UN CAFÉ AVEC… CHANTAL ROULEAU
Lorsque l’on prépare un dossier spécial traitant du développement de l’est de Montréal en 2021, il est pratiquement impossible de passer à côté de Chantal Rouleau. Ministre déléguée aux Transports, ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal, députée de Pointe-aux-Trembles, et ex-mairesse de l’arrondissement de RDP-PAT, la principale intéressée est de tous les grands projets : REM de l’est, décontamination des sols, prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal, réfection de la rue Notre-Dame, tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, investissements pour contrer la violence dans le nord-est, réseau de navettes fluviales en devenir, zones d’innovation… Alors nous l’avons rencontré en octobre dernier dans ses nouveaux locaux du centre-ville, et avons jasé d’un peu tout cela, le temps d’un café… et même d’un deuxième.
EST MÉDIA Montréal : Évidemment, le sujet de l’heure dans l’est de Montréal : comment avancent les grands projets de transport collectif?
Chantal Rouleau : Bien, vraiment. Beaucoup de travail derrière tout cela mais tout suit son cours. Nous sommes en train, avec tous ces projets, de vraiment redessiner le corps de la mobilité dans l’est de Montréal. Des investissements jamais vus jusqu’à maintenant et qui vont permettre de donner un nouveau souffle au territoire, qui comme on le sait a été trop longtemps laissé à lui-même.
EMM : La ligne bleue du métro se rendra-t-elle finalement jusqu’à Anjou? Et à quelle étape en sommes-nous dans ce dossier?
CR : Je suis toujours très confiante que le prolongement se fera comme prévu jusqu’à Anjou. Comme on le sait, il y a eu des dépassements de coûts importants concernant le projet initial, et j’ai demandé la création d’un groupe d’experts pour revoir tout cela en fonction du budget (4.5 milliards $) et des échéanciers prévus au programme. Nous avons présentement en main leurs recommandations, qui sont très intéressantes d’ailleurs, et analysons cela en ce moment. Le Conseil des ministres devrait donc être en mesure de pouvoir prendre une décision finale dans les prochaines semaines.
EMM : S’il y a un sujet qui fait couler beaucoup d’encre depuis un an, c’est bien le REM de l’est. Êtes-vous satisfaite du processus et de l’accueil du projet jusqu’à maintenant?
CR : Dans l’ensemble oui. Et je vais répéter ce que je dis depuis le lancement du projet : le REM de l’est est d’une importance capitale pour le développement du territoire. C’est un projet structurant moderne, électrique, environnemental, automatisé, rapide, efficace, confortable, qui prévoit desservir 133 000 personnes par jour. Et on parle ici d’une majorité de nouveaux usagers du transport en commun, donc certainement des milliers d’automobiles de moins chaque jour dans l’est. Ça va complètement changer la donne dans l’est car ça ne prendra plus une heure et demie aux étudiants de Pointe-aux-Trembles pour aller à l’université; ce sera plus rapide pour avoir accès aux hôpitaux; ça va permettre aux entreprises d’avoir accès à un plus large bassin d’employés, etc. Un projet, rappelons-le, de plus de 10 milliards $, une première au Québec en transport collectif, et c’est dans l’est que ça se passe. C’est quand même extraordinaire.
EMM : Il y a des réticences de la part de certains groupes dans les secteurs du centre-ville et de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Plusieurs ont peur de voir une fracture dans le paysage, plus néfaste que bénéfique pour les résidents de ces quartiers. Qu’en pensez-vous?
CR : Au niveau de la portion au centre-ville, c’est en train de se régler avec une partie annoncée finalement en souterrain. Du côté de MHM, je l’ai dit, et CDPQ Infra aussi le répète, nous allons nous assurer que le projet soit bien intégré, y compris dans le secteur du parc Morgan. Ce ne sera certainement pas une fracture comme certains le prétendent, mais bien une signature architecturale qui s’en vient. Il faut aussi rappeler qu’un REM aérien a aussi des avantages dans ce secteur car il permettra d’avoir une vue exceptionnelle sur le fleuve et une nouvelle vue sur l’est de la ville, et ça on ne le dit pas assez. Et en dessous aussi il y aura des aménagements et des améliorations au niveau mobilité, on travaille là-dessus en parallèle, en collaboration avec la Ville de Montréal. Finalement, il ne faut pas oublier dans tout cela qu’il y a un groupe d’experts qui travaillent en ce moment très fort et qui se penche sur les volets intégration et architecture, on attend leurs recommandations; CDPQ Infra poursuit également ses consultations auprès du public et des parties prenantes, et il y aura le BAPE un peu plus tard. Donc il y a encore beaucoup à faire, mais je suis persuadée qu’on va y arriver avec un consensus fort au final.
EMM : Le projet de navette fluviale, plus léger celui-là (dans tous les sens du terme!), semble être reçu favorablement par la plupart des gens, du moins c’est que l’on perçoit. Vous semblez toujours appuyer le développement d’un réseau de navettes dans l’est de l’île. Est-ce le cas?
CR : Tout à fait. J’y crois vraiment et depuis longtemps. Encore cet été la navette entre Pointe-aux-Trembles et le Vieux-Port a été très concluante, les gens l’ont beaucoup utilisé. Je crois que nous allons arriver bientôt à mettre en place graduellement un vrai réseau de navettes pour desservir tout l’est de l’île et l’ouest avec le centre-ville, et intégrer aussi la rive-sud. L’ARTM analyse tout cela présentement. Pour le moment, plus concrètement, on regarde la possibilité de mettre en fonction une navette entre Boucherville et Montréal dès l’an prochain, un outil supplémentaire qui nous permettrait d’atténuer la congestion pendant les travaux au tunnel Louis-Hyppolyte La Fontaine.
EMM : Travaux au tunnel, REM de l’est, revitalisation du Vieux Pointe-aux-Trembles, construction d’un important viaduc pour l’accès des camions au port de Montréal, et on parle même de travaux majeurs à venir au niveau de l’autoroute 25 à Anjou… est-ce qu’on peut affirmer que la réfection complète de la rue Notre-Dame va inévitablement se faire, compte tenu de tous ces grands travaux annoncés?
CR : Le bureau de projet pour la réfection de Notre-Dame a été activé en même temps que l’annonce du REM de l’est. Pour moi ces deux projets vont de pair. On prévoit une refonte complète de Notre-Dame du pont Jacques-Cartier à la pointe de l’île afin d’en faire un boulevard urbain moderne et beaucoup plus attrayant. Ça fait des dizaines d’années qu’on en parle dans l’est, là nous on va le faire.
EMM : Parlant d’infrastructures routières, est-ce que votre gouvernement va répondre favorablement aux demandes des arrondissements de Saint-Léonard et Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension (entre autres), de sécuriser et d’améliorer la mobilité nord-sud en dessous de la Métropolitaine lors des travaux de mise à niveau de l’autoroute qui arrivent incessamment ?
CR : Le MTQ est certainement à l’écoute et connaît bien la problématique. On mise dans ce cas-ci beaucoup sur la collaboration de la Ville qui a des responsabilités sous la structure, afin d’assurer des aménagements et une nouvelle mobilité qui n’existent pas à l’heure actuelle. J’ai donné le mandat au MTQ de travailler sur ces enjeux de sécurité et de mobilité, et les parties sont en discussion à ce sujet actuellement.
EMM : Faire passer l’est du brun-gris au vert-bleu : on y arrive?
CR : Je pense que nous sommes sur la bonne voie parce qu’aujourd’hui on passe à l’action, après tellement d’années de réflexions, d’analyses, d’études… Nous, on a décidé de bouger. On a bougé pour la décontamination des sols, 100 M $ et un autre à venir. On a bougé pour la reconstruction de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, 2.5 milliards $. On a bougé pour le REM de l’est, 10 milliards $, on a bougé pour le prolongement de la ligne bleue, 4,5 milliards $, on a annoncé la construction de nouvelles écoles, notamment une grande école secondaire à Montréal-Nord, on va refaire la rue Notre-Dame, et j’en passe. Donc, jamais un gouvernement n’a investi autant dans l’est de Montréal que la CAQ, et on va continuer de le faire. Justement pour que le territoire passe du brun et du gris au vert et au bleu. C’est toujours ça qui motive mon implication politique.
EMM : Pour rester dans un même ordre d’idée, qu’en est-il des fameuses zones d’innovation du gouvernement Legault? Est-ce que l’est sera une terre d’accueil pour au moins l’une d’elles? Les rumeurs sont fortes concernant l’annonce imminente d’une zone d’innovation dans le domaine de la santé sur le territoire.
CR : Je l’espère et je dirais que ça augure bien, disons cela comme ça pour l’instant. Je fais souvent référence au livre de M. Legault, Projet Saint-Laurent, qui identifie l’est de Montréal comme la Silicon Valley du Québec. Avec tous les investissements sur le territoire, tout ce qui se trame en ce moment du côté du transport collectif, de la décontamination des sols industriels, c’est évident qu’il y a une transition écologique qui s’opère. On parle de plus en plus de technologie verte, de la transformation de l’industrie pétrochimique, d’attirer des institutions, du savoir dans l’est. Et dans cette optique-là, les zones d’innovation pourraient s’avérer stratégiques pour le développement de l’est, et on y travaille vraiment très sérieusement depuis plusieurs mois déjà.
EMM : Autre sujet d’actualité dans l’est de Montréal, particulièrement dans le nord-est, c’est bien sûr la sécurité et la violence par armes à feu. Un problème certainement difficile à circonscrire. Quelle est la solution selon vous?
CR : S’il y en avait une facilement identifiable, on l’aurait déjà utilisée. Mais ce que je peux dire là-dessus, c’est que des efforts considérables, et des investissements très importants également ont été faits récemment pour aider les forces policières à lutter sur le terrain, immédiatement. Je pense bien sûr à l’escouade Centaure, notamment. Il faut intervenir et sécuriser les quartiers avec une présence policière accrue, dans un premier temps, c’est selon moi essentiel. Mais plus important encore, c’est d’investir à long terme dans des secteurs comme Montréal-Nord, Saint-Michel, Rivière-des-Prairies, pour que les jeunes aient accès à des écoles modernes, intéressantes, à des plateaux sportifs de qualité. Il faut investir au niveau du logement, particulièrement dans ces territoires, il faut plus de places dans les CPE. Il faut améliorer les zones d’emplois, améliorer les infrastructures de santé, du moins les rendre facilement accessibles. C’est tout cela qu’il faut faire pour améliorer la qualité de vie dans ces quartiers, et régler par le fait même certains problèmes qui perdurent dans le temps. On travaille sur tous ces aspects en ce moment, et on le fait avec les acteurs du milieu. Il faut surtout continuer sur cette lancée, et ne pas retourner dans une espèce d’immobilisme qui a paralysé le nord-est ces dernières années.