MÉDIAS LOCAUX : LA « JUSTE PART » DE LA VILLE EST ESSENTIELLE

Rien de nouveau sous le soleil diront certains, les médias écrits ont la vie dure depuis l’invasion (c’est le bon terme) des géants du web, les fameux membres de l’appellation GAFAM. Pour les journaux locaux, la presse de quartier, on peut parler d’une lente agonie depuis maintenant quoi, une quinzaine d’années déjà? Fini les annonces du nettoyeur du coin, de l’atelier de mécanique, du salon de coiffure, qui se fient tous aujourd’hui à Google et Facebook pour dire qu’ils existent, sans mettre, ou à peine, un sous en publicité, même plus dans les Pages Jaunes. Mais qui peut les blâmer?

Bye bye aussi les importants revenus publicitaires des appels d’offres et des avis légaux des municipalités, qui ont été longtemps, avec les annonces classées, la vache à lait des journaux locaux. Un changement à la réglementation des avis de publication des municipalités, effectué à Québec il y a plusieurs années, est venu annoncer la fin des belles années pour plusieurs publications. C’est dans cette mouvance par ailleurs que les deux groupes de presse régionale Transcontinental et Québecor, rappelons-le, se sont départis de leurs journaux locaux, alors qu’ils contrôlaient pratiquement l’ensemble du marché, du moins dans le Grand Montréal.

Tous les médias de la presse écrite, du moins ceux qui restent, ont depuis réinventé leur modèle d’affaires, sans exception. Tous les médias de la presse écrite ont depuis longtemps pris le virage numérique, des plateformes qui ne cessent et ne cesseront d’évoluer au rythme rapide du développement du web. On ne peut plus parler aujourd’hui de « transition numérique » pour les médias de la presse écrite, c’est la réalité de l’information d’aujourd’hui, la porte d’entrée principale des lecteurs et de loin, même pour ceux qui ont encore aujourd’hui des éditions papier. Je le répète, la transition numérique des médias, c’est déjà d’une autre époque.

Aujourd’hui, les plateformes numériques font partie des opérations quotidiennes des médias. Quand les gouvernements financent « la transition numérique des médias », comme le fait encore aujourd’hui le ministère de la Culture et des Communications à coup de millions de dollars chaque année, dans les faits il subventionne directement les opérations des médias de la presse écrite. Tous les groupes de médias ont profité ces dernières années et profitent encore de ce programme, y compris plusieurs quotidiens, le groupe Métro Média, et même nous, EST MÉDIA Montréal. Pour certains groupes, on parle de plusieurs centaines de milliers de dollars reçus via ce programme depuis à peine cinq ans, pour couvrir 65 % des dépenses de développement de projets de transition numérique. Donc, grosso modo, pour 350 000 $ de subvention, on doit déclarer des projets de transition numérique d’environ… un demi-million. Chez EST MÉDIA Montréal, qui est 100 % numérique depuis son lancement en juillet 2018, je peux vous dire qu’avec une telle somme, on arriverait probablement à produire un site web en 3D…! Blague à part, il y a toujours des limites à subventionner les médias sous le couvert de la transition numérique.

Oui à une juste part de la Ville

Plusieurs seront étonnés d’apprendre que depuis environ deux ans, 60 % des salaires des journalistes de la presse écrite sont subventionnés par le provincial et le fédéral. Du côté de Québec, on accorde 35 % de crédit d’impôt jusqu’à concurrence d’un salaire annuel de 70 000 $, alors qu’à Ottawa c’est 25 % jusqu’à concurrence d’un salaire de 55 000 $. Tous les groupes de presse écrite ont droit à ces crédits d’impôt, comme Métro Média, ainsi que les plus petits joueurs comme EST MÉDIA Montréal ou le Journal des Voisins dans Ahuntsic-Cartierville, un OBNL. Je ne connais pas d’autres secteurs d’activité en ce moment qui reçoit une aide d’une telle ampleur sur sa principale masse salariale. Ceci étant dit, cette aide est certainement la pierre d’assise des salles de presse écrite en ce moment partout au Québec. Pas certain que la moitié des médias écrits survivrait à un retrait de ces crédits d’impôt.

Par ailleurs, le troisième palier de gouvernement, dans le cas de la presse écrite, doit selon moi faire aussi sa part pour assurer la pérennité d’un minimum de médias locaux dans toutes les villes et régions du Québec. La presse locale et régionale, si essentielle à une saine démocratie, mais tellement fragile financièrement, doit pouvoir compter sur les administrations municipales, comme cela a toujours été le cas pendant des décennies. Les budgets associés aux nombreux appels d’offres, avis légaux et autres publicités autrefois placés dans les journaux locaux, doivent revenir aux médias locaux sous forme publicitaire et/ou de services. Ces revenus sont essentiels à la presse locale, comme la presse locale est essentielle aux administrations municipales, aux citoyens, aux organismes communautaires, aux gens d’affaires, bref, à tout le monde et dans tous les territoires. À Montréal, la ville, la situation est encore pire, puisque déjà de nombreux quartiers, voire même des arrondissements, n’ont pratiquement plus de médias locaux. C’est extrêmement inquiétant comme constat, certainement dommageable pour la démocratie municipale, et tellement malheureux pour ces communautés qui n’ont plus d’organe d’information locale.

Actuellement, les placements publicitaires de la Ville centre ou des arrondissements sont donc nettement insuffisants pour soutenir adéquatement les médias locaux. Toutefois, chez EST MÉDIA Montréal, nous croyons qu’il n’appartient pas uniquement à la Ville de supporter le fardeau financier des salles de rédaction locales ou la production de journaux. La contribution de la Ville devrait être répartie avec celles des autres paliers de gouvernement, mais aussi avec d’autres acteurs du milieu comme les grandes institutions, la communauté d’affaires locale, les élus locaux, les principaux organismes, etc. Ces derniers vont certainement continuer à annoncer dans un média local qui livre une information de qualité, comme c’est le cas actuellement dans quelques secteurs montréalais. Soulignons ici que la qualité de l’information n’est pas nécessairement proportionnelle au nombre de journalistes d’une salle de rédaction, mais surtout au professionnalisme des journalistes d’un média…

À Montréal, l’aide de l’administration doit se concrétiser, selon moi, dans une politique claire, transparente et non-partisane de placement publicitaire dans des médias locaux professionnels (privés ou d’économie sociale), et numériques. En 2023, la Ville de Montréal doit privilégier les médias numériques en concordance avec l’ensemble de son Plan de développement durable, c’est une évidence. Revenir en arrière en maintenant sur le respirateur artificiel les journaux locaux en achetant des espaces publicitaires pour publier des appels d’offres et des avis légaux, par exemple, serait une grave erreur. Les médias locaux n’en sont plus là et d’autres modèles doivent être pris en considération par la Ville de Montréal, comme EST MÉDIA Montréal, le Journal des Voisins ou encore le site Nouvelles d’ici, dans le sud-ouest de l’île.

En espérant que l’administration Plante ait, cette fois, une oreille attentive aux discours d’autres éditeurs de médias locaux sur son territoire que celui du groupe Métro Média.