Cécile Guérard, 92 ans, raconte ses souvenirs du quartier Longue-Pointe, où elle réside depuis toujours. (EMM / Sophie Gauthier).

SOUVENIRS DE L’EST : MERCIER–HOCHELAGA-MAISONNEUVE ET SES BÂTEAUX BLANCS

EST MÉDIA Montréal est allé à la rencontre de plusieurs aîné.es dans différents quartiers sur le territoire, dans des résidences de retraité.es surtout, afin de discuter avec elles et avec eux en toute convivialité. Nous avons demandé aux personnes qui ont habité dans l’est de Montréal pendant longtemps de nous parler de leurs souvenirs de la vie quotidienne et de leur quartier d’enfance. Cela a donné lieu à des rencontres extraordinaires, touchantes, parfois cocasses, parfois moins, mais toujours chaleureuses et enrichissantes. Une série signée Sophie Gauthier.

Mercier–Hochelaga-Maisonneuve (MHM) est un arrondissement dynamique qui compte aujourd’hui 136 024 résidents, et dont le passé est riche en histoire. Grâce à cette série spéciale Souvenirs de l’est… retournons quelque peu en arrière, si vous le voulez bien, grâce aux récits d’aînés résidant dans ce secteur depuis longtemps, si ce n’est depuis toujours!

Lors d’un après-midi pluvieux, Cécile Guérard patiente dans une salle de la résidence pour aînés Les jardins De Jouvence située à Tétreaultville. Quand on lui a demandé si elle a habité longtemps dans l’arrondissement, elle a répondu : « Toute ma sainte vie ». Cette femme de 92 ans a demeuré dans le quartier Longue-Pointe de MHM. Elle a travaillé en tant que préposée au bénéficiaire pendant plus de 30 ans à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu fondé en 1873. En 1975, il devient l’Hôpital Louis-Hyppolite-Lafontaine puis, en 2013, l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

L’hôpital Saint-Jean-de-Dieu en 1873. (Courtoisie Bibliothèque et Archives nationales du Québec).

Cécile Guérard a eu une enfance heureuse, dans une maison dotée d’un grand jardin et plein de fleurs. Elle est très attachée à ce lieu : «  Il arrive encore parfois que je demande à ma fille de passer en auto devant la maison où j’ai été élevée » confie t-elle. Son école pour filles était située juste en face de la maison dans laquelle elle a grandit : « Ils en ont fait des lofts à présent », déplore t-elle. 

En se référant à sa mémoire, Cécile Guérard se rappelle d’un quartier beaucoup plus tranquille : « Lorsque j’avais 10 ans, il n’y avait pas un chat ici. En 1949, quand j’avais 18 ans, il y avait cinq rues seulement ! », se souvient-elle. 

Depuis, MHM a beaucoup changé et a connu maintes évolutions : « Il y a eu beaucoup de démolitions comme celle de l’église de la paroisse Saint-François d’Assise de la Longue-Pointe afin de construire le pont-tunnel Louis-Hippolyte La Fontaine. Ça m’a beaucoup ému à l’époque car il s’agissait de l’église où j’avais l’habitude d’aller », se remémore Mme Guérard.

La multiplication de plusieurs centres d’achat et de nombreux commerces ont également changé la dynamique de l’arrondissement qui n’avait alors que des épiceries de quartier  : « À l’époque, il y en avait quatre à Longue-Pointe », souligne Cécile Guérard. Ces épiceries et boucheries n’avaient pas d’horaires régulières : « Les gérants ouvraient leur commerce lorsque les clients toquaient à leur porte. »

Les prix, aussi, ont évidemment beaucoup changé : « Ça me coûtait 7 cents pour aller travailler en transports à l’époque ! » se rappelle t-elle. Mais malgré tous ces changements, Cécile Guérard reste très attachée à son arrondissement : « MHM c’est mon foyer, c’est ma maison » confie- t-elle, en esquissant un sourire. 

Du village à la ville

Parmi ses locataires, la résidence Les Jardins De Jouvence compte une autre Cécile qui a également passé toute sa vie à MHM. Cécile Fontaine, 93 ans, est arrivée à Tétreaultville à l’âge de 7 ans en 1936 : « Et je ne suis jamais repartie car je me sens bien ici », explique t-elle. Elle résidait sur la rue Notre-Dame avec ses parents dans une maison achetée par son père, devenue l’héritage de la famille Fontaine par la suite. Aujourd’hui, ce sont les neveux de Cécile Fontaine qui ont acheté la maison.

Cécile Fontaine est attachée à son quartier qui a connu un véritable tournant selon elle : « C’était la campagne avant. Il y avait des animaux partout et même des bottes de foin », se rappelle t-elle. Lorsque c’était le temps des foins, justement, son grand frère de 17 ans travaillait pour l’un de leurs voisins pour ramasser la matière, puis former des meules pour nourir les animaux : « Le soir, on s’amusait à sauter d’une meule de foin à une autre. On était pas toujours très sage et notre père nous disputait lorsqu’il nous voyait faire », raconte t-elle avec nostalgie. 

L’aînée de 93 ans se remémore une autre activité, le patin à glace, qu’elle chérissait beaucoup à l’époque : «  Mon père créait un rond à patinoire dans le jardin et les pompiers venaient l’arroser. Toute ma famille, dont nos cousins qui venaient nous voir le week-end, patinait dessus l’hiver », raconte Cécile Fontaine. Depuis cette ère, Cécile Fontaine a remarqué un changement particulier dans les habitudes familiales : « Aujourd’hui, c’est plus rare de voir les gens faire des choses en famille. Je trouve que le quartier ne possède plus cette ambiance familiale comme avant », regrette t-elle. 

Cécile Fontaine a été résidente mais aussi commerçante à Tétréaultville. Elle a possédé un dépanneur, le magasin Fontaine, pendant 7 ans : « C’était le seul commerce du coin à Tétréaultville ». Elle y vendait une multitude de produits tels que des articles pour l’école, de la viande froide, des jouets… Elle a décidé d’acheter ce magasin notamment car elle adorait le contact avec les résidents de son quartier. Un jour, un jeune écolier, un habitué de sa boutique, rentre dans son commerce avec trois nouveaux camarades qu’elle ne connaissait pas. Et le premier garçon a dit aux autres : « Ici on ne vole rien car elle connaît toutes nos mères », raconte t-elle en riant. Cécile Fontaine était connu dans son quartier et se sentait respectée : « C’était un village, tout le monde se connaissait », se remémore t-elle en souriant.

Cécile Fontaine, 92 ans, a résidé à Tétréaultville toute sa vie. (EMM / Sophie Gauthier).

Les bateaux blancs 

Aujourd’hui comme avant, le Saint-Laurent représente une véritable richesse pour l’arrondissement de MHM et ses résidents : « Vu qu’on était proche du fleuve, on s’y baignait tout le temps à l’époque », explique Cécile Fontaine. Le bout de chaque rue menait au fleuve et les familles en profitaient grâce à la baignade ou alors grâce aux fameuses chaloupes à l’ancre : « Avant, chaque famille en possédait une. Mes frères en avait une. Quand on était sur le fleuve, on se dépêchait de prendre les vagues quand les bateaux blancs passaient. On y allait tous les jours », raconte l’aînée. Ces ballades en chaloupe ont rythmé toute son enfance. 

Les bateaux auxquels Cécile Fontaine fait référence sont les « bateaux blancs », surnommés ainsi par les résidents et les riverains qui les apercevaient depuis la terre ferme. Quatre grands navires naviguaient sur le Saint-Laurent : le Richelieu, le St-Lawrence, le Québec et le Tadoussac. Ils naviguaient sur le fleuve entre Montréal et le Saguenay. « Ils faisaient des excursions à la journée. Ils pouvaient descendre à Québec et revenaient à Montréal par exemple », se souvient Cécile Fontaine. Ces véritables édifices flottants à vapeur reconnaissables à leur couleur blanche et leur taille imposante faisaient partie du quotidien des résidents de l’est. Ces navires mesuraient près de 107 m de long et avaient une capacité d’accueil de 550 passagers. Ils sont mis en service vers 1927 et disparaîtront en 1965. 

Ces bateaux blancs ont marqué les résidents de MHM puisque Cécile Guérard partage le même souvenir : « En mon temps, on pouvait s’asseoir au bord de l’eau et observer le bateau blanc qui passait » se souvient-elle, avec nostalgie. 

Le Québec, l’un des « bateaux blancs » de la Canada Steamship Lines, accosté au port de Montréal. (Courtoisie BAnQ/Conrad Poirier)