Photo Facebook SDC Jean-Talon Est.

JEAN-TALON EST : UNE ARTÈRE COMMERCIALE EN MANQUE D’AMOUR

La principale rue commerciale de Saint-Léonard n’est pas la plus invitante en ville, il faut bien l’avouer, et ça ne date pas d’hier. Dans un mémoire déposé par la Société de développement commercial (SDC) Jean-Talon Est dans le cadre des consultations publiques pour le Programme particulier d’urbanisme (PPU) Jean-Talon Est, en décembre 2018, il est écrit que :

« La rue Jean-Talon Est a adopté le visage qu’on lui connait aujourd’hui à une époque où la voiture était reine. Les centres d’achats, entourés de stationnements démesurés, constituent une bonne partie de la trame de la rue, autant à l’est qu’à l’ouest. La portion centrale est tissée davantage comme une rue principale, même si les cours avant asphaltées et les interdictions de stationner entre la façade et le trottoir rappellent que les lieux n’ont pas été aménagés précisément pour les piétons. Aussi bien dire que la dimension humaine n’a jamais vraiment fait partie de l’équation. »

Ce bref passage résume bien pourquoi la rue commerciale semble peu accueillante, et aussi peu sécuritaire. Elle n’a pas été conçue à l’origine pour les piétons et la vie de quartier, avec des places publiques, terrasses, lieux de rencontre, qui favorisent l’achalandage que mérite, et que doit générer, une artère principale d’arrondissement. Du moins, selon les normes d’aujourd’hui.

La ville centre en est consciente, l’arrondissement en est conscient, de même que les quelque 250 membres de la SDC qui sont sur la toute première ligne de front. Ces derniers mettent d’ailleurs de plus en plus de pression sur l’administration municipale afin que des actions concrètes et structurantes soient une fois pour toutes entreprises pour améliorer la situation, après des années de consultations et de planifications qui n’aboutissent encore à rien, ou à pas grand-chose finalement.

Il y avait pourtant un projet de revitalisation très sérieux, de l’ordre de près de 20 M $, qui devait enfin être entamé en 2017-2018. Il a été ralenti par la formation politique de Denis Coderre qui ne voulait vraisemblablement pas voir de travaux majeurs sur l’artère commerciale pendant les élections. Par la suite, l’annonce du prolongement de la ligne bleue du métro, avec trois stations prévues sur Jean-Talon, viendra sonner le glas du projet car évidemment, on devra coordonner et planifier les travaux tous ensemble : Québec, Montréal, l’arrondissement, la STM, et la SDC. Ajoutez à cela l’annonce du Projet structurant de l’est (PSE-ancien REM de l’est) et du Réseau express vélo (REV) annoncé sur toute la longueur de l’artère commerciale dans les prochaines années, et voilà tout un cocktail de chantiers qui s’annonce sur Jean-Talon Est pour au moins dix ans.

Il s’agit de projets de développement très positifs pour l’avenir de ce secteur, bien sûr, mais qui inquiètent tout de même la direction de la SDC. « On comprend que tous ces projets doivent se faire en concertation, qu’on doit prendre le temps de planifier adéquatement tout ça, mais on ne peut pas non plus attendre encore 10 ou 15 ans avant d’améliorer le sort de Jean-Talon Est. Les commerçants ont assez attendu, et les gens du quartier aussi. Il faudrait au moins que des installations ou des projets temporaires soient testés pendant cette période pour stimuler l’achalandage, rendre la rue plus belle, plus verte, et plus sécuritaire. On ne doit pas rester passif, ce serait une catastrophe », affirme Pierre Frisko, directeur général de la SDC.

En attendant la grande revitalisation

Si le projet majeur de la SDC a finalement été tabletté en 2018, il aura au moins été le fer de lance du PPU de l’arrondissement concernant l’avenir de la rue Jean-Talon Est, déposé par l’administration Bissonnet en mai 2021. Mais comme tout PPU, il s’agit d’un plan directeur d’aménagement qui donne les grandes lignes à suivre, les souhaits de l’arrondissement pour l’aménagement du territoire pour les prochaines décennies. Il ne s’agit pas du projet concret de la revitalisation de l’artère commerciale, mais des balises qui devraient encadrer les prochains plans d’aménagement. À la lecture du document, que l’on retrouve aisément sur le Web, on se rend compte qu’il correspond aux normes d’urbanisme appliquées aujourd’hui pour ce genre de projet en milieu urbain. On propose notamment de densifier le secteur avec des bâtiments plus volumineux, d’améliorer la mobilité, la sécurité, de verdir abondamment et d’améliorer la diversité des commerces de proximité, entre autres.

Cette grande revitalisation, cette vision finale souhaitée, devra toutefois attendre l’implantation des nouvelles stations de métro et du REV, et dans une moindre mesure, l’arrivée du PSE, qui demanderont des travaux majeurs sur le territoire. D’ici là, il y aura de la planification à faire, beaucoup de planification entre tous les acteurs pour amener la rue Jean-Talon Est à un statut de véritable « centre-ville de Saint-Léonard » digne des années 2030, surtout de la part de la ville centre et de l’arrondissement.

Aménagement temporaire pendant la pandémie. (Photo courtoisie SDC Jean-Talon Est).

Mais entretemps, que fait-on? Selon la direction de la SDC, il faut profiter de la situation pour commencer la transformation de l’artère, ou minimalement tester, avec des aménagements temporaires, la pertinence de certaines installations prévues notamment dans la planification de 2018. Le problème, c’est que ça semble compliqué de faire bouger la ville pour ce genre de projet… Pendant la période de pandémie par exemple, alors que la plupart des rues commerciales se voyaient offrir des aménagements temporaires pour stimuler et sécuriser leur site, la rue Jean-Talon a été l’hôte de peu de projets d’aménagement. La plus importante construction temporaire aura été la mise en place d’un corso (pour la rue Jean-Talon, on parle surtout d’étals), un ajout prévu dans le plan de 2018. Cette aventure, vécue toutefois quelques mois avant la COVID, aura été un véritable fiasco, même selon le maire de l’arrondissement. La construction aurait débuté le 10 juillet, affirme le président de la SDC et propriétaire d’Ici Sport La Source du Sport Jean-Talon, Paul Micheletti. Le chantier a ensuite été laissé en plan pendant les deux semaines de la construction, et l’aménagement a officiellement été inauguré… le 14 septembre! « Au printemps suivant, c’était la pandémie, tout a été démantelé. Mais ce n’était pas un corso, c’était n’importe quoi. Le problème ici, à Saint-Léonard, c’est qu’on est toujours en retard, ça prend beaucoup trop de temps à la Ville pour réagir », soutient M. Micheletti.

Selon Pierre Frisko, la SDC a demandé une rencontre en septembre dernier avec les élus de l’arrondissement pour savoir ce qu’il était possible de faire cet été comme aménagement temporaire sur Jean-Talon. En novembre, les élus ont dit attendre une rencontre avec la ville centre pour être en mesure de répondre. Cette rencontre est finalement prévue… la semaine prochaine, paraît-il. Ça ne laisse pas beaucoup de temps pour travailler sur le dossier, et réaliser les travaux le cas échéant. Toujours dans le même ordre d’idées, le directeur général de la SDC avait demandé, il y a cinq ans, la création d’un Comité SDC-Ville-arrondissement-STM pour planifier des aménagements transitoires. La première rencontre de ce comité a eu lieu lundi dernier. Ce comité est composé de fonctionnaires de la ville, de l’arrondissement, de la STM et de membres de PME MTL. « Si on se fie à la première rencontre, il y a toutefois des raisons d’être optimiste pour la suite des choses. Mais je reste prudent », déclare M. Frisko.

La principale question dans ce dossier est : qu’est-ce que demande la SDC, au juste? Beaucoup de choses, si on se réfère au plan de 2017-2018. Mais pour l’instant, la direction du regroupement commercial parle surtout « d’aménagements transitoires », compte tenu des circonstances entourant les travaux à venir projetés par les différents modes de transport. Elle rappelle du même souffle que la rue ne sera pas éventrée pour autant sur toute sa longueur.

« Les travaux préparatoires pour les stations de métro sont complétés. Il y aura bien la construction des édicules, mais pour la ligne de métro en tant que tel, ça se fera par un tunnelier avec peu d’incidence en surface. Donc oui, on peut profiter de l’occasion pour essayer des aménagements en termes de sécurité des piétons, de verdissement, d’animation, et autres, mais si ça prête, on peut aussi procéder à des travaux permanents sur certains tronçons, si la Ville est prête. Ce serait possible. Selon moi, nous sommes dans l’urgence d’agir pour Jean-Talon, il faut aller de l’avant, si on peut, et ce dès maintenant. Le statut quo n’est plus envisageable », martèle le directeur général.

Rappelons que le projet 2017-2018 prévoyait, entre autres : la reconstruction des trottoirs (la SDC aimerait que la Ville récupère auprès des propriétaires de bâtiments la bande de terre entre les façades et les trottoirs, comme c’est le cas pour la plupart des artères commerciales); le verdissement de la rue avec la plantation d’au moins 200 arbres; l’aménagement sécuritaire des chemins de traverse; un meilleur éclairage de nuit et du nouveau mobilier urbain; une diminution des limites de vitesse; une meilleure gestion des espaces de stationnement; l’aménagement de lieux de rencontre; et une densification des bâtiments qui seront bâtis au-dessus des édicules de stations de métro, entre autres choses.

Maintenant, reste à savoir en combien d’années la rue Jean-Talon Est réussira à se refaire une telle beauté. Le plus vite sera le mieux.


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