(Courtoisie Fonds AHMHM)

LE PARC DE LA PROMENADE BELLERIVE : UN SIÈCLE DE MOBILISATIONS CITOYENNES

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Quoi de mieux que de profiter du fleuve et de ses belles vues au Parc de la Promenade Bellerive? Ce joyau de l’est est un des rares points d’accès au Saint-Laurent pour les Montréalais. À chaque jour, les 2,2 kilomètres de berges accueillent plaisanciers et sportifs, résidents du quartier et d’ailleurs. Il peut sembler étonnant, à la lumière du présent, de penser que ce parc a bien failli ne jamais être. Voici l’histoire fascinante de la Promenade Bellerive qui a été pensé et créé par et pour les citoyens, à coups de mobilisations soutenues au fil des décennies.

À l’aube des années 1960, le conseiller municipal dans Mercier, Paul-Émile Sauvageau, lance l’idée de créer un grand parc dans l’est. Son projet est ambitieux. Par une promenade qui longe le fleuve, entre les rues Lepailleur et George V, il souhaite relier les parcs déjà existants Clément-Jetté et Taillon. Il prévoit également la création de nouveaux parcs sur des espaces verts vacants, dont l’un deviendra le Parc Pierre-Tétreault. Cet archipel de parcs doit également être doté d’infrastructures de loisirs modernes : piscine, bibliothèque, espaces de jeux, etc. Paul-Émile Sauvageau insiste sur le fait de garder cet espace libre de bâtiments, afin de ne pas obstruer la vue sur le fleuve et de conserver l’esthétique naturelle et verdoyante. Visionnaire, il insiste aussi sur l’acquisition de ces terrains auprès du Port, qui en possède une grande partie et qui a déjà aménagé un chemin de fer sur le littoral.

Paul-Émile Sauvageau, conseiller municipal dans Mercier et « père » du parc de la Promenade Bellerive (photo fournie par l’AHMHM / référence : BANQ 1957)

Paul-Émile Sauvageau est un membre du Parti civique de Jean Drapeau, et ses objectifs sont en pleine cohérence avec l’ère du temps. Lors des années 1950 et 1960, l’administration de la Ville de Montréal se centralise; la vision de la Cité est celle d’une métropole, moderne et en plein développement. Le service des parcs, né en 1953, est au cœur des préoccupations de la mairie. Les projets de grandeur se succèdent, et c’est alors l’âge d’or de la création de parcs et du développement d’infrastructures de loisirs. C’est dans la foulée que le parc de la Promenade Bellerive est créé, officiellement, en 1964.

Il convient toutefois de mentionner qu’avant cette inauguration, l’espace était déjà utilisé à des fins sportives et ludiques. La création du parc en 1964 ne sert qu’à confirmer et consolider la vocation de cet espace. Dès la fondation de Tétreaultville par Pierre Tétreault, au début des années 1900, la présence du fleuve est mise de l’avant comme un des attraits de son projet domiciliaire. L’accès à l’eau pour les résidents est un des facteurs qui rehausse la valeur de cette nouvelle ville, qui attire les Montréalais désenchantés par la vie urbaine et le développement industriel de la ville.

L’accès au fleuve est surtout un élément crucial de l’économie du district, encore agricole au début du siècle. La lutte de Charles Meese contre le Port de Montréal, dans les années 1930, en témoigne. Le Port de Montréal, qui possède les terres sur le littoral, y installe un chemin de fer afin de relier ses installations entre Longue-Pointe et le terminal de Montréal-Est, alors en plein développement. Pour Meese, fermier et laitier des environs, l’accès au fleuve est essentiel : il doit pouvoir s’y rendre afin d’abreuver son bétail. Il fait appel à la justice, invoquant, selon l’histoire orale du quartier, le projet domiciliaire de Pierre Tétreault comme garantie d’accès à l’eau. Se rendant à la Cour Privée de Londres, il obtient gain de cause. Le Port aménage pour lui un tunnel sous le chemin de fer, tunnel dont les traces sont encore visibles aujourd’hui. Il s’agit de la première occurrence de lutte citoyenne que l’on peut associer à l’espace du parc de la Promenade Bellerive. Ce n’est toutefois pas la dernière.

Photo datant des années 1930. On voit très bien le tunnel de M. Charles Meese, passant sous le chemin de fer portuaire et garantissant l’accès à l’eau (Courtoisie Fonds AHMHM)

En effet, si le projet de Paul-Émile Sauvageau ne rencontre pas d’opposition lors de sa formulation, il en sera très différent lorsque vient le moment de créer le parc. À l’époque, une dizaine de mètres séparent la berge de la rue Bellerive. Cet espace est destiné à s’agrandir. La Ville de Montréal obtient un permis temporaire afin d’y déverser des débris et des déchets de construction en provenance de plusieurs sites de travaux publics dans l’est de la ville. Ces opérations, qui ont lieux lors des années 1960, donnent au parc la dimension qu’on lui connait aujourd’hui. On promet aux citoyens qu’à l’issue de ces travaux, l’espace agrandi sera aménagé et qu’un parc en bonne et due forme verra le jour.

Photo aérienne du parc de la Promenade Bellerive avant son aménagement. On y voit très bien les dépôts à sel de l’extrémité est, recouverts par de grandes bâches noires (Courtoisie Fonds AHMHM)

Si le remblayage se fait avec efficacité, l’aménagement se fait attendre. Au début des années 1970, la Promenade Bellerive est un terrain vague, en terre et en débris de construction, et toujours une propriété du Port. Il faut dire qu’à la mairie, toute l’énergie qui était déployée pour la création de parcs s’estompe au profit du projet olympique montréalais. Qui plus est, le chemin de fer portuaire, toujours en place, devient un enjeu. En 1971, pour des raisons dites de sécurité, une clôture est érigée. Au même moment, le Port sous-loue à une compagnie privée l’espace à l’extrémité est du parc, entre les rues Meese et George V. Cette dernière y installe un dépôt à sel. À cette époque, le Port de Montréal planifie son expansion, et cet espace, bien que dédié à être un parc, présente un potentiel alléchant. La perspective d’un grand parc linéaire sur le bord du fleuve, évoquée quelques années plus tôt par Paul-Émile Sauvageau et chérie par les citoyens de Mercier, ressemble à un rêve d’une époque révolue.

C’est à ce moment que la mobilisation citoyenne s’organise. Les résidents de Mercier forment des comités citoyens, militant contre la clôture et pour la poursuite du projet de parc. Les pétitions se multiplient et comptent des centaines, voire des milliers de noms. On manifeste, notamment par l’organisation de fêtes champêtres, moments festifs aux abords de la clôture et dans les parcs adjacents qui visent à montrer que la population du quartier souhaite un parc. Les citoyens font du lobbyisme, cherchant des appuis à tous les niveaux du gouvernement. De plus en plus, leur action porte fruit et ils captent l’attention de personnalités politiques d’envergure.

En 1977, la clôture est enlevée à la suite des pressions exercées par les citoyens. Il n’est toutefois pas encore temps de crier victoire. Les actions se poursuivent avec la même vigueur : un mois après que la clôture soit enlevée, on annonce une nouvelle fête champêtre dans le parc. Le dépôt à sel est encore en place, et l’espace n’est toujours pas aménagé.

Les journaux locaux évoquent les dangers qui guettent la Promenade Bellerive (Courtoisie AHMHM)

Heureusement pour les citoyens, le contexte de la fin des années 1970 leur fournit des nouveaux outils de contestation. Le mouvement écologiste et la préservation de l’environnement sont des nouveaux impératifs politiques, fondés sur des valeurs qui gagnent en importance dans la société québécoise. Québec crée en 1979 le ministère de l’Environnement et promulgue la Loi sur un environnement de qualité, qui stipule que « tous les Québécois pourront bénéficier d’eau, d’air et d’espaces salubres en quantité suffisante, tant sur le plan de la santé, de l’esthétique que du bien-être en général ». Cette loi devient le fer de lance des luttes pour la Promenade Bellerive. Les citoyens l’invoquent comme argument principal afin de développer un espace vert. Se servant aussi du nouveau Bureau d’audience publique en environnement (BAPE), ils parviennent à faire retirer le dépôt à sel, à repousser les projets de quai de déversement à neige et à résister aux tentatives d’expansion du Port de Montréal. En 1988, au gré de mobilisations continues et d’ententes politiques, l’Autorité portuaire promet de ne pas utiliser l’espace, dont il cède une partie à la Ville de Montréal. Le Port de Montréal l’officialise par une publicité pleine page parue dans le Devoir, le 15 juin 1988, dans laquelle il vante son caractère de bon citoyen corporatif : « En 1988, alors que ses études montraient qu’il serait possible d’aménager un nouveau terminal à conteneurs dans la partie ouest de la Promenade Bellerive, le Port a renoncé à ce projet et cédé 5,5 hectares pour le prolongement d’un parc dans l’est de Montréal ».

Le Parc de la Promenade Bellerive peut alors véritablement prendre forme. Encore une fois, les citoyens de Mercier sont aux premières loges. Les années de résistance et de mobilisation font place à un nouveau type d’implication. En 1993, la fondation de la Société d’animation de la Promenade Bellerive, qui encadre autant l’aménagement du parc que les activités qui s’y produisent, officialise ce changement. Désormais, on ne lutte plus pour l’existence du parc, on lutte pour le rendre de jour en jour plus beau et plus adapté aux besoins toujours changeants de la population.

Pour que le Parc de la Promenade Bellerive brille autant, il aura fallu beaucoup de détermination. L’implication citoyenne demeure centrale à l’existence de ce parc, et bien que les années de résistance appartiennent au passé, il ne faudrait pas oublier cette histoire. Une grande partie des terrains du parc appartiennent toujours au Port de Montréal, bien qu’il ait promis de ne jamais s’y installer. L’implication citoyenne et la réputation du parc demeurent aujourd’hui essentielles à sa pérennité.

Cyclistes au parc de la Promenade Bellerive (Courtoisie AHMHM)


Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse Desjardins du Centre-est de MontréalRecherche et rédaction : Charles Dorval, historien, Atelier d’histoire Mercier−Hochelaga-Maisonneuve.