TÉTREAULTVILLE EST-IL EN TRAIN DE DEVENIR « IN » ?
Mercier-Est, ou Tétreaultville selon les irréductibles de ce quartier plus que centenaire, n’a pas été le secteur le plus choyé en termes de développement et d’investissements publics ces dernières décennies, il faut bien l’avouer. Enclavé de frontières physiques à la fois surprenantes et même contraignantes, le quartier demeure encore aujourd’hui un secteur méconnu, voire mystérieux aux yeux de bien des Montréalais, même des résidents de l’Est de l’Île. Mais une nouvelle ère s’annonce clame-t-on dans les officines de l’extrême Est de l’arrondissement de Mercier−Hochelaga-Maisonneuve.
« Il se passe définitivement quelque chose en ce moment dans le quartier, ça bouge de tous les bords et tous les côtés », lance d’entrée de jeu Viviane Caron, directrice générale de l’Association des Commerçants de Tétreaultville, organisme qui a vu le jour il y a un peu plus de deux ans pour redynamiser l’activité commerciale sur la rue Hochelaga, entre Honoré-Beaugrand et Taillon. Un exemple concret de la vague de renouveau qui anime actuellement Mercier-Est. D’une vingtaine de commerçants « fondateurs », l’association indépendante (il ne s’agit pas d’une Société de développement commercial régie par les règlements de la Ville), compte déjà aujourd’hui une soixantaine de commerces et d’organisations qui y adhèrent sur une base volontaire, dont plusieurs proviennent des rues avoisinantes d’Hochelaga. « Une nouvelle formule de membre-ami permet en effet, depuis mars dernier, à d’autres gens d’affaires de se joindre à l’Association, mais on reste tout de même au cœur du rayon de base qui est en fait à l’angle des rues Hochelaga et des Ormeaux. Il y a dans ce secteur environ une centaine de commerces de proximité, ce qui veut dire que nous avons encore du travail de représentation à faire pour augmenter le membership de l’Association, mais je dirais que ça va plutôt bien de ce côté, le rythme de croissance est très satisfaisant depuis notre lancement », affirme Mme Caron.
L’administration municipale de MHM, sous la gouverne du maire Pierre Lessard-Blais, est plus active dans Mercier-Est que l’administration précédente nous a-t-on souligné à plusieurs reprises dans le cadre de ce reportage. Le maire avait déjà d’ailleurs déclaré à EST MÉDIA Montréal que le quartier avait vraiment besoin d’amour à plusieurs niveaux. Projet Montréal a donc passé de la parole aux actes en posant certains gestes significatifs, comme la mise sur pied d’un budget participatif citoyen de 350 000 $, l’un des plus élevés à Montréal, et le financement de l’Association de commerçants, du moins pour le départ et les premières années de l’organisme et ce afin d’y assurer une permanence, entre autres investissements spécifiques destinés au développement du quartier.
Le retour de la génération perdue
« Lorsque je travaillais à implanter l’Association de commerçants, j’entendais souvent dire que le quartier était, ces derniers 10 ou 20 ans, un quartier d’aînés, que les jeunes adultes avaient délaissé le secteur pour s’installer plutôt dans les quartiers centraux de Montréal, que Tétreaultville avait perdu une génération », soutient Viviane Caron. Ce qui expliquerait un certain marasme sur le territoire, non seulement économique, mais démographique, le quartier n’étant pas non plus pendant cette période un secteur prisé par les vagues d’immigrants, du moins en comparaison avec d’autres secteurs de l’Est de Montréal, surtout au nord de l’Île.
Selon Taï Cory, directeur général de la table de quartier Solidarité Mercier-Est, c’est justement le retour récent d’une nouvelle génération de jeunes adultes et de jeunes familles qui explique la revitalisation du quartier. « La création de l’immense projet domiciliaire qu’est le Faubourg Contrecoeur, cumulée à d’autres projets de condos de plus ou moins grande envergure, a amené depuis quelques années des centaines et des centaines de nouveaux résidents dans Mercier-Est, dont beaucoup de nouvelles familles. Cela a certainement changé la dynamique du quartier, et d’ailleurs le phénomène s’est particulièrement fait ressentir dans le cadre de notre grand Forum de quartier l’an dernier. Les priorités et les enjeux concernant l’environnement, les écoles et le développement du territoire, notamment, prennent beaucoup plus de place aujourd’hui qu’il y a quelques années aux yeux des résidents et des intervenants de Tétreaultville », explique M. Cory.
Une autre particularité qui change le visage de Mercier-Est est le fait que parmi ses nouveaux arrivants, beaucoup sont issus de nationalités diverses. Le secteur, longtemps à forte majorité québécoise francophone, tend maintenant à se diversifier au diapason des couleurs multiculturelles de la métropole.
« La densification du territoire amène bien sûr son lot de défis pour le quartier. En ce moment, il faut vraiment se pencher sur les questions d’infrastructures publiques comme la mobilité, le transport sous toutes ses formes, les écoles, le développement d’espaces verts, etc., car on n’était pas prêt nécessairement à faire face à ce phénomène, du moins d’une ampleur pareille. Par exemple, on voit que le peu de commerces de proximité cause un sérieux problème pour les résidents du Faubourg Contrecoeur, il manque de places dans les écoles, ce n’est pas facile de circuler en transport en commun du nord au sud, etc. Ce sont des problématiques qui démontrent du même souffle que le quartier est fortement en mouvance en ce moment », soutient Taï Cory.
Prix, métro et parcs
Qu’est-ce qui attire la nouvelle génération dans Tétreaultville? « Certainement le prix des maisons. Mercier-Est est encore abordable et permet d’accéder à la propriété pour plusieurs, alors que dans les quartiers centraux c’est rendu extrêmement cher », affirme Viviane Caron. Sentiment partagé par le directeur général de Solidarité Mercier-Est, qui ajoute qu’un autre atout indéniable du quartier « est le fait que Mercier-Est bénéficie des dernières stations de métro dans l’Est de Montréal, que c’est possible d’y vivre sans avoir de voiture, du moins c’est plus facile que dans Montréal-Est ou dans la Pointe-de-l’Île par exemple. »
Et il y a, si précieux pour les jeunes familles et la vie de quartier en général, les fameux espaces verts. De ce côté, le quartier est assez bien garni, surtout avec le Parc de la Promenade Bellerive, fort de ses deux belvédères et de ses 2,2 kilomètres longeant le fleuve. Un des rares endroits à Montréal qui permet un accès direct aux berges du Saint-Laurent. Un paysage magnifique, « mais qui pourrait être mieux exploité » de dire Taï Cory, qui aimerait voir le site offrir plus d’activités et d’animation rassembleuses. Situé au nord du quartier, il y a également le parc Thomas Chapais qui s’illustre du côté des espaces verts. Il s’agit d’un parc fortement boisé et d’une grande valeur écologique s’étendant sur 15,2 hectares. Il se distingue par le nombre et la diversité d’arbres (trente espèces indigènes et une dizaine horticoles), d’arbustes et de plantes herbacées, selon le CRE-Montréal.
Une autre grande force qui caractérise Mercier-Est, selon nos deux intervenants, serait la capacité de mobilisation des organismes et résidents du secteur autour d’enjeux collectifs. « C’est assez phénoménal, quand il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le quartier, les gens le font savoir, ils s’organisent, se mobilisent et réagissent vite. C’est une communauté qui se prend en main encore plus depuis quelques années, peut-être parce que justement, Tétreaultville a été trop longtemps le parent pauvre de l’arrondissement selon un sentiment partagé par plusieurs résidents », affirme Taï Cory.
Problème de frontières… et d’identité
C’est où ça Tétreaultville? « Cette question je me la fais poser souvent », affirme avec un sourire en coin Viviane Caron, qui avoue elle-même avoir de la difficulté à faire visualiser le quartier par les néophytes. « Les délimitations du quartier sont effectivement très bizarres. Nous sommes enclavés par l’Autoroute 25, le fleuve (Notre-Dame), des voies ferrées, des rues au nord de Sherbrooke de longueurs différentes qui donnent au territoire un effet de plancher de bois franc pas fini, c’est difficile de s’y retrouver et parfois même de circuler d’un quartier à l’autre. Ces frontières non-écrites je dirais, c’est probablement le plus gros handicap de Mercier-Est », dit Taï Cory.
Cette particularité géographique probablement unique en son genre à Montréal est probablement à la source d’un problème d’identité. « Si pour les résidents du coin le sentiment d’appartenance peut être nébuleux; est-ce qu’on est dans Mercier, Mercier-Est, Tétreaultville, MHM, Montréal-Est, ou simplement dans l’Est, imaginez pour les gens de l’extérieur. Je pense que c’est un sujet sur lequel les acteurs du quartier devront se pencher sérieusement dans les prochaines années car c’est important de définir son identité territoriale, il y a une question de fierté qui vient avec cela », avance Viviane Caron.
Les défis de Tétreaultville
Outre la question « identitaire », Taï Cory et Viviane Caron s’entendent pour dire que le quartier fait face à quelques défis bien connus qu’il faudra relever dans les prochaines années, défis qui sont aussi le lot de plusieurs autres quartiers de l’Est montréalais. Comme par exemple le fameux manque de transport collectif. « Nous avons la chance d’avoir des stations de métro, c’est vrai, mais au sud du quartier c’est très difficile, ça prendrait vraiment un projet structurant comme le tramway pour desservir toute la partie importante de Tétreaultville qui longe le fleuve. Cela faciliterait aussi grandement les déplacements entres les quartiers voisins », affirme Mme Caron.
Ou encore une offre insuffisante de commerces de proximité. « Il se fait de belles choses à ce sujet, notamment depuis la création de l’Association des Commerçants de Tétreaultville, mais il y a encore beaucoup de travail à faire dans certains secteurs, comme je le disais précédemment surtout aux environs du Faubourg Contrecoeur. Et dans tout le quartier il faudrait définitivement augmenter l’offre quant aux marchés d’alimentation, certains endroits sont d’ailleurs considérés comme des déserts alimentaires dans Mercier-Est », soutient M. Cory.
Dans le rapport annuel de Solidarité Mercier-Est 2019-2020, qui sera rendu public dans les prochains jours, on y dévoile d’ailleurs les six nouvelles priorités de Mercier-Est pour les cinq prochaines années selon la Table de quartier :
- Améliorer les installations dans les parcs et valoriser la Promenade Bellerive;
- Développer de façon dynamique et diversifiée les commerces de proximité en respectant la mixité sociale du quartier;
- Créer des espaces culturels et sportifs dans le quartier et bonifier l’offre de loisirs;
- Valoriser les espaces verts du quartier et réduire les nuisances environnementales;
- Améliorer les infrastructures et la sécurité routière pour favoriser le transport actif et collectif;
- Créer une identité de quartier propre à Mercier-Est et revitaliser les espaces vacants.
Bien sûr, pour la directrice générale de l’Association des Commerçants de Tétreaultville, la situation actuelle reliée au Covid-19 bouleverse les plans de développement de l’organisme, tout comme ceux de ses membres. « Disons que pour l’instant, et pour probablement un bon bout de temps, le défi est de se relever de la crise du Covid. Avant de penser à relancer nos projets de développement et de croissance, on va s’assurer de limiter les dégâts et d’aider nos commerçants à se sortir la tête de l’eau », dit-elle. Parmi les efforts de soutien aux commerçants du quartier, soulignons particulièrement l’immense succès de la campagne de sociofinancement et d’achat local le mois dernier sur le site de La Ruche dont l’objectif a été fracassé de manière spectaculaire (300 %). Cette campagne conjointe avec la SDC Hochelaga bénéficiait de l’appui financier de l’arrondissement de MHM et de Desjardins.
Caractéristiques démographiques et socioculturelles de Mercier-Est
Population totale : 44 780 personnes
Jeunes (0-14 ans) : 15,8 % (15,7 % sur l’île de Montréal)
Aînés (65 ans et plus) : 16,8 % (16,7 % sur l’île de Montréal)
Personnes vivant seules : 18,4 % (18,1% sur l’île de Montréal)
Aînés vivant seuls : 36,2 % (36,1 % sur l’île de Montréal)
Familles avec enfants : 61,8 % (63 % sur l’île de Montréal)
Familles monoparentales : 40,5 % (32,5 % sur l’île de Montréal)
Immigrants : 19,2 % (34 % sur l’île de Montréal)
Nouveaux immigrants : 3,9 % (7,3 % sur l’île de Montréal)
Minorités visibles : 21,6 % (32,9 % sur l’île de Montréal)
Caractéristiques socioéconomiques et conditions de vie
Personnes de 15 ans et plus sans diplôme ou grade (sous-scolarisation) : 21,8 % (16,9 % sur l’île de Montréal)
Personnes à faible revenu : 7 995, soit 18,3 % (21,3 % sur l’île de Montréal)
Enfants de moins de 6 ans à faible revenu : 710, soit 21,7 % (22,8 % sur l’île de Montréal)
Aînés à faible revenu : 1 280, soit 19,3 % (21,2 % sur l’île de Montréal)
Ménages locataires : 55,4 % (60 % sur l’île de Montréal)
Ménages locataires consacrant 30 % ou plus du revenu au logement : 30,7 % (36,8 % sur l’île de Montréal)
Personnes ayant déménagé au cours des 5 dernières années : 43,9 % (43,2 % sur l’île de Montréal)