Le tracé retenu par le comité d’analyse du PSE (image courtoisie).

REM DE L’EST : UN MANDAT RESTREINT ET UNE FACTURE SALÉE

Le Projet structurant pour l’est de Montréal (PSE), anciennement le REM de l’est, devra se faire entièrement en souterrain et pourrait coûter jusqu’à 36 milliards de dollars. Voilà donc les principales conclusions du rapport du comité de travail chargé d’analyser la création d’un réseau de transport dans l’est de la métropole.

Les recommandations du groupe d’étude, composé de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), de la Société de transport de Montréal (STM), de la Ville de Montréal et du ministère des Transports du Québec, ont été rendues publiques ce mardi. D’entrée de jeu, les analystes ont insisté sur le fait que le comité avait un mandat restreint, qui devait se limiter à proposer une nouvelle version du projet anciennement piloté par CDPQ Infra. « On a pris un projet qui était déjà avancé, qui devait tirer profit de la connexion à la ligne verte. Aussi, il n’était pas question de recommander des formes de financement ni de faire des analyses du potentiel de développement économique et urbain du PSE », a affirmé Marc Dionne, directeur du projet PSE à l’ARTM.

Ainsi, impossible de savoir si un mode de transport différent du train léger automatique, comme un tramway, un service de bus rapide ou un prolongement du métro, serait plus avantageux. Ce n’était pas dans le mandat, indique-t-on.

Le comité de travail a tout de même analysé en profondeur les options sur la table. Dépendamment de la version mise de l’avant, la facture du PSE s’élèverait entre 21 et 36 milliards de dollars. Un projet rapidement adopté par le ministère des Transports, qui se déroulerait sans embûches, nécessiterait quatre à cinq années de construction et une mise en service serait envisageable en 2036. De plus, afin de permettre de financer le projet, on pourrait envisager qu’il soit complété en « deux, trois ou quatre phases », reconnaît M. Dionne.

Plusieurs scénarios examinés

Un « PSE de base » coûterait 21,2 milliards de dollars. Celui-ci partirait de Pointe-aux-Trembles vers Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, faisant une connexion aux stations de métro Assomption sur la ligne verte et sur la future extension de la ligne bleue, montant vers le nord dans Saint-Léonard, puis Montréal-Nord, pour terminer sa course au cégep Marie-Victorin. On estime qu’aux heures de pointe ce serait environ 18 800 passagers qui emprunteraient le train léger automatique sur ce tracé.

D’autres scénarios ont été retenus, dont un faisant passer le tracé sur les rues Hochelaga et Sherbrooke, au coût de 22,8 milliards de dollars pour 19 300 passagers aux heures de pointe, ou un troisième connectant aussi le PSE à la station Honoré-Beaugrand au bout de la ligne verte du métro, et dont la facture et l’achalandage seraient similaires.

Enfin, les coûts estimés de la combinaison de certains des scénarios sur 34 km, desservant l’est de Montréal, ainsi que les villes de Laval et de Charlemagne, seraient de l’ordre de 35,9 milliards de dollars. Dans tous ces scénarios, un lien direct avec le centre-ville est exclu et l’ensemble du réseau se ferait en souterrain. Par ailleurs, toutes les options analysées semblent inclure une station à la ville de Montréal-Est.

Le REM de l’est tel que proposé à l’origine par CDPQ Infra. (Image Archives EMM / courtoisie CDPQ Infra).

Avant de s’être vu retirer le projet de ses mains, CDPQ Infra mettait de l’avant un tracé de 32 km entre le centre-ville et le quartier Maisonneuve, complété par deux antennes à ce tronçon commun, soit celle vers le cégep Marie-Victorin, et celle reliant le quartier de Pointe-aux-Trembles. Le projet proposé incluait 8,5 km de voies souterraines, dans l’antenne nord entre la rue Sherbrooke Est et le cégep Marie-Victorin, ainsi que 24 km de voies aériennes. Coût total de la facture : 10 milliards de dollars.

À titre comparatif, en 1967, lorsque les 26 premières stations du métro de Montréal ont été inaugurées, la totalité des frais de construction et d’équipement s’élevait à 213,7 millions de dollars, soit 1,8 milliard en dollars de 2023 avec l’indexation à l’inflation. Un projet plus moderne, celui du prolongement de la ligne bleue du métro, est aujourd’hui estimé à 6,4 milliards de dollars pour cinq stations.

Lors de la conférence mardi, l’ARTM a avancé plusieurs raisons pour expliquer cette facture salée. Premièrement, prévoir un réseau entièrement souterrain implique un coût plus élevé de l’ordre de 300 millions de dollars par station construite sous terre en comparaison avec les stations aériennes. De plus, il faut prendre en compte une majoration de 95 % pour la gestion des risques, les frais de financement, l’inflation et autres frais afférents. Le comité de travail, composé d’organismes publics, doit se plier aux indications de la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique, qui inclut une méthodologie différente de celle que peut adopter un entrepreneur privé, d’où le dévoilement de coûts additionnels, a souligné M. Dionne.

Pourquoi 100 % en souterrain?

Selon le rapport, en prenant compte de l’implantation d’un mode de métro léger automatisé, deux types de voies pouvaient être envisagées, soit le format souterrain ou surélevé.

Le comité a constaté que « les tronçons en voie souterraine et le passage sous le lit de la rivière des Prairies ne posent pas de défis techniques compte tenu de la qualité du roc en sous-sol ».

Toutefois, les passages depuis la voie souterraine à une structure aérienne « nécessitent la construction de trémies de quelque 400 mètres de longueur » et certaines des stations aériennes envisagées « atteindraient conséquemment une hauteur de 20 mètres ».

L’implantation d’une telle infrastructure soulève plusieurs défis techniques, surtout dans les secteurs de Mercier, de Montréal-Est et de Pointe-aux-Trembles. « Considérant qu’il fallait examiner la meilleure intégration possible dans le milieu, on a voulu éviter de faire des montagnes russes », a affirmé Dionne.

C’est pourquoi c’est l’option souterraine sur l’ensemble du tracé qui a été retenue.

L’est réagit aux recommandations

Daniel Chartier, vice-président du Collectif en environnement Mercier-Est. (Photo: Archives EMM).

Pour le Collectif en environnement Mercier-Est (CEM-E), la recommandation du tracé 100 % en souterrain est sans contredit une victoire. En effet, le regroupement a dès les débuts du projet en 2020 été en opposition aux structures aériennes. « On a toujours su que ça ne tenait pas la route de construire ça. On parle de structures qui atteignaient parfois 20 mètres, tandis que les édifices dans les secteurs visés sont au maximum à la moitié de cette hauteur. C’était complètement démentiel et nous sommes heureux que le groupe de travail ait évacué cette aberration », a souligné Daniel Chartier, vice-président du CEM-E et responsable du dossier transport collectif à la suite de la publication du rapport.

Ce dernier ajoute qu’il n’est pas surpris du mandat limité qui avait été imposé au comité, un héritage clair du projet de CDPQ Infra. « L’ancien REM de l’est était vicié par la conception de CDPQ. Le concept original visait à prendre la clientèle de la STM pour faire le plus de profits possible. Pourquoi faire un tracé qui longe la ligne verte, c’est insensé!  Le groupe de travail a été forcé de garder les prémices de CDPQ », maintient-il. Le vice-président demande au gouvernement du Québec de publier toutes les études de mobilité effectuées dans le cadre de l’analyse de projets de transports dans l’est, incluant celles du tramway proposé par la CAQ lors des élections de 2018. « Sortez toutes les études pour qu’on puisse enfin comparer les différents modes de transports possibles. Il faut qu’on en ait le cœur net. Avec 36 milliards. On peut en faire du tramway et du métro », martèle-t-il.

Caroline Bourgeois, mairesse de RDP-PAT. (Photo: Emmanuel Delacour/EMM).

De son côté, la mairesse de l’Arrondissement de Rivière-des-Prairies – Pointe-aux-Trembles et responsable du dossier de l’est au comité exécutif de la Ville de Montréal, Caroline Bourgeois, ne se dit pas rebutée par l’évaluation des coûts d’un projet structurant dans l’est de Montréal. « Il faut qu’on puisse se dire : ce dont on a besoin c’est un mode de transport efficace dans l’est et c’est sûr que ça va prendre nécessairement des investissements importants. Je comprends que 36 milliards c’est un gros montant et on veut minimiser les coûts, parce qu’on veut que ça se réalise. On ne réussira jamais à faire débloquer les transports collectifs dans l’est de Montréal si on n’y fait pas des investissements importants et sérieux », a indiqué Mme Bourgeois. Celle-ci reste convaincue que la proposition d’un tracé allant jusque dans le quartier de Rivière-des-Prairies est plus que pertinente pour désenclaver une population qui a payé toute sa vie pour les transports en commun à Montréal sans pleinement en profiter.

D’autres se sont montrés un peu plus « circonspects » à la lecture des recommandations du rapport, incluant le Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE-Montréal). « Tout en se réjouissant de voir l’importance accordée à l’intégration urbaine avec la proposition de mode 100 % souterrain, le cadre imposé à l’ARTM concernant le choix du mode et du tracé conduit malheureusement à un rapport incomplet », a souligné l’organisme dans un communiqué.

« Pour l’un des projets de transport collectif les plus imposants depuis la construction du métro de Montréal, on constate à regret que la planification n’est pas lancée sur de bonnes bases. De nombreuses options ne sont pas étudiées comme le prolongement du métro, un tracé vers le centre-ville ou la complémentarité avec d’autres modes comme les services rapides par bus ou le tramway. À 36 milliards de dollars, peut-on continuer sans avoir l’assurance d’avoir le scénario optimal ? », a lancé Emmanuel Rondia, directeur général du CRE-Montréal.

De son côté, la Chambre de Commerce de l’Est de Montréal (CCEM) a rappelé l’importance de la création d’un réseau de transport structurant pour la revitalisation de l’est. On s’inquiète de la grande incertitude au sein de la communauté de l’est de Montréal provoquée par les recommandations, excluant un tracé vers le centre-ville et de la facture anticipée de 36 milliards de dollars. La Chambre demande qu’un travail soit effectué rapidement par la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec pour préciser le projet et assurer sa réalisation et son efficacité « tout en respectant une saine gestion des fonds publics ».