Image tirée de la page LinkedIn de la TOHU.

LE CIRQUE AU SERVICE DE LA TERRE ET DE L’HUMAIN

L’un des plus spectaculaires projets d’économie sociale à Montréal à avoir vu le jour depuis les années 2000 est sans nul doute la TOHU, dans le quartier Saint-Michel. Inauguré en 2004, cet organisme à but non lucratif, qui abrite entre autres la fameuse scène circulaire montréalaise, est au cœur de la Citée des arts du cirque composée également du siège social du Cirque du Soleil et de l’École nationale de cirque.

Ce projet titanesque, rappelons-le, est issu avant tout de la vision du fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté. Au tournant du siècle, la multinationale québécoise devait agrandir son siège social et cherchait un site où son installation permanente pourrait faire une différence auprès de la population locale, et dynamiser à la fois la vitalité culturelle et économique d’un quartier défavorisé. C’est alors que Saint-Michel, l’un des dix quartiers les plus défavorisés au Canada à l’époque, s’est imposé, d’autant plus qu’il avait l’espace nécessaire pour accueillir le projet avec l’annonce de la fermeture du dépotoir municipal et de l’ancienne carrière Miron, rachetée par la Ville de Montréal.

Faire d’un dépotoir un site d’émerveillement

« La condition initiale du Cirque du Soleil de s’installer sur le site était que la Ville de Montréal cesse rapidement les activités d’enfouissement des déchets et qu’elle aille de l’avant avec l’idée de créer un grand parc », affirme Stéphane Lavoie, directeur général de la TOHU depuis les tout débuts de l’organisme. Ce que l’administration municipale, sous l’égide du maire Jean Doré, acceptera d’emblée, surtout que Saint-Michel et l’Est de Montréal avaient grandement besoin d’un projet mobilisateur et innovant comme l’arrivée du siège social du Cirque du Soleil, sans compter qu’une revitalisation majeure de cette immense superficie sur le plan environnemental s’imposait.

Selon Stéphane Lavoie, l’étape suivante fut alors de déterminer quel genre de développement s’érigerait autour du siège social de l’entreprise, car le site s’annonçait pour être gigantesque et impliquait la Ville de Montréal, des fonctionnaires de Québec au niveau de plusieurs volets environnementaux, et d’autres intervenants en développement du territoire. « Guy avait déjà à ce moment-là une idée d’une espèce de Village du cirque, d’un espace culturel et créatif qui pourrait être mis au service des arts du cirque qui connaissaient à cette époque une croissance phénoménale et qui avaient certainement besoin d’infrastructures. Donc rapidement les idées et les échanges ont fait émerger le projet de la Cité des arts du cirque, en déménageant sur le nouveau site l’École nationale de cirque, qui était située dans le Vieux-Montréal, et en créant l’organisme la TOHU, qui deviendrait l’espace de rencontre entre l’artiste et le public », explique le directeur général.

C’est ainsi qu’est donc né sur papier en 1999 l’OBNL la TOHU, issu d’un partenariat entre Le Cirque du Soleil, l’École nationale de cirque et En piste, le regroupement national des arts du cirque. La Cité des arts du cirque offrira donc pour la première fois en Amérique du Nord un environnement complet pour le développement du cirque contemporain avec une structure unique et hautement professionnelle assurant les volets de formation, de création, de production et de diffusion.

Stéphane Lavoie, directeur général de la TOHU. (Photo : EMM).

Du cirque à la terre… et à l’humain

Mais la véritable implication sociale de la TOHU, qui viendra s’imbriquer à même sa mission fondamentale de diffusion et de promotion des arts du cirque, sera définie au courant des deux années suivantes alors que la Ville de Montréal peaufine le projet de l’immense parc Frédéric-Back (2 km2, presqu’aussi grand que le parc du Mont-Royal) et réfléchit quant à l’absence d’une Maison de la culture sur le territoire de l’ancienne Ville de Saint-Michel, maintenant annexée officiellement à la métropole.

« La Ville a vraiment pris un leadership au tout début des années 2000 dans le développement du Complexe environnemental Saint-Michel et elle nous a proposé alors de faire de la TOHU la porte d’entrée du prochain grand parc, le pavillon d’accueil en quelque sorte, et d’animer également le prochain site. Et comme nous préparions les plans de la salle de spectacle, elle nous a aussi proposé de jouer le même rôle qu’une Maison de la culture pour les résidents de Saint-Michel, sauf pour le volet bibliothèque, et d’en défrayer les coûts pour que la TOHU assure ces services à la population. Cela a grandement changé la vision du projet initial », soutient Stéphane Lavoie.

Selon le directeur général, les fondateurs de la Cité des arts du cirque auraient pu à ce moment se dire simplement voilà deux belles opportunités d’affaires, mais ils ont plutôt décidé d’élargir considérablement la mission sociale de la TOHU. « Les partenaires ont saisi l’occasion pour officialiser de façon permanente la participation de la TOHU à la réhabilitation du Complexe environnemental de Saint-Michel et à la revitalisation du quartier, en ajoutant clairement ces objectifs à la mission même de l’organisme », soutient M. Lavoie.

C’est donc à ce moment que s’est concrétisée la mission à trois volets définie par l’énoncé Le Cirque, la Terre, l’Humain mis de l’avant par la TOHU. « Concrètement, nous nous engagions à démontrer que la culture est aussi un moteur de développement économique et social, et qu’on peut le faire dans le respect de l’environnement et en accord avec la communauté. Et ça, c’est une des définitions du développement durable », nous dira le gestionnaire lors d’une visite à ses bureaux il y a une dizaine de jours. Pour lui, c’est cet engagement écrit et finalisé quelque part à l’été 2002 qui est devenu le véritable rêve de départ de la TOHU, qui ouvrira finalement ses portes en 2004 dans le premier bâtiment certifié LEED Or Canada sur le territoire québécois.

Un impact social majeur

La Citée des arts du cirque est constituée les jours de semaine d’une communauté environnant les 2 000 personnes, ce qui génère un impact considérable dans l’économie du secteur. Quant à la TOHU, on parle d’une cinquantaine d’employés permanents et d’au moins une centaine d’autres temporaires et à contrat lors d’événements de toutes sortes : spectacles, lancements, expositions, conférences, rassemblements corporatifs, etc.  Seulement pour les représentations reliées au monde du cirque, entre 75 et 90 dates sont réservées au calendrier chaque année.

Pour tout ce qui à trait à l’accueil, la billetterie, la boutique, le stationnement et le contact avec le public lors des événements, la TOHU priorise l’embauche de résidents de Saint-Michel, en conformité avec leur engagement d’aider à la revitalisation économique et sociale du quartier. « Saint-Michel est l’un des quartiers à Montréal où il y a le plus haut taux de 24 ans et moins, le plus haut taux de chômage, le plus haut taux de décrochage scolaire et le plus haut taux de familles monoparentales. 40 % des gens ne parlent ni français ni anglais à la maison et il y a ici plus de 60 communautés culturelles représentées. Dès 2004, à titre de citoyen corporatif impliqué dans sa communauté et de centre culturel qui se veut représentatif de son milieu, nous avons décidé d’offrir les emplois aux gens de Saint-Michel avant toutes autres personnes. Nous n’arrivons pas toujours à recruter dans le quartier, mais en général, ce sont des résidents de Saint-Michel qui accueillent les spectateurs », affirme Stéphane Lavoie.

Selon ce dernier, le Saint-Michel cosmopolite d’aujourd’hui sera d’ailleurs le Montréal de demain. « Comme institution montréalaise, comme gestionnaires d’infrastructures publiques, nous avons un devoir de participer à l’intégration des communautés culturelles qui choisissent de s’établir ici. Et c’est aussi bien sûr notre volonté de contribuer à réduire le taux de chômage dans le secteur, c’est la moindre des choses », dit-il.

En parallèle avec l’apport économique précieux qu’il génère pour le quartier, l’impact de l’organisme est aussi extrêmement important en termes de vitalité culturelle; le nord-est de Montréal étant historiquement un parent pauvre en la matière. « C’est certain que la créativité liée au milieu du cirque, du Cirque du Soleil en particulier, et la bonne santé de l’industrie, son dynamisme, contribuent à rehausser l’image de Saint-Michel. Cela faisait d’ailleurs partie des objectifs de Guy Laliberté au départ », soutient Stéphane Lavoie.

En plus de bénéficier de spectacles, d’animations, d’expositions et autres événements programmés et coordonnés par l’équipe de la TOHU dans le cadre de leur mandat octroyé par l’arrondissement de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, les résidents du quartier ont également la chance depuis l’ouverture de la première phase du parc Frédéric-Back d’avoir accès à des activités imaginées et offertes par l’équipe de la TOHU dans l’espace vert qui porte désormais le nom du célèbre réalisateur de films d’animation. « Nous programmons et assurons en effet les activités dans le parc depuis deux ans déjà en accord avec cet autre mandat que nous avons avec la Ville de Montréal, cette fois qui vise l’ensemble des Montréalais. S’il y a évidemment toujours la notion de divertissement et de loisir dans notre proposition, nous devons ici intégrer des éléments d’information et de vulgarisation reliés à l’environnement, compte tenu du passé et des enjeux de réhabilitation du site. C’est un défi différent pour nous, mais aussi très intéressant », avance M. Lavoie.

Croissance à l’horizon

Tous les éléments qui forment la Citée des arts du cirque sont en croissance nous dit la direction de la TOHU, au même titre que l’industrie du cirque contemporain à l’international. Pas étonnant donc que le festival Montréal Complètement Cirque, dont la TOHU en est l’organisme fondateur et le maître d’œuvre depuis dix ans, prend lui aussi de l’ampleur chaque année, et les infrastructures commencent à manquer pour le développement. Mais pas seulement pour l’événement annuel phare des arts du cirque.

« La TOHU commence à manquer d’espace, pour le festival et sa programmation régulière, mais aussi le Cirque du Soleil et l’École nationale de cirque. On évalue en ce moment, on élabore des plans et on travaille à l’élaboration d’un montage financier afin de doter la TOHU et la Cité des arts du cirque de nouvelles infrastructures. Il n’y a rien de concret à annoncer pour le moment, mais il y aura des agrandissements dans les prochaines années c’est certain », affirme le directeur. En fait, à part le manque de locaux administratifs, la TOHU viserait surtout à se doter d’une deuxième salle de spectacle, plus petite que la principale dont la capacité peut atteindre 1 000 places.

De plus, la direction de la TOHU compte bien jouer un rôle déterminant dans le plan de revitalisation de l’Est de Montréal qui s’annonce dans les prochaines années, particulièrement au niveau du développement de l’offre culturelle dans la région. « Nous voulons bien sûr être partie prenante de la relance de l’Est, et dans le même ordre d’idée, je crois qu’il faut aussi avoir en tête l’ouverture progressive des autres portions du parc Frédéric-Back qui se poursuivra jusqu’en 2027, un projet de grande envergure pour le nord-est de Montréal et dans lequel l’équipe de la TOHU est fortement impliquée », conclut Stéphane Lavoie.


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