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Des maisons typiques de Saint-Léonard. (Photo: Wikimedia Commons).

SAINT-LÉONARD : UN ARRONDISSEMENT MARQUÉ PAR LE CHANGEMENT

L’arrondissement de Saint-Léonard a été le lieu d’importants bouleversements au niveau de sa démographie depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Malgré ses apparences de quartier paisible et familial, ce secteur a connu de nombreuses transformations en quelques décennies et celles-ci ne cesseront pas de sitôt.

En 1956, on comptait 925 résidents dans la ville de Saint-Léonard-de-Port-Maurice. Moins de vingt ans plus tard, en 1971, ce nombre grimpe de façon fulgurante pour atteindre 52 040 résidents dans cette ville désormais simplement nommée Saint-Léonard. D’importants chantiers résidentiels ont été entrepris durant ces quelques années et les vagues d’immigration en provenance de l’Italie font accroître les rangs des familles qui viennent s’y installer.

« Je suis née en 1965 à Saint-Léonard. Nous, on était quatre enfants, avec les grands-parents qui vivaient au deuxième étage. Tout le monde était francophone sur notre rue et on a vu arriver les vagues d’immigration italiennes dans le quartier », raconte Suzanne De Larochellière, conseillère d’arrondissement. Cette dernière se remémore comment la cohabitation entre les Québécois de diverses origines s’est faite naturellement. « On allait chez la grand-mère des voisins, la « nonna », qui nous faisait des toasts au Nutella. On jouait dans les champs en arrière de chez nous, petits Québécois et Italiens, tous ensemble. »

Les conseillères de Saint-Léonard. De gauche à droite: Angela Gentile, Suzanne De Larochellière et Arij El Korbi. (Photo courtoisie Saint-Léonard).

À son plus fort, la population italienne représente près du tiers des résidents dans le quartier, relate l’élue. En effet, même quelques années plus tard, le recensement pancanadien de 2001 rapportait que de la population totale de Saint-Léonard est de 69 510 citoyens, dont près de 18 % provenait de l’immigration italienne, soit 12 485 résidents. À l’époque, les Italo-Canadiens de Saint-Léonard représentaient près de la moitié (46,7 %) de tous les immigrants dans le quartier.

Angela Gentile, conseillère de ville, se souvient bien de l’âge d’or italien de Saint-Léonard. « Je suis née en 1967 à l’Hôpital Santa Cabrini. J’ai vu le quartier se transformer dans les années 1970. Les rondes de financement pour bâtir nos paroisses, la construction des premières écoles secondaires. On voyait une rue se faire construire, puis une autre. Des cousins qui arrivaient. Ce fut un changement incroyable », relate-t-elle.

Perte de vitesse démographique, creux d’immigration et rebond

Il y a deux décennies, on voyait déjà un changement de plaques tectoniques prendre de l’ampleur au niveau démographique. Les familles italiennes vieillissantes qui s’étaient installées dans le quartier durant les années 1970 causaient alors une décroissance de la population, les enfants délaissant peu à peu le nid familial pour s’installer dans d’autres quartiers à Montréal et en périphérie. Ce sont 3 516 habitants qui ont progressivement quitté le quartier entre 1991 et 2001. Toutefois, de nouvelles vagues d’immigration se dessinaient déjà à l’horizon. En 2001, après l’Italie, les deux principaux pays d’origine des Léonardois immigrants sont Haïti et l’Algérie, dont les ressortissants comptent respectivement pour 9,1 % et 5,4 % du total de la population venant de l’étranger.

Cette tendance se confirme graduellement. Après avoir connu un creux historique d’immigration dans les années 1980 jusqu’au début des années 1990, le visage de Saint-Léonard s’est encore une fois transformé. Selon les données du recensement de 2021, la population a crû de 10 000 résidents depuis 2001, et atteint aujourd’hui le nombre de 79 495 léonardois. On compte maintenant 36 360 résidents d’origine étrangère dans l’arrondissement, ce qui représente un peu plus de 45 % de la population de Saint-Léonard.

Tendance de l’immigration à Saint-Léonard depuis les années 1980. On constate un creux de l’immigration entre 1980 et 1990, puis une recrudescence dans les années 2000 jusqu’à aujourd’hui. (Données tirées du recensement 2021/graphique: EMM).

Désormais, ce ne sont plus les Italo-Canadiens qui mènent la catégorie des immigrants dans l’arrondissement, leur nombre ayant diminué à 7 500 selon les dernières données, soit 20,6 % de la population totale des immigrants. Ce sont les immigrants d’origine algérienne qui les ont supplantés, leurs rangs atteignant maintenant 8 190 résidents, soit 22,5 % de la population totale des immigrants. Les Léonardois d’origine haïtienne et marocaine occupent aussi une place importante dans la démographie de l’arrondissement, composant respectivement 11,7 % et 10 % du total de la population des nouveaux arrivants.

La conseillère d’arrondissement Arij El Korbi fait partie de ces nouvelles vagues d’immigration. Née à Montréal, l’élue retourne dans le pays d’origine de ses parents, en Tunisie, pour ensuite revenir s’installer à Saint-Léonard en 1999. « Selon mes premiers souvenirs, nous sommes arrivés dans un quartier qui était très familial. J’allais à l’école et au parc à pied. Je ne me sentais alors pas du tout déracinée. Cet aspect familial a grandement facilité notre intégration », affirme celle-ci.

Selon cette dernière, ce sont les unités résidentielles construites par les arrivants italiens sous forme de maisons unifamiliales, duplex et triplex qui se sont longtemps louées à prix modique, ainsi que la proximité avec le Petit Maghreb sur la rue Jean-Talon Est, qui ont attiré les populations du nord de l’Afrique à s’installer dans Saint-Léonard durant les années 1990.

Défis à venir

Les trois conseillères s’accordent pour dire que ce ne sera pas la fin des transformations dans l’arrondissement. De nombreux défis devront être relevés à cause de la démographie changeante.

C’est d’abord un enjeu de cohabitation qui doit être adressé par les élus dans les prochaines années. Tandis que les Italiens de première génération qui demeurent dans le quartier vieillissent et font croître les rangs des aînés, les populations maghrébines fondent des familles. On retrouve par exemple près de 90 % d’élèves en provenance du Maghreb à l’école primaire Lambert-Closse, selon les informations de Mme El Korbi. Apprendre à vivre en harmonie alors qu’un tel choc des générations se produit ne sera pas une mince affaire, non seulement au niveau des interactions dans les espaces publics, mais aussi parce que l’administration de Saint-Léonard devra revoir son offre de service pour s’adapter aux besoins des plus jeunes. Cela signifiera entre autres davantage d’activités et de sports subventionnés et plus de lieux de socialisation.

Un autre grand projet bouleversera très certainement la démographie d’ici les prochaines décennies : l’arrivée des nouvelles stations de la ligne bleue du métro de Montréal. Trois de ces stations ouvriront leurs édicules dans Saint-Léonard, sur les boulevards Viau, Lacordaire et Langelier, d’ici 2029. Déjà, les promoteurs immobiliers flairent les bonnes affaires, si l’on se fit à un récent article du Journal de Montréal.

« L’arrivée du métro apportera des enjeux de sécurité et de propreté. Il faudra trouver un moyen de vivre en harmonie avec les nouvelles populations qui viendront s’installer », souligne Mme Gentile. Sa collègue pense qu’il sera nécessaire d’encourager les néo-Léonardois à prendre part à la vie collective et à s’impliquer dans leur communauté. « Pour qu’il y ait une cohésion sociale, il faudra que les gens ne se cloisonnent pas », insiste Mme De Larochellière.

Pour sa part, Mme El Korbi croit que l’accessibilité favorisée par les transports en commun, en plus de l’inflation galopante, forceront les élus à se pencher sur les enjeux de logement social et abordable, alors qu’une grande partie des ménages de Saint-Léonard (20 %) vit en dessous du seuil de pauvreté québécois de 35 000 $.

Plan du prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal. Trois stations seront créées dans l’arrondissement Saint-Léonard. (Image courtoisie STM).


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