Crédit photo : Administration portuaire de Montréal.

PORT DE MONTRÉAL : COMPTE RENDU D’UNE VISITE… INUSITÉE

Est Média Montréal vous propose aujourd’hui le premier reportage d’une toute nouvelle série mensuelle intitulée « Découvertes » qui, comme son nom l’indique si bien, vous fera découvrir, nous l’espérons, des facettes inusitées et fascinantes de l’Est de Montréal. En guise d’introduction, nous vous partageons ici une visite privilégiée que nous a offerte récemment l’administration du Port de Montréal, au cœur de ses installations.

D’entrée de jeu, soulignons que notre intention de départ n’était que de traiter du volet « sécurité » du Port de Montréal, qui pourrait en soi faire l’objet d’une série documentaire, ou presque, tellement la question est aujourd’hui complexe pour un site portuaire d’envergure internationale. D’ailleurs, nous avons eu un petit aperçu que n’entre pas qui veut aux bureaux administratifs, puisque malgré un échange soutenu par intercom à l’arrière du bâtiment avec la sécurité, on ne nous a pas ouvert la porte même si nous avions un rendez-vous formel et que la direction nous attendait… Non, faites le tour et entrez par l’accueil des visiteurs. 1-0 sécurité Port de Montréal.

Et à cet accueil, désert à notre passage et quelque peu intimidant par sa minimaliste et moderne vastitude, une dame attend derrière un grand bureau, assez éloignée de la porte d’entrée pour vous voir venir tranquillement d’au moins une vingtaine de pas. Une atmosphère intrigante qui pourrait s’apparenter, pour une première visite, à un film de Kubrick. Après quelques minutes d’attente, toujours dans ce vaste espace où ne cohabitent que vous et la gentille dame, qui vous jette un œil de temps à autre, voilà que surgit d’une porte derrière vous le Vice-président Opérations du Port de Montréal, suivi de la chef des relations avec les communautés. Avec eux, nous aurons finalement un accès étonnant à un nombre infini de pieds carrés, avec une transparence beaucoup plus grande que nous l’avions présagée…

Voir le port sous un autre angle… grâce à une maquette

La première idée du VP Opérations, Daniel Dagenais, qui de son propre aveu a fait « tous les métiers possibles au Port de Montréal avant d’occuper ce poste », est de nous faire découvrir la majestueuse maquette qui trône dans la salle Dominic J. Taddeo située à la gauche du poste d’accueil, du nom de l’ancien pdg du Port. On se rend compte très rapidement que c’est en fait une introduction incontournable pour tout visiteur qui s’intéresse au site…

Cette immense et surtout impressionnante œuvre a été réalisée en totalité par un seul homme, soit Noël Laverdière, un ancien employé du Port (surintendant des bâtiments) et un maquettiste amateur passionné, aujourd’hui malheureusement décédé. De 1972 à 1981, M. Laverdière reproduira fidèlement l’ensemble du terrain et des installations appartenant au Port de Montréal, ainsi que l’environnement adjacent, dont une grande partie des quartiers habités longeant le fleuve, de même que le Vieux-Montréal. La maquette, dont la construction a nécessité 13 000 heures de travail, est composée de 70 éléments de cinq pieds carrés chacun, assemblés les uns aux autres, et de quelque 140 000 pièces (édifices, lampadaires, arbres, unités de chemin de fer, véhicules, navires, grues, conteneurs, pylônes électriques, ponts, etc.).

Partie de l’immense maquette, un travail artisanal exceptionnel réalisé par un ex-employé du Port de Montréal. (Photo : EMM).

C’est en observant l’œuvre que l’on peut vraiment comprendre à quel point le Port de Montréal occupe une place physique prédominante dans le paysage montréalais, particulièrement dans l’Est de la ville, et que son évolution dans le temps est aussi liée de près avec celle de la métropole. « C’est facile, avec cette maquette, de montrer aux gens à quel point les activités du port sont imbriquées intimement avec celles de l’ensemble de Montréal. D’un coup d’œil on peut voir les liens de contact avec les voies maritimes bien sûr, mais aussi ferroviaires et routières, et les nombreuses infrastructures industrielles et commerciales qui longent les installations portuaires. Aujourd’hui avec les Google Earth de ce monde et les outils technologiques à notre disposition, la maquette est moins essentielle qu’avant, mais à l’époque elle était extraordinairement utile à bien des égards », explique Daniel Dagenais.

Daniel Dagenais, Vice-président Opérations, Port de Montréal. (Photo : EMM).

De mon côté, j’avoue que je n’avais jamais imaginé l’immensité et la complexité du port à un tel niveau, même si j’ai habité plus de 20 ans à proximité et que j’y passais à l’occasion des heures à pêcher au quai de la « Vickers » au début de l’adolescence. Et aussi grandes que peuvent être les installations portuaires, la maquette démontre également à quel point le terrain est exploité et qu’il semble, en effet, y avoir peu d’opportunités de développement majeur du côté montréalais. On constate d’un simple coup d’œil pourquoi l’on s’apprête à construire un nouveau terminal à conteneurs sur la rive-sud, à Contrecoeur.

L’immense défi de la sécurité

« Les événements du 11 septembre 2001 ont complètement changé la donne en ce qui concerne les normes de sécurité pour les installations portuaires. À tous les niveaux il a fallu resserrer les contrôles de sécurité et les accès. Aujourd’hui, si vous entrez au Port de Montréal, c’est parce que vous avez une raison professionnelle, justifiée, validée pour y être et cela va être contrôlé », affirme M. Dagenais. Belle introduction de sa part alors que nous mettions justement les pieds au centre de contrôle du Port de Montréal, là où convergent plus de 500 caméras de sécurité réparties sur le site, tous les systèmes d’alarme et l’énorme quantité de données et de communications en lien avec le trafic maritime et terrestre sur le site.

Deux agents scrutaient avec attention les nombreux écrans, moniteurs et autres équipements de surveillance et de communication, tout en étant alertes à un certain brouhaha sonore dont la signification échappe au commun des mortels. « Des agents sont au centre de contrôle 24 heures sur 24, sept jours sur sept. C’est d’ici que sont gérées toutes les interventions en termes de sécurité et le contrôle du trafic sur l’ensemble du site, notamment. C’est le centre névralgique des opérations du Port de Montréal, là où nous surveillons par exemple tout le va et vient des navires, des trains, de même que leur contenu, en temps réel, et c’est aussi de cet endroit que nous pouvons communiquer directement avec eux sur différentes plateformes de communication », explique M. Dagenais. C’est aussi à cet endroit qu’aboutissent les appels de citoyens, et que les plaintes sont reçues le cas échéant. « S’il y a des suivis à faire auprès des résidents des alentours, question de bruits générés par les activités portuaires par exemple, le service des communications prendra le relais », affirme Christine Beaulieu, chef des relations avec les communautés.

Deux agents aux aguets au centre de contrôle du Port de Montréal. (Photo : EMM).

Les unités d’intervention, de même que la capitainerie, sont d’ailleurs situées à quelques enjambées du centre de contrôle. L’administration portuaire possède ses propres équipes de sécurité et de pompiers. Les premiers sont majoritairement des finissants en techniques policières, alors que les pompiers sont particulièrement formés pour intervenir rapidement en cas d’incidents de nature environnementale (déversement de produits chimiques, corrosifs, etc.) et dans une grande variété de sites tels que navires, silos, entrepôts, trains, équipements industriels, etc. « La diversité du site et des opérations portuaires génèrent des défis de sécurité et d’intervention hors du commun, que nos équipes doivent maîtriser le mieux possible. On doit donc spécialiser certains aspects de formation pour ces intervenants, qui s’entraînent d’ailleurs régulièrement pour faire face à des situations qui n’arriveraient probablement pas ailleurs à Montréal », soutient Daniel Dagenais.

Si les équipes d’intervention du Port de Montréal agissent en tout premier lieu lors d’incidents et respectent un protocole rigoureux en cas de situations d’urgence, elles ne travaillent toutefois pas en vase clos mais plutôt de concert avec les instances municipales et gouvernementales. Les arrestations, à titre d’exemple, doivent être effectuées par les forces policières montréalaises, les pompiers de la ville sont appelés lors d’incendies d’une certaine ampleur, et il y a bien sûr la présence régulière des inspecteurs de la douane. La sécurité du site est ainsi assurée par plusieurs partenaires, incluant des exploitants d’envergure comme ceux qui gèrent les immenses terminaux à conteneurs, qui doivent aussi avoir sur place leurs propres équipes de sécurité. Mais toujours selon le VP Opérations du Port de Montréal, « toute intervention en matière de sécurité sur le site sera prise en charge par notre centre de contrôle. »

Quant à la cybersécurité, le Port de Montréal n’a d’autre choix que d’y investir massivement depuis plusieurs années déjà, compte tenu de l’importance des systèmes de communication et des données sensibles que gèrent l’administration, parfois partagées avec d’autres instances internationales. « C’est un domaine et des systèmes qui évoluent à vitesse grand V. De ce côté nous devons investir en termes d’équipements et d’infrastructures technologiques de haut niveau – nous sommes d’ailleurs bien perçus dans ce domaine sur la scène mondiale – mais aussi en ressources humaines. Pour un port de calibre international comme Montréal, la cybersécurité est aujourd’hui une préoccupation majeure, incontournable et qui demande beaucoup de ressources », de dire M. Dagenais.

Inspection des marchandises : responsabilité de la douane

De l’avis même de l’administration portuaire, plusieurs personnes croient toujours aujourd’hui que le contrôle des marchandises (import-export) est une responsabilité interne au Port de Montréal. Évidemment non, il s’agit de la responsabilité de la douane canadienne, comme dans les aéroports.

Si les marchandises chargées, déchargées ou en transit au Port de Montréal doivent être déclarées bien avant qu’elles entrent sur le terrain appartenant au gouvernement fédéral, par train, par navire ou par camion, l’inspection et la conformité des matières sont sous la responsabilité exclusive de la douane canadienne. Seuls les douaniers peuvent, accompagnés de policiers, « briser un scellé » sur un conteneur, notamment.

« En ce qui nous concerne, nous devons savoir ce qui transite sur notre terrain, avec quoi et avec qui nous avons affaires, et nous avons des règles strictes à respecter à ce sujet, mais nous n’avons pas la responsabilité de contrôler la conformité de toute la marchandise. Nous avons par contre à collaborer de près avec la douane canadienne et leur fournir toutes les informations nécessaires à leur travail », explique M. Dagenais.

Des kilomètres de quais, d’entrepôts, de conteneurs… et d’infos inusitées

Du centre de contrôle, direction stationnement intérieur pour le départ d’une visite en quatre roues motrices du Port de Montréal, guidée et commentée par le VP Opérations, qui non seulement en connaît tous les recoins et les rouages comme le fond de sa poche, mais qui en est également un passionné assumé. Ça promet pour le journaliste en moi.

Étonnant, mais la première impression est que nous roulons après de brèves minutes sur de la Commune… à l’extérieur du Port de Montréal. En effet, les locaux administratifs du port, qui sont situés à proximité des studios MELS (avenue Pierre-Dupuy), sont donc à l’ouest du Vieux-Port de Montréal (site touristique qui n’est pas géré par l’administration portuaire), et il n’y a pas de route qui relie directement les installations portuaires à l’est du Vieux-Port au siège administratif. Ainsi, pour rejoindre les activités portuaires, il faut contourner le lieu de fondation même du Port de Montréal… ce qui est en soi quelque peu particulier.

Le Vieux-Port contourné, nous changeons d’atmosphère rapidement pour entrer dans le vif du sujet, en longeant d’abord l’ancien et immense entrepôt frigorifique qui abrite aujourd’hui un luxueux complexe de condos de 207 unités. Daniel Dagenais porte à mon attention quelques dizaines de mètres plus loin un convoi de wagons de train. « Ce convoi vient d’être assemblé, il quittera le port cet après-midi, on en assemble entre 60 et 80 par semaine de ces trains. Et nous en accueillons bien sûr tout autant chaque semaine », affirme-t-il.

Crédit photo : Administration portuaire de Montréal.

Un des grands avantages du Port de Montréal face à ses concurrents, c’est effectivement qu’il possède son propre réseau ferroviaire depuis 125 ans, plus de 100 km en fait, ce qui permet de charger et décharger « à quai » conteneurs et produits en vrac (solides et liquides), ce qui peut faire économiser beaucoup de sous en frais de transport et de manutention à certains grands importateurs/exportateurs. Ainsi les convois du CN et du CP sont laissés au bon soin des employés du Port de Montréal dès leur entrée sur le site. Ces derniers procéderont, à partir de la cour de triage en dessous du pont Jacques-Cartier, à la distribution des marchandises et des conteneurs fraîchement arrivés, et assembleront de nouveaux convois pour les départs de marchandises avant de les remettre toujours au CP et au CN. Une logistique effarante, un perpétuel mouvement de poids lourds sur rails.

Arrivé au premier terminal à conteneurs (Viau), on ne peut que rester saisi par l’amoncellement de ces gros blocs de chargement multicolores, aux couleurs corporatives de leurs propriétaires. D’une beauté à la fois brute, industrielle et quelque peu surréaliste, générant une inévitable et certaine curiosité quant à leur intérieur, ces conteneurs représentent en grande partie tout le côté exotique, pour ne pas dire mystique d’un port international. Nous en croiserons quatre de ces immenses infrastructures d’accueil et de chargements de conteneurs jusqu’à la fin de notre visite, à l’extrémité est du port. À noter que nous avons pu expérimenter le nouveau système de « bruits blancs » générés par les activités de certains terminaux situés près de zones habitées. Auparavant l’alerte pour le transbordement des conteneurs produisait un « biib biip » strident, tel un gros camion qui recule, mais aujourd’hui, le bruit s’apparente plutôt à un « pchiiiit », qui en plus d’avoir la grande qualité de tomber moins sur les nerfs, rayonne moins large nous dit-on. On vote pour.

Crédit photo : Administration portuaire de Montréal.

Évidemment, autour de chaque terminal à conteneurs gravite un incessant tourbillon de camions, quelque 2 500 par jour nous dit-on. Et en y regardant de plus près, je crois que j’ai été plus impressionné par la logistique hallucinante de ces grands routiers que par les gigantesques terminaux eux-mêmes. Explications. « En fait, tout le trafic et la fluidité sont aujourd’hui pratiquement informatisés. Avant que chaque camion entre au port, nous savons exactement ce qu’il doit livrer, quand et à qui, ou ce qu’il vient chercher », affirme M. Dagenais. Ainsi, le camion doit entrer dès son arrivée dans une aire d’accueil où sont installées des bornes technologiques, présenter des documents au scanner, également leur doigt (eh oui, le scan de doigt fait partie du processus), et échanger au besoin avec un opérateur à distance avant de confirmer leur accès au site. Difficile à expliquer ici, mais sur place, l’infrastructure est vraiment impressionnante. Difficile d’imaginer un camion circuler au port sans raison…

L’autre aspect qui m’a étonné, dans le cadre de cette visite, ce sont les infrastructures colossales de certaines entreprises qui ont un lien physique direct avec le port. En particulier Sucre Lantic et CGC (gypse), qui louent en fait des parcelles de terrain au port pour l’accueil et l’expédition de matériaux et de marchandises. Pour le sucre par exemple, un simple coup d’œil nous démontre que la production du géant de la rue Notre-Dame est ÉNORME, il y a carrément un pipeline de sucre qui relie ses activités de l’usine au site de transbordement. L’usine produirait pas moins de 1 200 tonnes de sucre par jour. Imaginez.

Finalement, une dernière petite impression que je vous partage : le Port de Montréal est d’une propreté qui se remarque. Industriel certes, mais propre. Et les lieux d’apparence malfamée, genre vieux port de Chicago ou New York, digne des scènes d’Omerta, pas vu rien de tel. « Ça, c’est du cinéma… si ça existe, ce n’est pas de notre côté de la clôture qui longe Notre-Dame, je peux vous l’assurer », conclut notre sympathique guide, qui a aussi la troublante particularité d’avoir la même voix que Messmer…

LE PORT DE MONTRÉAL C’EST AUSSI…

  • 38,9 millions de tonnes de marchandises en 2018;
  • Environ 2 500 emplois directs;
  • Plus de 2 500 navires par année;
  • 5 terminaux à conteneurs;
  • 5 terminaux de cargo général;
  • 6 terminaux de vrac liquide;
  • 3 terminaux de vrac solide;
  • 1 terminal céréalier;
  • 3 terminaux de croisières;
  • Environ 1.7 million de conteneurs transbordés par année.

Crédit photo : Administration portuaire de Montréal.