LA PIÈCE L’ÉVEIL DU PRINTEMPS : L’EFFERVESCENCE DE L’ADOLESCENCE
Du 23 janvier au 17 février 2024, le Théâtre Denise-Pelletier présente L’éveil du printemps. Entre sexualité et interdit, domestication et liberté, cette pièce de théâtre explore différents thèmes qui parfois s’opposent.
D’une durée d’1 h 50 min, L’éveil du printemps met en scène cinq adolescents qui tentent de décoder leurs pulsions naissantes. Tiraillés entre la découverte et l’inconnu, l’autorité et l’apprentissage, le plaisir et la culpabilité, les personnages se confrontent à des murs invisibles qui ne font qu’intensifier leurs questionnements.
Il s’agit d’une libre adaptation de l’œuvre éponyme de Frank Wedekind, publiée en 1891 en Allemagne. À l’époque, son texte est rapidement censuré à cause de certains de ses thèmes, tels que la sexualité, le viol, l’homosexualité et le suicide.
Deux siècles plus tard, le dramaturge David Paquet (auteur entre autres de Porc-épic, 2 h 14, Le brasier) s’est vu confier la mission d’adapter le texte de Frank Wedekind. Le dramaturge ne s’était encore jamais essayé à l’exercice de l’adaptation. Pour lui, le défi a donc été « de signer une oeuvre qui est à la fois fidèle à l’œuvre d’origine et à mes propres pulsions d’écriture. J’ai choisi d’utiliser l’œuvre de Wedekind comme un tremplin et non comme une prison. »
Jouée une première fois au Théâtre du Trident, à Québec, l’an passé, la pièce a rencontré un grand succès et a reçu plusieurs récompenses prestigieuses telles que le prix Louise-Lahaye 2023, décerné à David Paquet pour son texte jeune public porté sur scène; le prix Robert Lepage 2022-2023, décerné à Olivier Arteau, accompagné de Fabien Piché aux chorégraphies, pour la meilleure mise en scène; le Prix de la danse 2023 dans la catégorie Fait à Québec, décerné à Fabien Piché; et le prix Paul-Bussières 2022-2023, décerné à Amélie Trépanier pour le meilleur décor.
De l’Allemagne du 19e au Québec du 21e
Rendre contemporaine la pièce d’origine a constitué un second enjeu dans le travail du dramaturge. Le rapport de la société actuelle à la sexualité a complètement changé depuis le 19e siècle : « La pièce d’origine parle de l’hypocrisie bourgeoise à laquelle l’éveil sexuel des adolescents est confronté. Aucune information ne leur est donnée. Ils sont donc face à un mutisme qui les désoriente et qui leur nuit. Or, aujourd’hui, ce mutisme a été remplacé par une surenchère du discours sexuel, et c’est presque tout aussi désorientant », explique-t-il.
La pièce traite ainsi de thèmes actuels, comme la pornographie. Dans l’oeuvre d’origine, une fille de 14 ans qui se nomme Wendla ignore comment les adultes font des enfants. Lorsqu’elle demande à sa mère, cette dernière évite de lui répondre. Dans la version contemporaine de David Paquet, « ce personnage sait non seulement comment on fait des bébés, mais a également accès à toute la pornographie du monde sur Internet », dévoile l’artiste.
Un autre axe d’adaptation sur lequel s’est concentré David Paquet concerne la notion de réussite. Dans la pièce de Wedekind, les adultes imposent des injonctions de réussite aux adolescents : « Il faut avoir de bonnes notes à l’école et réussir ses examens. Cette tyrannie de la performance existait en 1891, mais elle existe encore davantage aujourd’hui, notamment à travers les réseaux sociaux, qui illusoirement reflètent le succès des autres », note l’auteur. Devant cette surabondance de succès, l’internaute moderne se sent obligé d’égaler ces idéaux pour se sentir à la hauteur.
Dans la continuité du texte de Wedekind, David Paquet choisit de parler de cette pression : « L’une des questions centrales de la pièce est le pôle entre ressentir et réussir. Est-ce que la sexualité d’aujourd’hui est devenue quelque chose qu’il faut d’abord réussir? En réussissant à séduire, à avoir un beau corps, à atteindre absolument l’orgasme lors de l’acte… Toutes ces injonctions font désormais partie de la sexualité qui, à la base, est un territoire du sensible et du plaisir », développe l’homme de théâtre.
L’adolescence
En traitant de l’adolescence, L’éveil du printemps met en scène un corps qui se métamorphose et un éveil du désir, parfois difficiles à identifier ou encore à nommer pour les jeunes. David Paquet souhaite donc que les spectateurs ressentent sa pièce « comme un condensé d’hormones et d’impressions non domestiquées », confie-t-il. Pour lui, l’une des façons les plus éloquentes de parler d’éveil sexuel et d’adolescence est de mettre les spectateurs dans « un état de presque trop plein sensoriel, émotif, esthétique et intellectuel qui rappellerait ainsi l’adolescence. Au niveau de la conception des personnages, des costumes, des chorégraphies et de la mise en scène, on est allés non pas dans le minimalisme mais le maximalisme », explique le dramaturge.
Si David Paquet s’est occupé des mots, la mise en scène a été confié à Olivier Arteau, qui se cache derrière Made in Beautiful, Pisser debout sans lever sa jupe ou encore Maurice. Dans L’éveil du printemps, il s’est assuré de mettre en scène des corps performatifs qui puissent témoigner de la difficulté d’assumer certains désirs à l’adolescence : « La première idée a été de travailler sur une pente qui permet une forme de déséquilibre et des jeux de glissement, dans le but d’atteindre autant l’orgasme qu’un idéal. Les comédiens se laissent glisser tout en essayant de remonter cette pente continuellement », décrit le metteur en scène.
L’artiste a collaboré avec le chorégraphe Fabien Piché. Si ce dernier s’occupait de la notion de geste, Olivier Arteau ajoutait des intuitions qui appartiennent à chaque personnage. Les deux collaborateurs ont cherché à chorégraphier des éléments que la pièce ne pouvait pas retranscrire par les mots : « Le désir est trop abstrait pour y accoler une définition claire pour chacun des personnages. La chorégraphie pouvait justement répondre à cet enjeu », raconte Olivier Arteau.
Par exemple, les deux premières chorégraphies traduisent l’enfermement et les cases dans lesquelles sont coincés les personnages. Pour en témoigner, « on leur a donné l’injonction de faire une chorégraphie dans une corde à danser et les rythmes sont extrêmement clairs », souligne le metteur en scène; alors que la troisième chorégraphie, qui intervient au milieu de la pièce, est plus « instinctive, organique et liée davantage à l’intention », dévoile-t-il.
Concernant le casting, Olivier Arteau et Fabien Piché ont choisi des comédiens qui savent danser : « On a travaillé avec une physiothérapeute qui leur a préparé un plan d’entraînement en amont des répétitions afin qu’ils aient des aptitudes musculaires déjà développées. »
Perruques colorées, tenues fluorescentes, maquillage expressif… le choix des costumes reflète la manière dont les adolescents perçoivent le monde qui les entoure : « J’avais envie d’avoir une viscéralité proche du regard de la jeunesse, à l’encontre du regard plus pragmatique et terne des adultes », confie Oliver Arteau.
Une diversité révélatrice
Si l’oeuvre expose les diversités sexuelles et de genres et met en avant des problématiques qui touchent les adolescents en priorité, L’éveil de la sexualité n’en reste pas moins une pièce intergénérationnelle et n’oublie pas les adultes. Cette réécriture donne vie au personnage d’une mère en ménopause ou encore d’un père qui recommence les rencontres amoureuses à plus de 50 ans et qui doit se familiariser avec les codes des applications de rencontres.
Olivier Artaud espère que ses propos dépassent les murs du théâtre : « Les possibilités sont infinies à cet âge-là (NDLR : l’adolescence), autant concernant la sexualité que le devenir. Même si on vit dans un monde avec une forme de finitude, j’ai envie de faire jaillir l’utopie sur scène. » À la suite des représentations de l’an passé, à Québec, la pièce aurait permis à plusieurs spectateurs de s’assumer pleinement : « Le neveu d’une personne de la production a fait son coming-out après avoir vu la pièce. Il y a également une fille de 14 ans qui a demandé à sa mère, après la pièce, comment elle vivait sa ménopause, ce qu’elle ressent et ce que ça lui fait de vieillir », conclut David Paquet.
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Cette pièce aborde des sujets sensibles tels que le suicide. Elle est recommandée à un public de 14 ans et plus.