Photo courtoisie Théâtre Denise-Pelletier

LES PLOUFFE : UN CLASSIQUE QUÉBÉCOIS AU THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

Adapté avec succès au cinéma et à la télévision, le roman éponyme de Roger Lemelin paru en 1948 se retrouve cette fois-ci sur les planches pour la première fois. La dramaturge Isabelle Hubert (Le cas Joé Ferguson, La robe de Gulnara, Boîtes d’allumettes) s’est occupée de cette adaptation théâtrale qui sera jouée du 27 septembre au 21 octobre 2023 au Théâtre Denise-Pelletier situé dans l’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve.

Les Plouffe est une fresque populaire qui dépeint le quotidien d’une famille ouvrière de Québec, sans filtre, avec ses moments de drame mais aussi de joie au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le spectateur rigole avec les membres de cette famille autant qu’il pleure à leurs côtés. Si cette oeuvre semble si chère au peuple québécois, c’est notamment parce qu’elle est intemporelle et universelle, en plus de témoigner d’une plage importante de l’histoire du Québec.

L’un des axes principaux de cet ouvrage est la recherche constante du dépassement de soi. Isabelle Hubert explique : « Ce sont des personnages insatisfaits de leur temps. Ils cherchent à s’élever dans la hiérarchie, la culture, la ville… Par exemple, ils sont en Basse-Ville mais cherchent à se rendre en Haute-Ville, c’est une métaphore de leur propre parcours intérieur. » Malgré les multiples tragédies de la pièce, l’humour reste bien présent : « Ce mélange en fait une oeuvre savoureuse qui se mange sans faim. C’est la recette du succès » selon l’autrice et adaptatrice. 

L’idée d’adapter ce livre au théâtre émane d’Anne-Marie Olivier, directrice du Théâtre du Trident à l’époque, en 2019. La pièce était censée se jouer à l’automne 2020 à Montréal mais le projet est retardé de trois ans à cause de la Pandémie. Lorsque Mme Olivier propose le projet à Isabelle Hubert, la dramaturge saute de joie : « J’ai même pas pris le temps d’y penser, j’ai accepté tout de suite ! » Elle n’avait pas encore lu le livre mais elle connaissait très bien le film : « J’y vouais un espèce de culte. Je l’ai découvert à la télé lorsque j’étais adolescente. Dans mon inconscient à moi, fille originaire de Gaspésie qui s’ennuyait un peu, je reconnaissais l’inconscient collectif du Québec et donc, une partie d’où je venais. Ça m’a beaucoup touché. » 

Le film, réalisé par Gilles Carle en 1981, est doté d’un budget de 4,8 millions de dollars, un véritable record à l’époque. Le long-métrage rencontre un immense succès critique et commercial. Isabelle Hubert se souvient avec nostalgie : « À la vingtaine, j’ai rencontré mon chum qui adorait aussi ce film. On a mis en place naturellement une sorte de rituel. Chaque année, on regardait Les Plouffe avec notre petit verre de vin. » 

Isabelle Hubert, adaptatrice et autrice de théâtre. (Photo courtoisie Théâtre Denise-Pelletier).

De la page aux projecteurs

Isabelle Hubert a déjà adapté plusieurs oeuvres littéraires au théâtre : Moby Dick, Agaguk et La bête à sa mère. Selon elle, il existe des caractéristiques particulières dans le processus de transposer un livre au théâtre. Deux façons de procéder sont possibles : « On peut choisir de s’approprier l’oeuvre originale et d’en faire une nouvelle, totalement inédite. Ou alors, on peut choisir de respecter l’auteur en transposant les codes du média d’origine vers la scène, méthode que je préfère », confie-t-elle.

Dans le processus d’adaptation, les paroles du livre doivent devenir action dans la pièce. La dramaturge explique qu’elle commence d’abord par sélectionner les actions du roman et trouve ensuite des astuces pour injecter l’information qui manque : « Dans un roman, l’être humain est face à lui-même. Alors qu’au théâtre, il s’agit d’un moment éphémère où on est obligé de transposer les pensées et les explications des personnages dans l’action. » 

Le véritable défi pour Isabelle Hubert est de contenter les lecteurs du livre originel : « C’était un stress pour moi. Le travail est plus facile lorsqu’il s’agit d’adapter des romans inconnus ». Lors de sa lecture du roman, Isabelle se souvient avoir été étonnée de découvrir que le romancier avait seulement 28 ans lors de la rédaction de son livre : « C’est un jeune homme plein de fougue et de dérision. Il pose un regard de révolte sur le monde. C’est un livre plus caustique que je ne pensais. Il s’agit vraiment d’un livre de dénonciation, plein d’humour et de moqueries sur le Québec. » 

Les Plouffe possède une spécifité importante qui a compliqué le processus d’adaptation : « J’ai réalisé que les Québécois ont aujourd’hui une image très précise du film et moins pour le livre qui appartient à une époque plus ancienne. » La dramaturge confie qu’il fallait donc qu’elle réussisse à réunir les références du livre et du film comme la réplique mythique et chargée de sens de l’oeuvre cinématographique : « Y a pas de place nulle part pour les Ovide Plouffe du monde entier ! » Isabelle Hubert confie : « Même s’il était clair que nous faisions une adaptation du livre, on ne pouvait pas faire une pièce sans insérer cette réplique. Sauf que pour pouvoir la mettre, il fallait négocier des droits. » La production théâtrale a dû insister pour réussir à utiliser cette réplique, qui ne dure que quelques secondes mais qui fait partie des citations les plus connues du cinéma québécois aujourd’hui. 

L’adaptation permet également de rendre justice à certains personnages, jusqu’alors délaissés dans les précédentes œuvres : « Roger Lemelin, sûrement à cause de son époque et de son sexe, a donné plus de chair à ses personnages masculins. Ils sont complexes et fouillés. Tandis que les personnages féminins sont davantage unidimensionnels : une maman très envahissante, une vielle fille qui a du mal à trouver sa place ou encore une Rita Toulouse qui utilise sa séduction pour s’élever. » Dans ce contexte, Isabelle Hubert a décidé de donner plus d’affection à Cécile, l’aînée qui campe le personnage de vieille fille, afin qu’elle puisse exister de façon plus complexe en rapport aux garçons. 

Cécile, l’aînée, se meurt d’un amour impossible. (Photo courtoisie Théâtre Denise-Pelletier).

Un duo de choc 

Le travail d’adaptation est l’étape qui précède le travail de la mise en scène dont le défi est ici relevé avec brio par Maryse Lapierre qui a remporté le Prix de la meilleure mise en scène décerné par l’Association québécoise des critiques de théâtre (AQCT) pour la saison 2019-2020. Les deux femmes se connaissent depuis longtemps nous dit Isabelle Hubert : « Je l’ai eu en tant qu’étudiante dans mon cours d’écriture dramatique à l’université. Lorsque l’on a commencé à travailler sur Les Plouffe, je me suis immédiatement sentie en confiance avec elle. C’est une metteure en scène extrêmement rigoureuse et efficace. »

Ces qualités sont nécessaires sur un projet d’une telle envergure qui comprend quatorze comédiens ainsi que de multiples décors. Isabelle ne tarit pas d’éloges sur sa consoeur : « Elle est arrivée avec une sorte de naïveté sur l’oeuvre, ce qui nous a permis d’avoir plus de liberté. Elle a seulement une douzaine d’années de moins que moi et n’avait pas le même attachement que moi pour Les Plouffe. Elle représentait toute la liberté de création et moi, une gardienne des racines de l’oeuvre originelle. C’était le duo parfait. » 

L’amour est au rendez-vous chez Les Plouffe. (Photo courtoisie Théâtre Denise-Pelletier).

Isabelle Hubert sera présente à la rencontre des artistes le samedi 7 octobre au Théâtre Denise-Pelletier. Pour réserver votre place, cliquez ICI.