(Photo: Dio Hasbi Saniskoro/Pexels).

LES DÉFIS DU COMMUNAUTAIRE À RDP

Isolement des personnes vulnérables, locaux inabordables et crise des réfugiés : les prochaines années risquent d’être difficiles pour les organismes communautaires de Rivière-des-Prairies (RDP) et leurs bénéficiaires, alors que ceux-ci peinent à se sortir des contrecoups de la pandémie.

L’heure était au bilan à la Table de développement social de Rivière-des-Prairies, il y a quelques jours de cela. La concertation intersectorielle qui rassemble organismes communautaires et acteurs sociaux du quartier a pour mission de combattre la pauvreté sur son territoire.

Ce retour en arrière à propos des actions menées sur le terrain s’effectue cycliquement tous les cinq ans. Dans un local du sous-sol du centre communautaire de RDP étaient réunis une douzaine d’organismes, des attachés politiques, des représentants du milieu de la santé et des citoyens pour revisiter les activités de la Table depuis 2018. Toutefois, la COVID en 2020 est venue brouiller les cartes et c’est un bilan atypique auquel ont eu droit les membres présents.

En effet, la création et le maintien des opérations de cellules de crise pour répondre aux besoins urgents dans la foulée de la pandémie auront accaparé une part importante des efforts fournis depuis les trois dernières années. L’accès à l’alimentation et aux soins de santé, ainsi que l’isolement des personnes vulnérables alors que les confinements étaient mis en place : des défis pressants ont dû être adressés immédiatement. « On a travaillé dans le contexte des cellules de crise pendant 17 mois, avant de revenir à notre mandat de lutte à la pauvreté. Considérant qu’on a aussi été 11 mois sans agent de développement, on estime que seulement 33 % des cinq années ont vraiment été dédiées à porter des actions dans le sens de notre mission », explique Katy Lessard, agente de développement pour la Table.

Le quinquennat a donc été rude pour la cohésion de la concertation. Lors de discussions entre ses membres, plusieurs ont soulevé des problèmes de manque de communication entre les organismes, et d’un flou quant à la vision de la Table au sujet de sa mission. On a entre autres cerné le roulement de personnel de liaison comme source d’effritement des relations interorganismes. Il s’agit d’un enjeu récurrent pour les groupes naviguant dans le milieu communautaire, car ceux-ci survivent fréquemment d’enveloppes décernées par projet et non d’un financement continuel. Ainsi, l’effectif doit souvent être embauché à forfait et le taux de remplacement est élevé au sein des organismes, surtout dans le contexte actuel de la pénurie de la main-d’œuvre. Cela donne lieu à une « instabilité des ressources » pour nombreux d’entre eux, admet Mme Lessard. « La Table de développement social et la Corporation de développement communautaire de RDP, qui en est mandataire, bénéficient d’un financement récurrent, mais ce n’est pas le cas de plusieurs de nos membres », affirme-t-elle.

Les enjeux du quartier

La poussière de la pandémie retombant graduellement, plusieurs organismes font le même constat : les citoyens les plus vulnérables de RDP sont sortis amochés des cinq dernières années. « La COVID a tout exacerbé, mais même si l’on peut penser que la crise sanitaire est terminée, les besoins ne se sont pas amoindris depuis », insiste Isabelle Rivard, directrice du Centre des femmes Rivière-des-Prairies. Celle-ci constate que les membres de son organisme sont soit plus isolés et sans ressource que jamais ou font appel de façon décuplée à leurs services. Le Centre rejoint plus de 120 membres, dont 70 % sont des femmes de plus de 65 ans. Cette tranche d’âge est plus à risque de connaître de l’isolement et de la solitude, précise la directrice.

De manière générale, plusieurs défis concernent les groupes communautaires de RDP. Le manque d’espaces abordables est sans doute l’enjeu qui ressort le plus souvent des discussions avec les gens du milieu. « On a des problèmes d’espace. Il y a des organismes qui sont obligés de louer des locaux sur le marché privé qui ne sont pas adaptés à leurs besoins. Ils doivent payer des frais importants et plus de taxes. Ce n’est pas normal. On a vraiment une forte demande pour des locaux communautaires à Rivière-des-Prairies », soutient Mme Lessard.

Le nouveau complexe Espace Rivière, prévu en 2027 sur le site de la bibliothèque de RDP, ne pourra répondre qu’à une « minime partie » du besoin pour des locaux abordables, croient Mme Lessard et Mme Rivard. En effet, les locaux projetés sont déjà réservés par des organismes établis au centre communautaire actuel, tandis que d’autres espaces seront partagés, ce qui n’est pas idéal pour les organismes où la confidentialité des membres est primordiale, note Mme Rivard.

La maquette 3D du futur Espace Rivière à RDP. (Photo: courtoisie Arrondissement RDP).

Sur l’île de Montréal, plusieurs groupes communautaires profitent d’espaces disponibles à faibles coûts ou encore offerts gracieusement par les administrations locales, tandis que la plupart des chapitres de RDP doivent se tourner vers le marché privé pour se loger. Ces coûts sont souvent refilés à la communauté qui doit débourser des frais pour obtenir des services qui sont gratuits ailleurs, une situation qui est insensée selon Mme Lessard. « Nous devons payer des milliers de dollars par année en loyer et taxes, alors qu’à Pointe-aux-Trembles, dans le même arrondissement, des organismes sont logés gratuitement dans des locaux de l’arrondissement », se désole Mme Rivard.

Outre cela, les communautés ethniques, surtout issues de la diaspora haïtienne, connaissent une hausse des enjeux liés aux personnes réfugiées. « Les organismes qui font affaire avec la communauté haïtienne nous indiquent qu’ils ont beaucoup de demandeurs d’asile qui frappent à leur porte », affirme Mme Lessard. La crise humanitaire actuelle en Haïti créerait une situation sans précédent à RDP, qui ne connaissait pas des cas de précarité importants liés aux réfugiés jusqu’à ce jour. « On est un quartier excentré. On n’était pas, jusqu’à tout récemment, la destination pour les demandeurs d’asile », insiste l’agente de développement.

Enfin, les problèmes liés à la sécurité alimentaire, à l’accès aux transports collectifs, à la sécurité urbaine et au coût de la vie ont tous été cités à maintes reprises par les organismes lors des discussions. Pour lutter contre la pauvreté durant les cinq prochaines années, la Table de développement social devra confronter un éventail de défis dans un contexte plus difficile que jamais.