Claude Shaedleuar a été le chauffeur privé de l’ancien maire de Montréal-Nord Yves Ryan pendant plus de 30 ans (EMM/Sophie Gauthier)

TROIS VOIX RACONTENT LEUR MONTRÉAL-NORD D’ANTAN

EST MÉDIA Montréal est allé à la rencontre de plusieurs aîné.es dans différents quartiers sur le territoire, dans des résidences de retraité.es surtout, afin de discuter avec elles et avec eux en toute convivialité. Nous avons demandé aux personnes qui ont habité dans l’est de Montréal pendant longtemps de nous parler de leurs souvenirs de la vie quotidienne et de leur quartier d’enfance. Cela a donné lieu à des rencontres extraordinaires, touchantes, parfois cocasses, parfois moins, mais toujours chaleureuses et enrichissantes. Une série signée Sophie Gauthier.

Dans l’entrée de l’élégante résidence pour ainés Au fil de l’eau, trois résidents se succèdent pour partager leur histoire de vie à propos d’un arrondissement qu’ils ont vu évoluer au fil des années : découvrez Claude, Jeanine et Roger à travers leurs souvenirs de Montréal-Nord.

Lorsque Claude Shaedleuar arrive à Montréal-Nord en 1958, les citoyens de l’époque formaient « une grande famille dans cette ville tranquille. Il y avait des festivals, des parades, des bingos, des soupers… », se rappelle-t-il. L’homme de 86 ans était très proche d’Yves Ryan, maire de Montréal-Nord de 1963 à 2001, puisqu’il a été son chauffeur privé : « C’était un homme chaleureux, gentil, poli et qui aidait les gens les plus démunis de notre communauté. » La longévité du mandat du politicien, qui s’étalera sur 38 ans, témoigne de sa grande popularité auprès des citoyens affirme son ancien chauffeur, qui le décrit comme un maire généreux qui « voulait faire plaisir aux gens », notamment à la période des Fêtes. M. Shaedleuar l’aidait alors à offrir des paniers de Noël : « Ils contenaient de quoi manger un bon repas et des cadeaux pour les enfants. Le maire se mettait d’accord avec des conducteurs de camions de Montréal-Nord et on les livrait la veille de Noël », se souvient-il. 

Claude Shaedleuar se remémore aussi les danses du vendredi soir qui avaient lieu de 18 h à 22 h, à l’arrière de l’hôtel de ville : « Le maire payait pour la musique! » Cet événement hebdomadaire, qui rencontrait un grand succès, offrait un temps de convivialité et d’échange aux citoyens de l’arrondissement. 

Jeanine Bergeron, résidente de l’arrondissement depuis ses 23 ans, partage l’avis de son voisin de résidence : « À l’époque, ça faisait moins « ville », il y avait une vie de quartier très active », souligne-t-elle. À l’occasion de Noël, elle se souvient que la paroisse Saint-Vincent-Marie organisait « un dépouillement sous l’arbre de Noël. On distribuait des cadeaux à tous les enfants de la paroisse et notre président s’habillait en père Noël. » 

Jeanine Bergeron est résidente de Montréal-Nord depuis ses 23 ans (EMM/Sophie Gauthier)

Outre les rassemblements citoyens, Roger Lagacé, ancien journaliste de l’arrondissement, se souvient, quant à lui, d’un événement en particulier qui a bouleversé la population en 1970. Il fait référence à l’enlèvement du diplomate britannique James Richard Cross dans le cadre de la crise d’octobre de 1970 : « Il a été détenu pendant 60 jours au 10 945, avenue des Récollets, à Montréal-Nord justement. »

Un changement de la dynamique communautaire 

Au cours des dernières décennies, Montréal-Nord a connu une transformation au niveau de sa population, désormais reconnue pour sa diversité ethnoculturelle. L’arrondissement a ainsi accueilli de nombreux immigrants (30 500), qui proviennent principalement d’Haïti, d’Italie, des pays du Maghreb et du Liban. Cette réalité démographique est d’ailleurs en croissance : une personne sur trois était immigrante en 2006, alors que ce sont près de 2 personnes sur 5 (38 %) en 2011, d’après la plus récente analyse territoriale de 2018 de Centraide du Grand Montréal. Pour Roger Lagacé, l’immigration fait partie des plus grands changements de l’arrondissement : « Montréal-Nord est désormais un arrondissement d’immigration. »

Présents depuis longtemps dans ce territoire, les aînés interviewés ont tous été témoins de bouleversements, notamment de la suppression d’églises : « La paroisse Saint-Vincent-Marie à laquelle j’appartenais n’existe plus », explique Jeanine Bergeron. Les activités de cette paroisse ont diminué pour s’arrêter définitivement en 2016, résultat du départ progressif des fidèles de la paroisse. La vie pastorale à Montréal-Nord a en effet connu une diminution assez importante : « Les églises sont pratiquement vides aujourd’hui. L’église de Saint-Camille est un bâtiment qui avait pour habitude d’accueillir des spectacles en plus d’être un lieu de culte », se souvient Roger Lagacé.

Une autre évolution de l’arrondissement, selon les 3 résidents, concerne la diminution progressive des organismes communautaires : « Dans le temps, il y avait le club de l’âge d’or de Sainte-Colette. Et pour celles qui continuent d’exister, elles n’ont plus le dynamisme d’avant », confie Roger Lagacé. En contrepartie, des regroupements d’associations sont apparus, tels que la Société d’histoire et de généalogie de Montréal-Nord (SHGMN) dont Roger Lagacé est le président fondateur : « Les gens viennent de partout pour faire des recherches généalogiques par le biais de la Bibliothèque Charlevoix en particulier. » (NDLR : Il s’agit d’une perception, car il existe aujourd’hui plus d’OBNL qu’avant sur le territoire de Montréal-Nord).

Arrivé à Montréal-Nord en 1980, Roger Lagacé est passionné par son arrondissement. Il a écrit pendant 20 ans dans le journal local hebdomadaire Le guide de Montréal-Nord, dont le premier numéro est paru en 1957. Il a également rédigé Montréal-Nord raconte 100 ans, 1915-2015. L’ouvrage de 297 pages était une façon de rendre hommage à l’arrondissement, qui fêtait son centenaire l’année de sa parution, en 2015. 

Roger Lagacé tenant son livre (EMM/Sophie Gauthier)

L’Aréna de Montréal-Nord

Avec les années, l’arrondissement a perdu l’un de ses lieux emblématiques, l’Aréna de Montréal-Nord, devenue depuis l’Aréna Garon (11 212, avenue Garon), qui héberge temporairement le club Gymkhana pour des cours de gymnastique artistique. Dans le temps, cet endroit était un lieu sportif très important pour les résidents. Claude Shaedleuar s’y rendait toutes les semaines : « J’y ai fait 26 ans de bénévolat! » Il a occupé les postes d’instructeur et de directeur du hockey et aussi de baseball, des sports qu’il a pratiqués dès son plus jeune âge. 

L’équipe de baseball pee-wee qu’a entraîné Claude Shaedleuar (EMM/Sophie Gauthier)

L’Aréna de Montréal-Nord hébergeait le « Tournoi Yves Ryan – Atome Junior », fondé en 1965. Aujourd’hui, cette compétition de hockey mineur se joue aux arénas Rolland et Fleury. À l’époque, l’Aréna de Montréal-Nord était reconnu pour recevoir des clubs d’autres provinces et même des États-Unis parfois. Le centre sportif avait une capacité d’accueil de 1 500 places : « Les gens se ruaient dans les marches car il n’y avait plus de place! », se souvient Claude Shaedleuar. Jeanine Bergeron et ses trois garçons étaient également des habitués du lieu : « J’y accompagnais mes enfants qui faisaient du hockey. L’ambiance était très familiale », se remémore-t-elle. Côté baseball, Jeanine Bergeron se souvient du tournoi Yves Ryan : « Chaque année, en février, il y avait des invités et plein de matchs. J’ai tellement de bons souvenirs là-bas… », conclut-elle.