Philippe Schnobb et Louise Harel lors de leur conférence à la Librairie Paulines (EMM/Sophie Gauthier)

LITTÉRATURE : LOUISE HAREL SANS COMPROMIS

Sa nouvelle biographie Sans compromis, écrite par l’ancien journaliste de Radio-Canada et ex-président de la Société de transport de Montréal (STM) Philippe Schnobb et parue le 12 octobre dernier aux éditions La Presse, dresse non seulement le portrait de Louise Harel, mais également de l’histoire contemporaine du Québec tout entier à travers les 60 ans de carrière de l’ancienne politicienne. 

En 2021, M. Schnobb venait de terminer son mandat de président à la STM lorsqu’il croise un soir Mme Harel au théâtre. Le hasard des choses, ou le destin, fait qu’elle est assise juste à côté de lui. 15 ans plus tôt, Philippe Schnobb avait proposé à Mme Harel de rédiger sa biographie, ce qu’elle avait décliné poliment à l’époque. Elle lui avait fait savoir qu’elle n’aimait pas les biographies : « Je les trouve ennuyantes, surtout les autobiographies qui sont complaisantes », confie t-elle. Une quinzaine d’années plus tard, elle avait changé d’avis. 

L’ancienne politicienne et l’ancien journaliste ont convenu que l’écrivain aurait carte blanche pour publier ce qu’il allait découvrir au fil de son investigation, qui a duré un an et demi. Philippe Schnobb a eu des entretiens avec plus de 70 personnes de l’entourage de Louise Harel, aussi bien ses proches que ses collaborateurs, tels que Pauline Marois, Lucien Bouchard ou encore Louise Beaudoin. « Lorsque j’ai lu son manuscrit pour la première fois, j’en ai appris, des choses! », plaisante Louise Harel. Elle lui a également accordé plus de 50 heures d’entretiens auxquels s’ajoutent des centaines de courriels.

L’ancien journaliste de Radio-Canada s’est toujours intéressé au personnage de Louise Harel, qu’il percevait comme « quelqu’un de très rebelle ». Son objectif était de comprendre son parcours et sa réputation : « J’étais curieux de savoir comment cette personne si douce et aimable avait pu être considérée comme une personne si radicale dans la vie politique », partage-t-il. 

Au fur et à mesure de sa rédaction, le biographe a réalisé qu’à travers Louise Harel, il allait couvrir toute l’histoire récente du Québec : « Elle était présente dans les mouvements étudiants, dans les grèves, elle collait des affiches pour le Parti Québécois… C’est comme ça que cette politicienne a réussi à accomplir des choses importantes pour le Québec et qu’elle est maintenant reconnue par l’ensemble de ses pairs », souligne Philippe Schnobb.

Louise Harel, alors étudiante à l’école normale en 1968, répond aux questions d’un journaliste (Courtoisie Archives RC)

L’évolution de la femme au Québec 

Une dimension importante du livre concerne l’exercice du pouvoir féminin. Cheffe de l’Opposition officielle, ministre de l’Emploi et de la Solidarité ou présidente de l’Assemblée nationale, Louise Harel a endossé de nombreux rôles importants à travers lesquels elle est restée fidèle à ses convictions : « J’ai cherché à imposer le fait d’être une femme en politique et non pas de changer en adoptant des codes en vigueur depuis des siècles », insiste-t-elle. 

Première femme à occuper le poste de présidente de l’Assemblée nationale du Québec, Louise Harel a toujours placé l’égalité homme-femme au coeur de sa carrière. Une anecdote de cette biographie concerne sa voix, lorsqu’elle a demandé à un technicien d’augmenter le volume de son micro à l’Assemblée nationale : « J’ai toujours pensé que l’égalité entre les hommes et les femmes passait par le micro », lit-on dans les pages de Sans compromis. Beaucoup lui ont souvent reproché que sa voix était trop douce, pas assez agressive pour faire carrière en politique. Ces remarques répétitives ont pu constituer une source de souffrance : « Ça peut miner la confiance car les attributs masculins sont ceux qui sont associés à l’autorité, à l’audace et au courage par exemple. Ne pas posséder ces attributs et rester soi-même dérange car ça oblige à tout reconsidérer », explique Louise Harel.

L’ancienne politicienne se souvient de propos tenus pour qualifier une collègue militante, devenue par la suite députée et qui devait quitter le comité exécutif du Parti Québécois : « Pour vraiment insister sur ses capacités, ses collègues disaient d’elle qu’elle était le meilleur homme de l’équipe! », rapporte-t-elle. 

Une phrase marquante de cette biographie est lorsque Louise Harel dit qu’il faut « liquider le syndrome de la bonne fille et accepter de déplaire si on veut survivre en politique ». Elle explique durant l’entrevue accordée à EST MÉDIA Montréal que, selon elle, dès la petite enfance, la femme « grandit dans cette dynamique de vouloir être aimée, de séduire et c’est justement ce qui nous éloigne souvent des lieux de pouvoir ».

Louise Harel pense que le féminisme entre aujourd’hui dans une nouvelle étape : « Le féminisme que j’ai connu était plus institutionnel, il fallait envahir des lieux de pouvoir. À mon époque, on a réformé le Code civil ou modifié les livres scolaires qui présentaient des stéréotypes. Le féminisme d’aujourd’hui concerne davantage l’intime », raconte-t-elle. 

L’est de Montréal, son territoire

Députée d’Hochelaga-Maisonneuve pendant 27 ans et 8 mois, Louise Harel entretient un lien très intime avec l’est montréalais, dépeint dans cette biographie. Lorsqu’elle est élue en 1981, elle se retrouve dans ce quartier majoritairement ouvrier, produisant 25 % de la production industrielle du Québec. L’arrondissement produisait de l’industrie lourde : «  Il y avait une usine qui fabriquait des têtes de sous-marins nucléaires avec 2 000 ouvriers. Il y avait aussi les Shops Angus avec les trains, où il y avait  2 000 employés lorsque j’ai été élue, mais avant, il y en avait eu 8 000! », se souvient Louise Harel. Et entre 1985 et 1990, 8 000 emplois ont été supprimés : « Ça a été une hécatombe… », déplore-t-elle. 

Cette période fut marquée par de douloureuses transformations : « Ce quartier, que je représentais à l’époque à l’Assemblée nationale, était un quartier ouvrier, mais qui était en train de devenir un ancien quartier ouvrier. C’était une période difficile que j’ai traversé avec la population. » Cette période lui a permis de se servir de son expérience dans ses futurs emplois : « Quand je fus ministre de l’Emploi, de la Solidarité et de la Sécurité du revenu, j’ai pu mettre en place des programmes de création d’emploi dans le domaine de l’économie sociale, mais également de la solidarité sociale, si je peux la nommer de cette façon », raconte-t-elle. 

Louise Harel a organisé des instances de concertation appelées Programme Action Revitalisation Hochelaga-Maisonneuve (PARHM) qui ont donné lieu ensuite à des corporations de développement économique et communautaire, mais également à de l’entrepreneuriat social. « L’entrepreneuriat se développe trop souvent seulement dans des milieux familiaux aisés », explique Louise Harel. 

Depuis la fin de son mandat de député d’Hochelaga-Maisonneuve, Mme Harel a observé une évolution concernant notamment le domaine résidentiel. « Lorsque j’arrive en 1981, 92 % de la population de l’arrondissement est locataire », rappelle Louise Harel. Il y a eu depuis beaucoup de constructions de logements coopératifs communautaires.

Une autre évolution dont a été témoin la politicienne est la création puis le développement du Regroupement des cuisines collectives du Québec (RCCQ), dont le but est d’assurer une intervention alimentaire en mettant l’économie au service du social. La première cuisine collective a été créée au coeur d’Hochelaga-Maisonneuve en 1982 : « Une organisatrice communautaire du Centre local des services communautaires (CSLC) d’Hochelaga-Maisonneuve avait emmené un groupe de femmes du quartier au Pérou. Elles y avaient connu l’équivalent de ces cuisines collectives et elles sont revenues avec ce projet que j’ai beaucoup appuyé », se rappelle l’ancienne politicienne. Elle est fière d’observer qu’il existe aujourd’hui 1 200 membres qui font partie des cuisines collectives présentes à travers 18 régions du Québec. 

Sans compromis est déjà disponible en librairies (EMM/Sophie Gauthier)

Son lien avec la Librairie Paulines 

Louise Harel est attachée particulièrement à un lieu de culture et d’échange dans l’est de Montréal, la Librairie Paulines (2653, rue Masson), où s’est d’ailleurs déroulée la conférence à propos de sa biographie Sans compromis, en compagnie de Philippe Schnobb. 

Elle a pour habitude d’y acheter ses livres, sauf lorsqu’elle passe par le site Internet de la librairie afin de les recevoir directement chez elle, ce qu’elle a trouvé très pratique pendant la pandémie. 

Cette passionnée de littérature pense que ce commerce dynamise le secteur de Rosemont : « Dans une rue commerciale comme Masson, il est très important d’avoir justement un lieu culturel et littéraire. La Librairie Paulines est une richesse pour ce quartier », lance-t-elle, une étincelle dans l’oeil. Louise Harel l’a découverte grâce à plusieurs conférences d’auteurs, dont une sur Guy Rocher, à l’instar de la rencontre de ce soir pour sa biographie : « Quelque part, avec ma propre conférence, j’ai voulu reproduire ce que j’avais vécu ici! », termine l’ancienne politicienne.