DU (BON VIEUX) TEMPS DES NOUVELLES DE L’EST

À l’ère de la nouvelle instantanée et de la dominance des GAFA, de l’incertitude que vivent plusieurs médias écrits, dont certains sont même actuellement sous respirateur artificiel; le dossier spécial Mercier-Hochelaga-Maisonneuve s’avère, pourquoi pas, une belle occasion de rappeler l’importance et l’impact qu’avait, il n’y a pas si longtemps, le journal local d’Hochelaga-Maisonneuve. Retour bien entendu sur Les Nouvelles de l’Est, le média qui a joué un rôle très important dans l’évolution d’Hochelaga-Maisonneuve pendant près de trois quarts de siècle. Entrevue coup sur coup avec trois de ses anciens artisans : Laurent Blanchard, propriétaire-éditeur, Carole Poirier, éditrice et André Bérubé, journaliste.

ENTREVUE AVEC LAURENT BLANCHARD
Propriétaire et éditeur des Nouvelles de l’Est (1976-1986)
Gestionnaire d’organismes et membre de nombreux C.A.
Conseiller municipal (2005-2013), membre du Comité exécutif de la Ville de Montréal et maire de Montréal (2013)

EST MÉDIA Montréal : Quand est né le journal Les Nouvelles de l’Est?

Laurent Blanchard : La plupart des journaux de quartier à Montréal ont été fondés à la fin de la deuxième guerre mondiale, et le journal Les Nouvelles de l’Est n’y fait pas exception. Il me semble que le plus vieux est le Guide Mont-Royal qui a vu le jour en 1938, mais sous toutes réserves. Pour les secteurs en périphérie du centre, comme Anjou, Rivière-des-Prairies, etc., les journaux locaux sont arrivés un peu plus tard en fonction de leur développement. (NDLR : Selon BAnQ, le journal aurait été fondé en 1939, mais les archives, numérisées, seraient disponibles qu’à partir de 1948. Aussi, sur certaines éditions, on peut lire «depuis 1938»).

EMM : Pouvez-vous nous expliquer comment votre père est devenu propriétaire du journal?

LB : D’après ce que j’ai compris de l’histoire, il y a eu une certaine concentration de presse qui s’est effectuée au début des années 1960 au niveau des journaux locaux montréalais. Il y avait, surtout dans l’ouest de l’Île, Henri Duhamel père qui possédait plusieurs journaux, dont les «Messager» de LaSalle, Verdun, Lachine, etc., et Jacques Francoeur, fondateur d’Unimédia, qui avait mis la main sur les hebdos de l’Est de Montréal. Les Nouvelles de l’Est était toutefois, avant sa vente à M. Francoeur, dans le portefeuille de M. Duhamel et mon père avait des parts du journal. Il faisait à l’époque ce que l’on appelait de l’advertising, c’est-à-dire qu’il vendait des espaces publicitaires, écrivait des communiqués, des bas de vignette, parfois des articles, mais il n’y avait pas encore de journaliste professionnel dans ces journaux, ils étaient carrément des véhicules promotionnels. Et mon père n’était pas le patron, le boss, c’était Henri Duhamel. Par la suite il a donc travaillé pour Jacques Francoeur. Intéressant à savoir : le journal à ses débuts était en partie bilingue, car si le lectorat était majoritairement francophone, c’était l’inverse quant aux propriétaires de commerces dans Hochelaga-Maisonneuve. Le journal s’appelait «Les Nouvelles de l’Est, The East End News».

EMM : Jacques Francoeur en menait donc large dans l’Est de Montréal?

LB :  Définitivement. Il était le propriétaire du Dimanche Matin, un hebdomadaire vendu très important dans ces années-là dans le Grand Montréal et propriétaire d’une imprimerie à Granby. C’était une intégration verticale qui a contribué, entre autres possessions, à en faire un acteur média très influent au Québec.

EMM : Mais vous n’avez pas été propriétaires à 100 %, vous et votre père, des Nouvelles de l’Est?

LB : Oui, mais plus tard. M. Francoeur a décidé de vendre ses hebdos dans les quartiers centraux de Montréal au milieu des années 1970, et mon père a alors acheté Les Nouvelles de l’Est de même que le Guide du Nord qui couvrait le secteur de La Petite-Patrie. Un an après l’achat, mon père m’a offert 49 % des parts des Nouvelles de l’Est en me disant que lui jouerait au golf pendant que je travaillerais (rires). C’était pas mal cela finalement!

Laurent Blanchard aura laissé sa marque de plusieurs façons dans Hochelaga-Maisonneuve, notamment en étant éditeur et propriétaire des Nouvelles de l’Est dans les années 1970 et 1980.

EMM : Donc vous avez contrôlé la destinée du journal une bonne décennie avant que Télémédia en prenne possession?

LB : Oui. En fait, ce qui s’est passé, c’est que Jacques Francoeur voulait consolider son actif de journaux locaux en 1987-1988 afin de les revendre en bloc au Groupe Télémédia (CKAC) qui voulait faire son entrée dans le média imprimé. Il ne s’en cachait pas. C’était dur à refuser, car on a alors vendu dix fois le prix qu’on lui avait acheté, et il a effectivement mis la main sur tous les hebdos du centre et de l’est de Montréal. Télémédia a alors pris le contrôle et la guerre des gros groupes de presse dans les hebdos locaux au Québec venait de naître.

EMM : Que voulez-vous dire?

LB : Télémédia s’est mis à acheter plusieurs hebdos au Québec et à créer des monopoles régionaux, alors que Québecor est aussi entré dans la danse en faisant la même chose. Pour vous donner une idée, quand j’étais sur le C.A. des Hebdos du Québec (organisme qui représentait l’industrie des journaux locaux) en 1977-1978, 80 % des journaux appartenaient à des indépendants. Dix ans plus tard, c’était le contraire. Au milieu des années 1990, Télémédia a vendu ses journaux à l’imprimeur et propriétaire du Publi-Sac, Transcontinental, et là la guerre a vraiment explosé avec Québecor. À Montréal, Québecor avait même essayé de contrer les hebdos de Transcontinental avec le Super Hebdo, un journal qui tirait à des centaines de milliers d’exemplaires, avec une certaine mouture locale notamment dans l’est, mais sans trop de succès. Selon moi, la concentration de presse des hebdos, qui a amené avec elle une gestion régionale et non locale des journaux, même dans le contenu, a accéléré le désintérêt des commerçants et des organismes locaux pour leur journal, surtout dans les quartiers de Montréal comme Hochelaga-Maisonneuve. C’était le début de la fin, qui se confirme aujourd’hui avec les difficultés des journaux que l’on connait tous.

NDLR : Le journal Les Nouvelles de L’Est a changé de nom dans les années 2010 pour devenir Nouvelles Hochelaga-Maisonneuve. Transcontinental, qui s’est départi de tous ses journaux régionaux aujourd’hui, l’a vendu au Groupe Métromédia en avril 2018. Ce dernier avait cessé sa publication quelques mois plus tard, mais est revenu avec un nouvel hebdomadaire distribué porte à porte sur le territoire depuis le début de la Covid-19 (Journal Métro, édition Hochelaga-Maisonneuve).

EMM : Quel impact avait Les Nouvelles de l’Est lorsque vous étiez éditeur, dans les années 1970 et 1980 ?

LB : Il faut revenir un peu avant cette période pour comprendre la portée des journaux locaux à Montréal. C’est dans les années 1960 en fait que les journaux se sont pour la plupart professionnalisés avec l’embauche de journalistes réguliers, à plein temps. Par exemple, Claude Masson, qui a été vice-président et éditeur adjoint de La Presse, a commencé sa carrière de journaliste au Flambeau de l’Est en 1965. Il y a eu alors toute une nouvelle génération de journalistes qui ont fait leurs premières armes dans les journaux de quartier à Montréal, qui sont devenus des vrais médias d’information et des acteurs importants dans leurs communautés. Pour ma part, je peux parler de Pierre Baraby, qui a marqué une époque dans Hochelaga-Maisonneuve dans Les Nouvelles de l’Est, André Lortie, Pierre Tousignant (Radio-Canada), Jeanne Corriveau (Le Devoir), Kathleen Lévesque (La Presse), notamment. C’étaient des journalistes qui faisaient de la vraie information, qui fouillaient les histoires, et je leur laissais l’espace pour le faire. Donc, incidemment, le journal, qui faisait souvent 32 pages à l’époque, avait beaucoup d’impact dans le quartier et auprès des décideurs.

EMM : Des exemples?

LB : Je me souviens entre autres du dossier de la résurrection du Marché Maisonneuve. On a décrié longtemps l’injustice d’avoir perdu le marché et le presqu’abandon du bâtiment par la Ville, pourtant joyaux du quartier. On avait même gagné un prix de journalisme pour une série de textes sur cet enjeu. Je me souviens que ça avait aidé à faire avancer les choses du côté politique, et quand on en parlait, on en entendait parler. À titre d’éditeur, je me payais aussi un éditorial par semaine et une caricature, et on disait ce qu’il y avait à dire, je ne mettais pas trop de filtre. Louise Harel trouvait d’ailleurs que Les Nouvelles de l’Est avait la critique facile à l’époque (rires).

EMM : Est-ce que vous viviez bien des recettes du journal?

LB : J’étais confortable, mais pas millionnaire. Disons que mon salaire était un peu plus haut que la moyenne, et que je pouvais aussi payer décemment les journalistes et autres employés. Mais c’était aussi beaucoup d’heures, six jours par semaine.

EMM : Vous qui demeurez encore aujourd’hui dans le quartier, comment voyez-vous son évolution au fil des dernières années?

LB : À mon point de vue, je dirais qu’Hochelaga-Maisonneuve a connu une transformation majeure de son tissu social dans la période de désindustrialisation qui a connu son apogée dans les années 1980. Beaucoup de travailleurs, de familles ont quitté le quartier pour se rapprocher d’un nouveau lieu de travail, souvent en banlieue. C’est à cette époque aussi je crois que le sentiment d’appartenance au quartier a décliné. À la fin de la décennie le quartier était plongé dans un profond marasme. Souvenons-nous de la guerre entre les Hells et les Rock Machine qui s’entredéchiraient sur le territoire, ce qui a culminé avec le décès du petit Daniel Desrochers en 1995. Le sentiment de fierté et de communauté tissée serrée avait pris un sérieux coup et Hochelaga-Maisonneuve s’est par la suite, petit à petit, redéfini. Aujourd’hui il y a «Oshlag» pour les uns, «HOMA» pour les autres, Mercier-Est et Mercier-Ouest un peu plus à l’Est, quatre réalités bien différentes dans l’arrondissement. Mais je crois que c’est en même temps une réalité dans la plupart des quartiers de Montréal aujourd’hui, il y a moins de «sentiments collectifs», sauf peut-être quand il y a un problème majeur.


ENTREVUE AVEC CAROLE POIRIER
Éditrice – District Centre des Hebdos Télémédia (1993-1994)
Attachée politique de Louise Harel
Députée d’Hochelaga-Maisonneuve (2008-2018)
Directrice générale – Parti Québécois (actuellement)

EST MÉDIA Montréal : Quelles sont les circonstances de votre arrivée à la tête des journaux du District Centre des Hebdos Télémédia, qui incluait à l’époque Les Nouvelles de l’Est, le Progrès de Villeray, le Journal de Rosemont-La Petite-Patrie et le Reflet Centre-Sud?

Carole Poirier : La direction des Hebdos Télémédia m’a tout simplement offert le poste, probablement parce que j’étais déjà très impliquée depuis plusieurs années dans ces quartiers de Montréal et dans l’est en particulier. On sortait du référendum de Charlottetown, le PQ était dans l’opposition, et j’avoue que ce n’était pas une super belle période en politique, alors j’ai décidé de quitter mon poste d’attachée politique de Louise Harel pour tenter l’aventure de l’édition et du média. C’était complètement nouveau pour moi, et je savais que ce serait un gros défi, mais il y avait quelque chose à la fois tripant et intriguant dans cette opportunité, et j’ai dit oui. Et ce qui a également motivé ma décision, c’est que je voulais m’assurer que Les Nouvelles de l’Est, mon journal local que je lisais religieusement depuis toujours, reste en vie, car on voyait que le média déclinait déjà dangereusement et que le nombre de pages baissait de plus en plus.

EMM : Et comment s’est déroulée votre initiation dans le milieu de la presse locale?

CP : J’ai tout appris sur le tas! (rires) C’était un monde complètement différent de mes expériences professionnelles, l’industrie des journaux c’est vraiment unique et particulier, et fascinant à plusieurs égards. J’ai appris comment ça se montait physiquement un journal. Dans ces années-là on en était encore à la maquette et au papier vélox, on commençait à peine à intégrer les Macintosh… J’ai appris comment on gérait les couleurs dans un journal, comment on déterminait le pourcentage de publicités versus l’espace rédactionnel, comment ça se rentabilisait tout cela, et comment on gère une salle de rédaction. Un plongeon intense dans un monde intense.

Carole Poirier a bifurqué vers l’édition d’hebdos de quartier avant de revenir en politique et devenir députée d’Hochelaga-Maisonneuve pendant une dizaine d’années.

EMM : Quel était l’impact des Nouvelles de l’Est dans la communauté à l’ère Carole Poirier?

CP : Je pense que l’on faisait du bon travail, honnêtement. Pour moi, l’important, c’était que le journal retrouve sa vigueur journalistique qu’il avait auparavant, avant Télémédia, alors qu’il était plus près des enjeux locaux. C’était vraiment mon obsession, je voulais que l’on parle des vraies affaires, des enjeux d’Hochelaga-Maisonneuve, et que l’on arrête de faire du remplissage avec du contenu repris à gauche et à droite. Toute l’équipe a travaillé fort pour y arriver et non seulement le contenu était, selon moi, intéressant, mais le nombre de pages avait augmenté et oscillait régulièrement entre 24 et 32 pages, ce qui veut dire que les commerçants et les organismes reprenaient aussi goût au journal.

EMM : C’était quoi au juste «parler des vraies affaires» dans Les Nouvelles de l’Est?

CP : C’était de dénoncer des rassemblements d’extrémistes sur la rue Ontario, qui s’affichaient ouvertement en faveur du KKK, c’était de démontrer qu’il y avait des bingos illégaux sur le territoire qui faisaient mal aux organismes du quartier, c’était de démontrer le laisser-aller des autorités face à la prostitution de rue qui proliférait à l’époque, c’était aussi de parler des bons coups des organismes et des élus quand ça méritait d’être mentionné, c’était d’être solidaire avec la communauté et notre monde. On avait la chance également à cette époque de pouvoir compter sur des journalistes engagés comme Pierre Tousignant, Corinne Sorin, et toi (André Bérubé), notamment, et aussi sur le légendaire photographe Réjean Gosselin!

EMM : Quels sont tes meilleurs souvenirs de ton passage aux Nouvelles de l’Est?

CP : L’atelier de montage, sur la rue Saint-André, alors que l’on finalisait la maquette avant d’aller sous presse. Voir toute la petite équipe qui corrigeait, mettait la touche finale au journal jusqu’aux petites heures du matin, semaine après semaine. Il y avait quelque chose de touchant là-dedans, de voir qu’un si petit groupe de personnes réussissait à faire tant pour le quartier. Je me souviens aussi des négociations avec Roger Gallagher, le directeur général de la Promenade Ontario, le regroupement des commerçants de la rue Ontario à l’époque. Ce n’était pas facile et il fallait faire attention à lui car il était de loin le plus important annonceur du journal. Un jour, alors qu’il branlait sérieusement dans le manche, je lui avais offert de faire dépasser le cahier de la Promenade Ontario du journal d’un pouce environ, une première pour Les Nouvelles de l’Est. Il était tellement heureux que le journal en a bénéficié financièrement un bon bout de temps par la suite. Ça c’était un bon coup (rires)!

EMM : De l’autre côté de la clôture, lorsque tu étais en politique active, quelle importance avait pour vous le journal local?

CP : Tellement, mais tellement important. Avant l’arrivée des plateformes numériques, les Nouvelles de l’Est était le seul véhicule pour faire passer tes messages, pour décrire le travail que tu faisais, que tu réalisais pour la communauté, pour parler des enjeux du quartier, etc. Et j’étais députée quand le journal s’est éteint et je peux dire que même avec les réseaux sociaux, les pages Web locales, etc., la fermeture des Nouvelles de l’Est a fait très mal. On a senti immédiatement que le quartier manquait de couverture médiatique pour mettre en lumière les enjeux d’Hochelaga-Maisonneuve, pour faire pression aussi. Par exemple, j’aurais aimé qu’un média local porte la cause du manque criant de médecins de famille, cela aurait aidé à faire avancer le dossier plus vite, sans aucun doute. Mais bon, les temps changent et il faut s’adapter!


ENTREVUE AVEC ANDRÉ BÉRUBÉ (réalisée par Magalie Eliard)
Journaliste (1999-2006)
Gestionnaire en agences de publicité
Éditeur EST MÉDIA Montréal (depuis 2018)

Magalie Eliard : Quand as-tu travaillé aux Nouvelles de l’Est?

André Bérubé : J’ai soumis un premier texte à l’âge de 17 ans à l’éditeur. Je résidais depuis ma naissance dans le quartier et comme j’étais déjà fasciné par le monde du journalisme et des médias, je me suis dit que le journal Nouvelles de l’Est serait peut-être une porte d’entrée pour moi. Évidemment, on m’a répondu que j’étais trop jeune et sans expérience, et que le journal acceptait de toute façon rarement des collaborations du genre. J’ai toutefois persévéré, j’allais voir des spectacles, je réalisais des entrevues avec les artistes et je critiquais… avec tout mon grand bagage d’expérience (rires). J’envoyais systématiquement mes textes au journal sans jamais de retour, jusqu’au jour où, surprise, j’ai vu mon article publié dans le journal… sans mon nom! Par la suite, j’ai commencé à recevoir des commandes sporadiques de Télémédia, de plus en plus régulières lorsque j’étais à l’université pour arriver finalement, à ma dernière année de bac, à écrire pour le District Centre sur une base hebdomadaire. Finalement, lorsque Jeanne Corriveau, la rédactrice en chef des Nouvelles de l’Est a quitté pour Le Devoir en 2003-2004 si je me souviens bien, on m’a immédiatement offert son poste.

ME : Est-ce que le travail journalistique se comparait aux quotidiens comme La Presse, Le Devoir, etc.?

AB : Oui et non. Il y avait occasionnellement des histoires ou des enjeux qui demandaient vraiment un travail journalistique rigoureux, de recherche et de contrevérification, mais comme j’étais seul pour assurer tout le contenu du journal, c’était le cas pour tous les journaux du District Centre de Télémédia à l’époque, on faisait aussi beaucoup de couvertures d’événements assez rapidement. Quand on faisait le montage final, s’il restait un peu de place, on pigeait dans le lot impressionnant de communiqués de presse locaux que l’on recevait chaque semaine. Mais dans l’ensemble, c’était une école de journalisme extraordinaire et plusieurs journalistes dans les années 2000, avec la syndicalisation des journalistes d’hebdos et le peu d’ouvertures dans les grands médias, ont d’ailleurs fait carrière très longtemps dans les journaux locaux.

ME : Le journal avait-il de l’impact dans la communauté, est-ce que tu ressentais qu’il en avait?

AB : Certainement. Tout le monde voulait que le journal couvre leurs événements, tous les élus voulaient que l’on parle de leurs réalisations et des enjeux du quartier, et quand on n’était pas à tel événement ou telle conférence de presse, on se le faisait dire. La communauté d’affaires, les politiques et les organismes comptaient beaucoup sur le média local à l’époque, c’était l’outil de communication essentiel pour eux pour faire le lien avec la population du quartier. Côté lecteur, je me souviendrai toujours la fois où, dans un dépanneur, un gars à l’allure plutôt rocker, disons, avec Les Nouvelles de l’Est en main, incitait son interlocuteur à lire le journal, disant qu’il y avait vraiment de quoi d’intéressant là-dedans, que c’était même surprenant. Ça m’avait beaucoup marqué d’entendre cela, je me disais : on a réussi quelque chose là…

ME : Quels sont tes meilleurs souvenirs des Nouvelles de l’Est? Des anecdotes?

AB : Je dirais que je me souviens avant tout de rencontres exceptionnelles. Guy Lafleur, une de mes premières entrevues par exemple, me bouleverse encore. Il était président d’honneur d’un tournoi de hockey dans le quartier et l’organisateur avait «arrangé» une entrevue avec moi. Arrivé à l’aréna, on me dit que Guy Lafleur m’attend, seul, dans la cafétéria qui a été fermée au public pour un moment. Je le voyais assis derrière une fenêtre à m’attendre et là je me suis senti tellement intimidé, je me disais : il va me trouver pourri, il va s’emmerder, je ne suis pas bien préparé… Finalement, c’est probablement la personnalité la plus agréable, généreuse et authentique que j’ai rencontrée dans ma carrière de journaliste. Il m’avait donné une entrevue du tonnerre, des informations inédites, il m’avait servi lui-même un café et m’avait dit, après une heure d’entrevue : tu es certain que tu as tout ce qu’il te faut? On peut continuer si tu veux… Je n’en revenais pas. Il y a eu aussi des rencontres formidables, notamment avec Lucien Bouchard et les ténors du oui lors du dernier référendum qui avaient visité notre salle de presse, le premier ministre Daniel Johnson, etc.

Vic Vogel, grand jazzman aujourd’hui décédé, une autre belle rencontre dont se souvient André Bérubé lors de son passage aux Nouvelles de l’Est.

Anecdotes : je me souviens que nous n’hésitions pas à faire bouger les choses dans certains dossiers. Par exemple, on avait talonné la police pour qu’elle intervienne afin de faire cesser des bingos illégaux dans le quartier. On a reçu un petit coup de fil des autorités à un moment donné pour nous inviter à assister, exclusivement, à des interventions policières ciblées… c’était une nuit assez intense merci! Et pour rire un peu, rappelons une histoire bien connue dans les officines d’Hochelaga-Maisonneuve : nous avions publié à l’époque une photo de Louise Harel qui participait à un événement du genre 5 à 7, avec un bas de vignette qui disait quelque chose comme La députée péquiste était présente lors de … Mais le correcteur automatique du Macintosh avait changé cela par : La députée pique-assiette…, et personne n’avait relevé l’erreur. L’éditeur avait eu droit, dès la sortie du journal, à l’humeur de vous devinez qui…

* NDLR : Merci à l’Atelier d’histoire Mercier-Hochelaga-Maisonneuve pour sa collaboration à quelques aspects du reportage.


Le dossier spécial Mercier−Hochelaga-Maisonneuve a été rendu possible grâce à la collaboration des partenaires suivants :