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LE PETIT MAGHREB : UN QUARTIER EN ÉVOLUTION

Depuis près de 30 ans, le Petit Maghreb s’épanouit dans le quartier Saint-Michel. L’immigration du nord de l’Afrique y a laissé une trace indélébile, mais a tardé à aller au-delà d’un lieu de rencontre réservé aux membres de ces communautés. Si aujourd’hui Algériens, Marocains, Tunisiens et autres expatriés fournissent des efforts pour attirer l’ensemble des Montréalais sur la rue Jean-Talon Est et ainsi changer l’image du coin, il s’agit-là de l’aboutissement d’une longue et difficile évolution dont l’histoire est peu connue.

Les populations maghrébines ont choisi depuis les années 1970 le quartier Saint-Michel comme lieu de prédilection pour s’installer, succédant ainsi aux communautés italiennes, grecques et portugaises qui y avaient déployé leurs pénates depuis belle lurette. C’est toutefois à la fin des années 1990 que l’on connaît un véritable mouvement d’immigration de l’Afrique du Nord vers ce petit coin de Montréal. Cette vague est entre autres expliquée par la guerre civile algérienne (1991-2001) durant laquelle des dizaines de milliers d’Algériens deviennent réfugiés partout dans le monde, notamment au Canada.

« Saint-Michel, avec ses loyers abordables et son histoire, était un quartier phare de l’immigration. Le rassemblement de la communauté algérienne dans ce secteur s’est fait naturellement », constate Mehdi Houhou, directeur général de la Société de développement commercial du Petit Maghreb.

Il est vrai que l’est de la rue Jean-Talon a désormais adopté les couleurs des pays du Maghreb, mais il faut cependant savoir que sa population immigrante est très diversifiée. « C’est à peu près 65 % de nos commerçants qui sont d’origine maghrébine. Les autres proviennent d’un peu partout; de la Libye, de la Turquie, mais aussi de pays de l’Asie orientale et d’Haïti », souligne M. Houhou.

D’ailleurs, malgré la grande concentration de commerces tenus par des Maghrébins, seulement 11,1 % de la population montréalaise d’origine maghrébine résidait dans l’ensemble de l’arrondissement Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension en 2011, selon un article de la page Mémoires de Montréalais, une initiative de la Ville de Montréal.

À titre d’exemple, M. Toufik Lallouche, président de la SDC du Petit Maghreb, ne s’est pas établi en tant que commerçant sur la rue Jean-Talon dès son arrivée au Québec à la fin des années 1990. « C’est un quartier que je voyais de loin au début. De 1998 à 2007, je demeurais à Laval, et je me rendais dans le Petit Maghreb en tant que client pour m’y faire coiffer », raconte-t-il.

Ce n’est que plus tard, en 2015, que celui-ci décide d’ouvrir sur la rue Jean-Talon Recycfone, un atelier de réparation d’appareils cellulaires. Il suit alors une vague d’investisseurs, qui au courant de la dernière décennie, ont solidifié le développement du quartier et sa présence sur le territoire montréalais.

Une histoire à retracer

Il existe peu de sources qui relatent l’histoire du Petit Maghreb aussi bien que « La « mise en scène » de l’ethnicité maghrébine à Montréal », une thèse de doctorat rédigée en 2015 par Bochra Manaï, aujourd’hui commissaire à la lutte contre le racisme à Montréal. Dans ce document de recherche en études urbaines, celle-ci brosse un portrait sociohistorique du quartier multiethnique.

On y apprend que jusqu’au début des années 1990, Saint-Michel était une extension de la Petite-Italie, de nombreux commerçants y étant établis étant Italiens ou Portugais. Ceux-ci quittèrent peu à peu le quartier, étant progressivement remplacés par une population maghrébine. Le premier café tunisien, Cocktail Arabes, s’y installe en 1997, puis à la fin de la décennie, c’est le « boum » maghrébin commercial. L’offre en produits de consommation de base (boucheries Halal, pâtisseries, boulangeries) se consolide, et à celle-ci s’ajoute de nouveaux commerces, incluant plusieurs salons de coiffure.

Puis, durant la première décennie des années 2000, le secteur se développe. C’est durant cette période que voient le jour des commerces phares du Petit Maghreb : la pâtisserie la Table fleurie, ainsi que le Chic Oriental, « un des premiers éléments qui impulse une réelle diversification de l’offre, notamment en la destinant aux femmes », souligne Mme Manaï dans sa thèse.

Les premiers germes de la création d’une association commerçante sont alors plantés, « c’est ainsi que le développement de l’artère devient une idée collective, touristique et de développement local », note Mme Manaï.

En effet, dans les années 2010 jusqu’à aujourd’hui, les propriétaires de commerces discutent de la possible création d’une Société de développement commercial (SDC). En 2008, l’association du Petit Maghreb est fondée, mais cette première expérience est dissoute trois ans plus tard, en 2011. Il faudra attendre dix ans pour que l’idée soit relancée en juin 2021, moment où l’on demande la constitution de la SDC devant le Conseil d’arrondissement de VSP. Peu de voix se lèvent pour contester la demande et la création de la nouvelle association peut aller de l’avant.

Un regard vers l’avenir

Aujourd’hui, le directeur général de la SDC Petit Maghreb envisage une panoplie de mesures pour égayer la promenade marchande, incluant l’installation d’oriflammes au cours des prochains mois, ainsi que l’éventuelle construction d’arches aux entrées de la rue Jean-Talon, un peu à l’instar de ce qui a été fait dans la Petite-Italie et le Quartier chinois. En « créant un sentiment d’appartenance » dans le quartier, M. Houhou espère revitaliser le Petit Maghreb.

L’artère commerciale, qui à ce jour est composée de 118 membres de la SDC, connaît un taux d’inoccupation de 10 % de ses locaux. D’ici 2024, le directeur vise l’abaissement de cette statistique à 7 %. « On vit encore beaucoup de rotation dans les propriétaires de commerces. Près de 70 % d’entre eux louent leur local et, n’étant pas propriétaires de l’édifice, ne souhaitent pas ou ne peuvent pas investir dans l’embellissement de leur façade. On encourage nos membres à essayer d’acheter leurs immeubles, quitte à se regrouper en coopératives », indique M. Lallouche.

De plus, l’association veut changer le visage du Petit Maghreb, longtemps une chasse gardée de la gent masculine. « On souhaite aussi encourager l’entrepreneuriat féminin et on espère recruter cinq commerçantes pour s’installer sur Jean-Talon d’ici 2023 », affirme-t-il. Ce dernier rappelle que dans leur ensemble, les membres de la SDC génèrent près de 500 emplois, dont la majorité est détenue par des femmes.

Tout semble s’aligner pour que les projets de la SDC se réalisent. En effet, la prolongation de la ligne bleue du Métro de Montréal apportera la création d’une nouvelle station au coin de la rue Jean-Talon Est et du boulevard Pie-IX, à l’entrée est de l’artère commerciale. Les dirigeants de la SDC se croisent donc les doigts pour que cette nouvelle accessibilité encourage les Montréalais et les touristes à se rendre vers ce que l’on espère une  « véritable destination » dans la métropole.