De tous les lieux d’intérêt à la Pointe-aux-Trembles, le plus connu et le plus fréquenté au fil des ans, est le Sanctuaire de la Réparation au Sacré-Cœur. La Chapelle ou Sanctuaire de la Réparation vit le jour l’année même où le premier tramway roulait à la Pointe-aux-Trembles, soit en 1896.

Le Sanctuaire est l’œuvre de Marie de la Rousselière, arrivée au Québec en 1886 avec sa sœur Clémentine, l’époux de cette dernière, André Brisset Des Nos, et leurs nombreux enfants. Fervents catholiques et fortunés, ils quittaient une France en proie à la laïcisation et à l’anticléricalisme. Marie reprit alors ses diverses activités religieuses de promotion de l’Adoration du Saint- Sacrement et de la Réparation au Sacré- Cœur pour les péchés du monde.

André Brisset acheta bientôt la terre où se trouve maintenant la Maison de la Culture, s’étendant des berges du Saint-Laurent au trécarré des terres de la paroisse de la Rivière-des-Prairies. Il en fit la résidence d’été de la famille et permit à Marie de la Rousselière de faire du boisé de ferme situé à un mille de la maison son lieu de prière et de méditation. L’objectif de Réparation de Marie était encore plus vivant, surtout à Pointe-aux-Trembles. Elle écrivit d’ailleurs : « Ce qui nous donna le désir de faire bâtir une petite chapelle dans cet endroit si sauvage fut les rapports que l’on nous faisait des divertissements déshonnêtes au Bout-de-l’Île, non loin de notre demeure. Puis encore, on nous parlait d’un prêtre apostat du nom de Cheniki, très scandaleux, qui habitait, l’été, le village de Pointe-aux-Trembles, encore près de chez nous. D’après ces rapports, nous n’avions qu’un seul désir : réparons et bâtissons une Chapelle pour réparer tant de crimes.» Femme d’action, Marie de la Rousselière savait que la réussite de son pèlerinage à la Réparation supposait la présence de bâtiments et d’une communauté religieuse.

La première chapelle fut bénite au printemps 1897, au nom de l’évêque de Montréal, par l’abbé Florent Bourgeault. Ce même été, le père Frédéric, franciscain, présidait l’érection du chemin de croix dans le bocage et animait le pèlerinage avec Marie. Puis, après un bref séjour à la Réparation, les Dominicains en cédèrent la responsabilité aux Pères du Saint- Sacrement en 1900. Dur coup en 1901, alors qu’André Brisset Des Nos et son épouse Clémentine décédèrent tous les deux. Leurs enfants non mariés et Marie de la Rousselière retournèrent en France, Marie entrant au Carmel d’où, durant 22 ans, elle soutiendra son œuvre de ses prières et de ses échanges épistolaires.

Le pèlerinage connut vite un grand succès malgré la fondation de l’Oratoire Saint-Joseph par le thaumaturge Frère André en 1904. En 1921, les Pères Capucins succéderont aux Pères du Saint-Sacrement, et malgré l’approche exigeante du pèlerinage au Sanctuaire, celui-ci devint et demeura très populaire auprès des gens du milieu, de Montréal, de l’est du Canada et des États-Unis, d’où afflueront des centaines de milliers de pèlerins chaque année, grâce au tramway, à l’autobus, à l’autocar et ensuite à l’automobile.

Annuellement, jusqu’aux années 1970, divers groupements firent du Sanctuaire et de son bocage leur lieu de prédilection. Ainsi, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal s’y rendait annuellement avec un effectif de 8 000 personnes en 1929 et 7 500 en 1941; les pèlerinages des Tertiaires ou de la LOCF ne comptaient jamais moins de 2 000 personnes; ou encore ceux des Ligues du Sacré-Cœur ou de la communauté italienne de Montréal.

Les rassemblements annuels les plus spectaculaires sont ceux de la fête du Sacré-Cœur, en juin, dont la neuvaine attire facilement 50 000 personnes, ou encore la bénédiction annuelle des automobiles, qui regroupe jusqu’à 7 000 automobilistes en 1956, organisée en collaboration avec la Ligue de Sécurité du Québec et la CAM/AOA. Ces grands rassemblements étaient toujours  présidés par l’archevêque de Montréal ou un prélat voisin. À une autre échelle, mais dans le même ordre de préoccupation, les Capucins bénissaient aussi les bicyclettes de la jeunesse pointelière.

Les Pères Capucins ont toujours tenu un compte rigoureux et publié dans leur revue les statistiques de fréquentation du Montmartre canadien. Ainsi, on sait qu’en janvier 1926, 14 200 pèlerins sont venus y prier, qu’en juillet 1932, ce nombre était de 21 000 et que pour l’entièreté de l’année 1965, ce nombre atteignait le chiffre remarquable de 332 000 pèlerins! Nul doute que la gestion de telles foules supposait l’existence d’un service d’ordre efficace et inspiré. Après avoir confié cette tâche à une garde d’honneur durant plusieurs années, les Pères Capucins créèrent en 1956 une légendaire compagnie de zouaves pontificaux.

On retrouve sur le site du Sanctuaire de la Réparation un impressionnant ensemble d’édifices à vocation religieuse que nous présentons ici dans l’ordre chronologique de leur apparition.

Le Chemin de croix et tombeau (1897)

Marie de la Rousselière obtint en 1897 l’autorisation de l’archevêque Paul Bruchési d’offrir la dévotion de la Voie de la Croix, tant dans la chapelle de la Réparation que sur le terrain l’avoisinant. Ce serait le bienheureux Père Frédéric qui aurait établi le tracé dans le bocage, en respectant les distances de la Via Sacra de Jérusalem. Les stations furent réalisées par la maison Carli, et furent rénovées en 1952. La dernière station, celle de la mise au tombeau, aurait été aménagée par le Père Frédéric lui-même, « construit exactement comme celui fait par Joseph d’Arimathie ».

La grotte de Lourdes (1901)

La chapelle érigée par Marie de la Rousselière avait été placée sous le vocable de Notre-Dame-des-Oliviers. Sensible au message de Lourdes portant sur la pénitence, Marie de la Rousselière, à la veille de son retour en France, voyait les pères du Saint-Sacrement ériger en 1901, au centre du boisé, la reproduction de la grotte de Lourdes qui s’y trouve toujours.

La Scala Santa (1905)

En commémoration de l’escalier que dut gravir le Christ pour accéder au palais de Ponce Pilate, on débuta en 1905 la construction d’un édifice de style byzantin d’après les plans du célèbre architecte J.-A. Godin. Cet édifice, un des premiers à être construit en béton armé au Québec, renferme l’escalier saint (Scala Santa) et plusieurs statues dont un gisant de Maria Goretti. Après l’incendie de la première chapelle et en attendant sa reconstruction, c’est là que durant quelques années se déroulaient les célébrations religieuses.

Plus d’un siècle après sa construction, cette bâtisse remarquable avait un urgent besoin de réparations et vient de faire l’objet de travaux majeurs grâce à une subvention de 196 000$ du Ministère de la culture et de dons recueillis par la Fondation du Sanctuaire.

La résidence d’été des pères du Saint-Sacrement (1906)

Les pères du Saint-Sacrement firent construire en 1906 une résidence devant les héberger au cours des mois d’été, période d’activité du lieu de pèlerinage. Cette résidence fut érigée à l’arrière de la chapelle de pierre dont nous parlerons plus bas. Elle sera plus tard déménagée à l’ouest de la chapelle par les Pères Capucins qui en feront le magasin d’objets de piété.

La petite chapelle de pierre (1910)

Si on l’appelle aujourd’hui la petite chapelle, c’est par référence à la grande chapelle érigée en 1959. En effet, au moment de son inauguration en grande pompe en 1910, la nouvelle chapelle de style néo-roman dessinée par l’architecte Charles Bernier faisait la fierté des pères du Saint-Sacrement. Elle porte d’ailleurs plusieurs symboles référant à cette communauté. La cloche porte le nom de Pierre-Julien Eymard, leur fondateur, alors que les statues des niches de la façade sont celles de Saint Pascal-Baylon, patron de la dévotion au Saint-Sacrement, et de Sainte Marguerite-Marie, la messagère du Sacré-Cœur. Au-dessus du narthex – un ajout postérieur – on remarque un tympan où se trouve un bas-relief du sculpteur Armand Filion, représentant le Christ, Saint-François et Sainte Marguerite-Marie.

Les vitraux de cette chapelle développent quatre thèmes : la Passion, l’Eucharistie, le Sacré-Cœur et la famille de Jésus. La crypte de cette église renferme les restes mortels de Clémentine de la Rousselière.

Le monastère des pères capucins (1922)

À leur arrivée au sanctuaire après un intérim de trois ans assuré par des prêtres diocésains, les Capucins entreprirent l’érection de leur monastère, bel édifice en brique d’inspiration néo-romane, et dont la paternité reviendrait à Louis Caron, fils issu de la célèbre famille d’architectes de Nicolet. L’édifice comporte un avant-corps orné d’une fenêtre palladienne dont la niche porte une statue de Saint-François, des ailes est et ouest et une aile perpendiculaire au nord.

Le Calvaire (1931)

À la fin du sentier qui parcourt le bocage se trouve un magnifique calvaire dont les six personnages de plâtre furent remplacés en 1931 par des bronzes produits dans les ateliers de Vaucouleurs en France.

La chapelle du bocage (1946)

Lors des célébrations eucharistiques estivales tenues pendant de grands pèlerinages, l’affluence était telle que la chapelle de 1910 était insuffisante. À l’occasion du cinquantième anniversaire de la fondation du sanctuaire, on érigea donc dans le bocage cette chapelle – qui en fait est un chœur – devant laquelle on célébrait la messe. C’est le sculpteur Armand Filion qui réalisa la grande croix de pierre située derrière l’autel. Cette chapelle remplaça la chapelle dite du Tiers-Ordre qui remplissait le même rôle.

La grande chapelle (1959)

L’affluence des pèlerins était telle, même durant la mauvaise saison, que l’on décida en 1959 de construire une grande chapelle d’une capacité de 1 500 personnes. Simple dans sa conception et attribuable à l’architecte d’origine française André Blouin, la grande chapelle est construite en béton, acier et bois, matériaux apparents dans sa décoration.

On retrouve au nord de la grande chapelle le mausolée des frères capucins décédés, et au sud la salle de réunion Saint Padre Pio, capucin italien stigmatisé dont le bronze est visible à l’extérieur de l’édifice.

Le vitrail à Saint-François (1982)

À l’occasion du 800^e anniversaire de naissance du Poverello d’Assise, on érigea dans le bocage une magnifique structure de verre conçue par le Père Guy Bruneau, Capucin, et réalisé par le célèbre verrier d’origine néerlandaise Laurens Kroon, assisté des frères Marc Sarrazin, f.e.c. et Guy Lessard, f.e.c. Très colorée, cette œuvre représente un Saint François d’Assise très actualisé, en patron de l’écologie, entouré de végétaux et d’une colombe.

Les derniers vingt ans du XXe siècle ont vu reculer la pratique religieuse et les vocations de façon dramatique. Tout en renouvelant certaines activités dans la plus pure tradition franciscaine, comme la bénédiction des véhicules récréatifs ou des animaux de compagnie, le Sanctuaire de la Réparation a connu une baisse continue du nombre de ses pèlerins. L’arrondissement de RDP-PAT et un comité du Sanctuaire se questionnent actuellement sur l’avenir de l’institution et se penchent sur des hypothèses d’aggiornamento du lieu et de ses espaces verts.

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Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est II a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse de Pointe-aux-Trembles.
Recherche et rédaction : Atelier d’histoire de la Pointe-aux-Trembles, Pierre Desjardins, président.