Vittoria Bavota, rosepatrienne depuis toujours (EMM/Sophie Gauthier)

SOUVENIRS DE L’EST : ARMAND, ANTONIO ET AUTRES ROSEPATRIENS

EST MÉDIA Montréal est allé à la rencontre de plusieurs aîné.es dans différents quartiers sur le territoire, dans des résidences de retraité.es surtout, afin de discuter avec elles et avec eux en toute convivialité. Nous avons demandé aux personnes qui ont habité dans l’est de Montréal pendant longtemps de nous parler de leurs souvenirs de la vie quotidienne et de leur quartier d’enfance. Cela a donné lieu à des rencontres extraordinaires, touchantes, parfois cocasses, parfois moins, mais toujours chaleureuses et enrichissantes. Une série signée Sophie Gauthier.

Vittoria Bavota, d’origine italienne et rosepatrienne depuis sa naissance, fait un bond en arrière et se confie sur les figures et les lieux qui ont construit ses souvenirs et la réputation de l’arrondissement.

Situé au cœur de Montréal, Rosemont–La Petite-Patrie adopte son nom en 1905 en l’honneur de la mère de l’un des actionnaires de la Ville qui se prénommait Rose. L’année suivante, Rosemont est annexé à Montréal et devient un arrondissement.

À l’instar de beaucoup de Rosepatriens, Vittoria avait pour habitude de se rendre régulièrement au fameux cinéma Beaubien, qui « s’appelait Le Dauphin dans le temps », se remémore-t-elle. Mais elle chérissait encore davantage un autre temple de cinéphiles, le Théâtre Montrose, qui a fermé ses portes en 1983. Il a été remplacé par un magasin de meubles depuis.

Vittoria mentionne un autre lieu emblématique de son arrondissement, le marché Jean-Talon. Elle se rappelle des allers-retours de son père au marché, déjà très populaire à l’époque : « Il y allait tous les dimanches matins. Il revenait toujours avec plein de fruits et légumes. À l’époque, les vendeurs étaient presque tous italiens », se souvient-elle. La communauté italienne a toujours été très présente dans l’arrondissement. Adolescente, Vittoria côtoyait fréquemment la population italienne à la Casa d’Italia, près du métro Jean-Talon : «  Plusieurs fois par an, il y avait des fêtes italiennes. Il y avait tellement de nourriture lors de ces évènements : des antipasti (NDLR : des entrées), des pâtes, des pizzas, des polpettes (NDLR : des boulettes de veau à la sauce tomate), des panettones… Il y avait aussi un orchestre. On dansait et chantait », se remémore-t-elle avec nostalgie.

Les personnages rosepatriens

Vittoria se souvient d’un acteur très important du quartier lorsqu’elle était petite, « Armand la glace ». Ce surnom avait été donné au marchand de glace de Rosemont qui se promenait avec son chariot, tiré par des chevaux et rempli de cubes de glace. Il apportait chaque morceau directement dans le frigo des résidents afin qu’ils puissent garder leurs aliments froids, le congélateur n’existant pas encore à cette époque. 

Illustration du marchand de glace dans le livre Le Montréal de mon enfance d’Antonio de Thomasis (EMM/Sophie Gauthier)

Vittoria se souvient également d’une autre figure marquante de Rosemont que les Montréalais surnommaient « Le Grand Antonio »,  un ancien lutteur professionnel d’origine yougoslave. Du haut de ses 6’4″ et pesant 495 lbs, le géant arpentait tout Montréal et en particulier Rosemont. Vittoria se souvient que tout le monde le saluait : « Je le saluais aussi, mais il me faisait peur quand j’étais jeune. Il était immense, imposant avec sa grande barbe et ses cheveux très longs. »

Ce personnage folklorique du Québec livrait régulièrement des démonstrations de force impressionnantes. Il tirait des automobiles et même des autobus remplis de passagers avec ses cheveux noués en tresses! Il est cité en 1952 dans le Livre Guiness des records pour avoir tiré un train de 433 tonnes sur 19,8 mètres. Peu avant son décès, en 2003, il occupait un petit appartement rue Beaubien, au coin de la 10e avenue, et avait pour habitude de vendre des photographies de ses exploits passés dans les stations de métro avoisinantes. En 2015, un banc à sa mémoire a été dévoilé au parc Beaubien, lieu qu’il affectionnait particulièrement. 

Le Grand Antonio, une légende des rues de Montréal (Courtoisie Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal, collection de cartes postales Christian Paquin)

Des bonbons et des jeux 

Durant son enfance, Vittoria passait son temps à jouer avec les enfants du quartier : « On était tout le temps dehors. Même l’hiver, on patinait. » Ses amis et elle allaient au parc Montcalm : « Il y avait une petite cabane dans laquelle on se rassemblait. Il y avait une monitrice pour les filles et un moniteur pour les garçons. » 

Course, jeu du drapeau, sauts en hauteur, artisanat… L’été, les enfants jouaient du matin au soir. « Je me souviens qu’on retrouvait toujours les garçons en fin de journée dans un grand champ, juste en face du parc. L’équipe des garçons affrontait celle des filles à la balle molle. Même durant l’année, après l’école, on se retrouvait avec les enfants du quartier. On jouait à la cachette puis on rendait au dépanneur pour acheter des sacs de bonbons. Les goûts étaient incroyables, rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Il y avait des lunes de miel et des boules noires qui coloraient notre bouche. Tout était naturel, c’était un autre temps… », conclut Vittoria Bavota, à la fois souriante et nostalgique.