Les mises en chantier pour des unités résidentielles dans l’est de Montréal sont en importante diminution, alors que le territoire est en pleine crise du logement (photo Archives EMM)

RÉGLEMENT 20-20-20 : TROP OU PAS ASSEZ AMBITIEUX ?

Représentant l’un des éléments phares de l’équipe de Projet Montréal lors de sa dernière campagne électorale, le Règlement pour une métropole mixte, communément appelé le 20-20-20, entrera en vigueur le 1er avril prochain. Les réactions sont mitigées. Les promoteurs et entrepreneurs immobiliers ainsi que les groupes de défense des droits au logement, entre autres, s’y opposent en tout ou en partie, motivés par des raisons complètement divergentes. Quels sont donc les tenants et les aboutissants de ce règlement, trop ambitieux pour certains et trop modeste pour d’autres, semble t-il?

Pour les non-initiés, le 20-20-20 souhaite encadrer les futurs projets immobiliers en obligeant les promoteurs à participer de différentes façons au développement de logements sociaux, abordables et familiaux à Montréal. Par l’entremise d’une entente avec la Ville, ces derniers devront soit : céder « un terrain ou un bâtiment en échange d’une contrepartie financière », réaliser « des logements répondant à certains critères » ou encore « contribuer [financièrement] à l’offre de logements sociaux, abordables et familiaux ». La Ville souhaite ainsi augmenter l’offre de tels logements, de plus en plus rares sur son territoire. Par logement familial, elle fait référence à un logement comportant un minimum trois chambres; le logement social est assujetti à un programme municipal ou provincial qui en réduit le loyer; et le logement abordable comporte un crédit de 10 % sur sa valeur marchande offert par les constructeurs puis est assujetti à « un programme de subvention en habitation qui en maintient à long terme le caractère abordable », peut-on lire sur le site de la Ville de Montréal.

La Ville n’est pas assez ambitieuse

Il y a une véritable pénurie de logement locatif abordable à Montréal. Catherine Lussier, organisatrice communautaire responsable des dossiers montréalais au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), l’expose ainsi. « On est loin de répondre aux besoins des ménages locataires, on continue de voir les mêmes phénomènes, c’est-à-dire une augmentation de l’itinérance, des ménages qui n’ont pas le choix d’accepter des logements extrêmement trop chers pour leurs moyens, qui vont vivre à plusieurs ménages, qui auront des logements trop petits ou même insalubres. Ça va être finalement leur seule alternative pour se loger à Montréal. Ce qui est selon nous inacceptable. »

Selon Mme Lussier, les dernières données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) sont probantes : le nombre de ménages locataires qui paient plus de 50 % de leurs revenus pour se loger serait de 87 000. Et près de 23 000 ménages locataires patienteraient sur la liste d’attente de l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) pour obtenir une habitation à loyer modique (HLM). Pour le FRAPRU, il demeure évident que les 600 logements par année que promet le règlement en question sont insuffisants.

Catherine Lussier, organisatrice communautaire responsable des dossiers montréalais au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). Photo : courtoisie.

La Ville est trop ambitieuse

En contrepartie, promoteurs et entrepreneurs immobiliers se sont aussi prononcés, et à plus d’une reprise, sur ce sujet épineux. À travers une lettre ouverte parue le 25 janvier dernier dans La Presse, Jean-Marc Fournier, président-directeur général de l’Institut de développement urbain, a pris la parole au nom de Jean-François Arbour, ingénieur et président de l’Association de la construction du Québec; de Luc Bélanger, président-directeur général de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec; et d’Eric Côté, président-directeur général de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec. Ensemble, ils croient que l’objectif de la Ville est louable, mais que la manière de l’atteindre n’est pas la bonne. « Le règlement définit un logement abordable comme un logement vendu à 90 % de la valeur moyenne. Cependant, en imposant une charge supplémentaire, la valeur moyenne augmente et donc, le prix réel de l’abordable est lui-même poussé à la hausse. Pourquoi faire ce choix alors que les coûts de construction augmentent déjà et continueront d’augmenter dans la prochaine année? », peut-on lire dans la lettre.

Les quatre cosignataires souhaitent plutôt que tous les paliers de gouvernement se mettent de la partie afin de véritablement faire la différence. « Le conseil municipal (…) peut choisir de regrouper tous les acteurs des milieux économiques et sociaux et devenir le leader d’un mouvement pour revendiquer des investissements majeurs en matière de logements sociaux auprès des gouvernements. »

Et la Ville dans tout ça?

Rencontré afin de discuter du règlement et des réactions qu’il suscite, Robert Beaudry, conseiller municipal du district de Saint-Jacques, membre du comité exécutif et responsable de la stratégie immobilière, de l’habitation, des grands parcs et du parc Jean-Drapeau, est quant à lui confiant face à l’atteinte des objectifs fixés. D’abord, le contrôle du prix de vente pour les logements abordables passera par un nouveau programme municipal et reposera sur des mécanismes juridiques et réglementaires, dont les détails seront rendus publics sous peu. Et si les promoteurs choisissent de construire ce genre d’unités, de faire don d’une partie de terrain ou de contribuer financièrement, comment cela s’applique-t-il concrètement? « Le règlement prévoit des formules de calcul pour ces différentes options. Pour les volets social et abordable, l’engagement est calculé sur la base de la superficie de plancher du volet privé. Pour le logement social, le constructeur doit vendre un terrain dont le potentiel constructible doit correspondre à 20 % du volet privé de son projet. Pour l’abordable, une partie de la superficie de son projet, 10 % ou 20 % selon la zone, doit correspondre aux normes du volet abordable. Quant aux contributions financières, elles sont calculées à un taux marginal selon la superficie du projet et selon le secteur. » Une calculatrice en ligne permet d’ailleurs d’obtenir ces calculs en fonction des différentes caractéristiques des projets.

Robert Beaudry, conseiller municipal du district de Saint-Jacques, membre du comité exécutif et responsable de la stratégie immobilière, de l’habitation, des grands parcs et du parc Jean-Drapeau. Photo : Ville de Montréal.

L’année 2018 avait vu naître la Stratégie 12 000 logements, qui souhaitait développer « 6 000 logements sociaux et communautaires et 6 000 logements abordables » d’ici la fin de 2021. Qu’en est-il des impacts de cette stratégie à l’approche de son terme? « Les cibles n’ont pas encore été établies au-delà de la Stratégie 12 000 logements, qui se termine en 2021. À court terme, nous poursuivons donc activement les efforts entrepris dans le cadre de cette stratégie et nous restons en lien avec nos partenaires gouvernementaux afin qu’ils assurent le financement nécessaire dans les programmes de logements sociaux en 2021 et au-delà », explique M. Beaudry.

Alors, l’ambition : frein ou moteur?

En réponse au secteur des affaires, le conseiller municipal déconstruit son argumentaire. Il y dénote d’ailleurs une véritable campagne de dénigrement, et ce, sans préalablement en avoir connu tout le contenu. « Une étude d’Altus disait que le règlement allait avoir un impact sur les crédits immobiliers de 16 %. Chose qui a été démentie très rapidement par nos études économiques. » L’organisme CIRANO démontrait plutôt que l’impact sur les prix allait se situer entre 0,8 % à 1,9 %, et ce, sur 50 % des chantiers et seulement la première année. « Donc, c’est vraiment un impact négligeable », croit M. Beaudry. « Ce qu’il faut voir, ce sont les retombées sociales. Il peut y avoir des retombées sociales au développement immobilier, chose qu’il faut réglementer pour faire en sorte qu’elles voient le jour. »

Et que dire aux groupes sociaux, aussi échaudés? M. Beaudry soutient que le règlement a été soumis à l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) et que professionnels et économistes ont été consultés. « Notre objectif, c’était vraiment d’avoir quelque chose d’équilibré qui faisait en sorte que des retombées pour le logement social, abordable et familial allaient être générées. » Ne se targuant pas non plus de régler tous les problèmes de logement à travers ce seul règlement, la Ville le perçoit plutôt comme un outil dans un grand coffre à outils. « Notre administration a développé beaucoup d’autres outils qui nous permettent de réaliser des projets 100 % sociaux. » M. Beaudry cite en exemple le droit de préemption pour le logement social qui leur a permis d’acquérir des terrains ou encore les 10 millions de dollars mis en place pour développer des initiatives innovantes en logement abordable.

Mais du côté du FRAPRU, on demeure encore plus ambitieux. Catherine Lussier propose entre autres de réserver les terrains publics disponibles pour le développement de logement social. Elle souhaite aussi que de tels règlements apparaissent à travers le Québec, et pas seulement à Montréal. Et si les gens d’affaires pointent Montréal du doigt, disant qu’elle fait non seulement fausse route mais cavalier seul, ils seront peut-être surpris d’apprendre que d’autres municipalités se joignent tranquillement au mouvement, tel que Longueuil, Laval et Gatineau. Finalement, seul l’avenir pourra confirmer si le 20-20-20 était trop, ou pas assez ambitieux.