Jim Orrell se replonge dans ses souvenirs à l’aide de ses notes (EMM/Sophie Gauthier)

SOUVENIRS DE L’EST : MONTRÉAL-EST, LES ANGLAIS ET LE SPORT

EST MÉDIA Montréal est allé à la rencontre de plusieurs aîné.es dans différents quartiers sur le territoire, dans des résidences de retraité.es surtout, afin de discuter avec elles et avec eux en toute convivialité. Nous avons demandé aux personnes qui ont habité dans l’est de Montréal pendant longtemps de nous parler de leurs souvenirs de la vie quotidienne et de leur quartier d’enfance. Cela a donné lieu à des rencontres extraordinaires, touchantes, parfois cocasses, parfois moins, mais toujours chaleureuses et enrichissantes. Une série signée Sophie Gauthier.

Fondée en 1910, la ville de Montréal-Est accueille une grande communauté anglophone à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Jim Orrell, un Londonien d’origine, se plonge dans ses souvenirs pour raconter sa vision de la ville à laquelle il est tant attaché. 

Du haut de ses 81 ans, reconnaissable par son accent anglais et son grand sourire, Jim Orrell arrive à Montréal-Est en 1956. Il y réside de ses 14 ans à ses 33 ans et s’établira par la suite à Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Toutefois, il connaît Montréal-Est par coeur puisqu’il y a travaillé presque toute sa carrière. 

Ce dernier se découvre une passion pour l’écriture à l’adolescence et rédige son premier article à l’âge de 17 ans dans le journal L’Avenir de l’Est, qui a malheureusement été contraint de fermer ses portes en août 2023. Jim Orrell y couvre l’actualité de Montréal-Est et de Pointe-aux-Trembles. À l’époque, le journaliste se déplace dans ces deux arrondissements à vélo pour rapporter notamment les naissances : « J’allais chez les familles, je prenais en photo leur bébé et on lui consacrait un article dans notre journal pour féliciter les parents », se souvient-il. M. Orrell écrit également à propos des mariages ou des décès. Ce journalisme de proximité s’apparente à un journalisme de campagne : « J’ai adoré ce travail car ça m’a donné l’opportunité de parler aux gens. J’étais assez proche de la population. »

Pendant une soixantaine d’années, jusqu’à la fermeture du journal, Jim Orrell avait sa chronique dans les pages de L’Avenir de l’Est intitulée « La Jungle à Jim ». Après plus d’un demi-siècle de collaboration avec ce journal en tant que journaliste pigiste, l’aîné de 81 ans en garde de merveilleux souvenirs. 

Jim Orrell a conservé un exemplaire du journal L’Avenir de l’Est datant de 1965 (EMM/Sophie Gauthier)

L’union anglo-québécoise 

Fils d’un père anglais et d’une mère irlandaise, Jim Orrell est l’aîné d’une famille de six enfants et est né dans la banlieue londonienne. Après la Seconde Guerre mondiale, la famille Orrell déménage au Québec en 1946 et s’établit dans une maison à Pointe-aux-Trembles, sur la 8e avenue, lorsque Jim Orrell a 4 ans. La famille déménage ensuite à Montréal-Est lorsque le jeune garçon est âgé de 14 ans.

Jim Orrell et ses parents en 1945 (EMM/Sophie Gauthier)

Sa famille réside rue de la Gauchetière. À l’instar de son père, beaucoup de résidents de Montréal-Est sont, à l’époque, des vétérans européens de la Seconde Guerre mondiale : « Beaucoup d’anciens soldats sont arrivés avec leur famille grâce à la Légion royale canadienne en 1946. Cet organisme trouvait des maisons et des jobs aux vétérans de la guerre. Tout le haut de Montréal-Est abritait des maisons de vétérans », explique-t-il. 

Jim est marqué par le lien qui unit les communautés québécoise et anglophone. Pendant son enfance et son adolescence, il passe son temps à jouer avec les enfants de son quartier. Québécois ou Anglais, peu importe la nationalité, les enfants jouent tous ensemble : « Je me considérais plus québécois qu’anglais car j’étais toujours avec les locaux. » Pour lui, la différence de langue ou de nationalité n’a jamais été une frontière : « Ma femme, Ginette, est québécoise. Mon ami Lawrence est marié avec une Québécoise aussi. Les gens ne se préoccupaient pas de la langue, mais de la personne », souligne Jim. 

Malgré ce lien très fort entre les deux communautés, Jim se rappelle de certaines différences relatives à ses origines, notamment sur les manières de célébrer Noël : « Les anglophones fêtent Noël le 25 décembre. On ouvre les cadeaux tôt le matin et on fait un repas avec tout le monde l’après-midi. Mon meilleur ami québécois de l’époque, lui, m’avait invité à la messe de minuit du 24 décembre! Les Québécois rentrent chez eux après l’église pour faire la fête jusqu’à 3 h du matin », ajoute-t-il. 

M. Orrell se souvient que la municipalité mettait en place beaucoup d’activités afin de rassembler les résidents et de consolider la vie de quartier : « Chaque année, on faisait l’épluchette de blé d’Inde, tous les citoyens étaient invités gratuitement. On était au moins 1000 personnes. »

La magie fédératrice du sport 

À l’époque, si un aspect participe à rapprocher la communauté québécoise et anglo-saxonne de Montréal-Est, c’est bien le sport. Inauguré en 1966, le centre récréatif Édouard-Rivet est le berceau des jeunes sportifs de Montréal-Est : « J’avais même assisté à la première pelletée de terre du bâtiment », se souvient Jim Orrell. Le centre porte ce nom en l’honneur d’Édouard Rivet, maire de Montréal-Est de 1962 à 1982. Sa photo décore l’un des murs de l’entrée du centre sportif. 

M. Orrell joue un rôle important dans l’histoire sportive de ce centre. À seulement 14 ans, il enfile la casquette de coach de l’équipe de football de la ville : « Le directeur m’a demandé d’entraîner une équipe d’une douzaine d’enfants âgés de 8 à 12 ans, tous les samedis après-midi au stade de Montréal-Est. » Le sportif occupe ensuite le poste de responsable des loisirs du Centre Edouard-Rivet, où il participe à la création de 11 ligues de football ainsi que la première ligue de hockey mineure de Montréal-Est :  « J’avais 21 ans à cette époque. Je m’en occupais tous les week-ends. Certains résidents de Montréal-Est m’en parlent encore », rapporte-t-il. 

M. Orrell se souvient que la vie sportive du secteur concernait tout le monde. Un employé de la Ville avait pour habitude d’offrir une pièce de 25 cents aux enfants qui marquaient des points lors des matchs de baseball le week-end au Stade Delorimier : « Il encourageait vraiment les jeunes. Il donnait aussi des coupons pour qu’on puisse aller manger des crèmes glacées! » Jim Orrell se rappelle que ses parents lui donnaient 10 cents pour payer l’aller-retour en bus afin de se rendre au Stade Delorimier, démoli en 1965, pour regarder des matchs professionnels de baseball. La première fois qu’il a vu cet endroit, Jim s’est exclamé : « C’est notre stade ! »

L’équipe de baseball de Montréal-Est dont faisait partie Jim Orrell (EMM/Sophie Gauthier)

Il y a 50 ans, Jim Orrell a fondé l’Association de hockey mineur de Montréal-Est. Il donnait des cours sur la patinoire du Centre Édouard-Rivet : « On jouait contre Saint-Léonard, Anjou, Repentigny… On était hautement considérés! » L’ancien entraîneur se souvient qu’il soignait lui-même ses joueurs sur le bord de la patinoire lorsqu’ils prenaient un mauvais coup : « La première année, ils avaient des casques en cuir », se rappelle-t-il. « Mon corps tremble presque en vous racontant tout cela », conclut Jim Orrell, légèrement ému.