quelle façon vous êtes arrivée dans Hochelaga-Maisonneuve…

LH : (Rires) En fait j’habitais à l’époque dans le quartier Outremont. Je m’impliquais à fond dans le Parti Québécois, dont j’occupais le poste de présidente de la région Montréal-Centre à partir de 1974 pour devenir par la suite vice-présidente nationale du parti en 1979, alors que René Lévesque en était le président.

À cette période, le député péquiste d’Hochelaga-Maisonneuve depuis 1970, Robert Burns,  a dû quitter ses fonctions à la suite d’une grave maladie cardiaque. Lors de l’élection partielle qui a suivi, le PQ a perdu le comté aux mains des libéraux. Mais Hochelaga-Maisonneuve semblait être un comté toujours prenable au début des années 1980 puisqu’il avait voté OUI au référendum. Étant à ce moment très impliquée et active dans l’Est de Montréal, dans le dossier de la construction de l’autoroute Est-Ouest, projet annoncé par Robert Bourassa après la crise d’octobre de 1970 et qui a finalement abouti par la construction de l’autoroute à l’Ouest mais la démolition à l’Est de plus de 1 800 logements entre Viau et Frontenac, délocalisant environ 7 800 personnes, René Lévesque m’a convaincu de me présenter dans le comté pour l’élection de 1981. Il faut dire que nous avions mobilisé une bonne partie de la population de l’Est de Montréal à cette époque pour dénoncer les impacts catastrophiques de ce projet qui a carrément décimé la vie de quartier à plusieurs endroits. D’ailleurs, c’est ce projet qui a complètement miné la vocation commerciale de la rue Sainte-Catherine Est, qui était dynamique auparavant. (NDLR : Cette mobilisation amènera René Lévesque à promettre la création de l’Office de consultation publique de Montréal – OPCM, selon Louise Harel).

Sur l’exécutif péquiste du comté, une seule des neuf personnes a finalement appuyé ma candidature! Ça n’a pas été facile, je faisais figure en quelque sorte « d’outsider », et il a fallu que je travaille très fort pour gagner les appuis. J’ai fait du terrain, beaucoup, beaucoup de porte à porte, et rallié les gens un à un. En bout de ligne, j’ai gagné mes élections en 1981 et je suis devenue députée… pour 28 années consécutives! D’ailleurs, on m’a dit que c’est moi qui aurais fait le plus grand nombre de mandats en continue à l’Assemblée nationale, et je partagerais avec Pauline Marois le même nombre de journées, exactement (10 101), à titre de députée, mais elle non pas en continue. Spécial non?

EMM : Votre fille Catherine occupe la présidence de la CSDM et elle n’hésite pas à défendre des dossiers parfois délicats, surtout dans le contexte où le gouvernement ne cache pas sa volonté de mettre un frein éventuel aux élections scolaires. Est-ce que la maman a un œil sur la carrière de sa fille?

LH : J’ai beaucoup d’admiration pour Catherine. Je vois toute son implication et son dévouement, le nombre inimaginable d’heures qu’elle peut passer à essayer de régler des problèmes, même souvent très locaux. Je ne sais pas si elle va poursuivre une carrière en politique dans les prochaines années, mais si plusieurs me disent qu’elle a du Louise Harel en elle, moi je dirais, en la regardant aller, qu’elle a aussi définitivement du Michel Bourdon! (NDLR : Michel Bourdon, ancien député péquiste de Pointe-aux-Trembles et ex-époux de Louise Harel).


Faits saillants de la carrière de Louise Harel* :

  • Vice-présidente de l’Union générale des étudiants du Québec en 1968.
  • Admise au Barreau du Québec en 1978.
  • Présidente de la région Montréal-Centre du PQ de 1974 à 1979 et vice-présidente de ce parti de 1979 à 1981.
  • Élue députée péquiste dans Maisonneuve en 1981. Réélue en 1985, puis dans Hochelaga-Maisonneuve en 1989, en 1994, en 1998, en 2003 et en 2007.
  • Ministre des Communautés culturelles et de l’Immigration dans le cabinet Lévesque du 25 septembre au 27 novembre 1984, date de sa démission comme ministre.
  • Présidente de la Commission de l’éducation du 29 novembre 1989 au 24 juillet 1994.
  • Ministre d’État à la Concertation et ministre de l’Emploi dans le cabinet Parizeau du 26 septembre 1994 au 29 janvier 1996.
  • Ministre d’État de l’Emploi et de la Solidarité et ministre de la Sécurité du revenu dans le cabinet Bouchard du 29 janvier 1996 au 15 décembre 1998.
  • Ministre de l’Emploi et de la solidarité du 25 juin 1997 au 15 décembre 1998.
  • Ministre d’État aux Affaires municipales et à la Métropole du 15 décembre 1998 au 30 janvier 2002.
  • Présidente de l’Assemblée nationale du 12 mars 2002 au 4 juin 2003.
  • Présidente de la Commission des transports et de l’environnement du 6 juin 2003 au 6 juin 2005.
  • Chef de l’opposition officielle du 6 juin 2005 au 21 août 2006.
  • Présidente de la Commission de l’éducation du 25 mai 2007 au 5 novembre 2008.
  • Chef de Vision Montréal du 29 juin 2009 à septembre 2013. Candidate défaite à la mairie de Montréal le 1er novembre 2009. Élue conseillère du district de Maisonneuve-Longue-Pointe en 2009. Chef de l’opposition au conseil municipal de la Ville de Montréal de 2009 à 2013. Candidate défaite dans le district de Sainte-Marie en 2013.
  • Reçue grand-croix de l’Ordre de la Pléiade le 17 mars 2004. Récipiendaire de la médaille d’honneur de l’Assemblée nationale le 13 mai 2014. Reçut le prix René-Chaloult en mai 2015 de l’Amicale des anciens parlementaires du Québec. En juin 2015, reçut le Prix distinction de l’Association des diplômés en droit de l’Université de Montréal ainsi que le Prix hommage du Congrès maghrébin. Faite officière de l’Ordre national du Québec le 20 juin 2019.
* Source : Assemblée nationale du Québec