QUAND L’INTÉGRATION PROFESSIONNELLE DEVIENT POSSIBLE GRÂCE À L’ÉCONOMIE SOCIALE – L’HISTOIRE DE COLLECTION INNOVA
En 1996, alors que 130 lits viennent à fermer dans les chambres de l’Hôpital Louis-Hippolyte Lafontaine (aujourd’hui appelé Institut universitaire en santé mentale de Montréal), des acteurs du réseau de la santé et des services sociaux y voient l’opportunité de rediriger les budgets maintenant disponibles vers un nouveau projet axé sur l’intégration en emploi. Trois ans plus tard, le manufacturier de vêtements adaptés Collection Innova, dont le modèle d’affaires est basé sur l’économie sociale, voit le jour dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.
Suite à la fermeture des lits, des personnes impliquées aux niveaux communautaire, institutionnel, social et professionnel souhaitaient que l’argent dégagé soit réinvesti dans la communauté montréalaise, et plus précisément dans son programme en santé mentale. « Les gens aux prises avec des problèmes de santé mentale n’étaient pas bien desservis au niveau de l’intégration professionnelle. On a donc décidé de créer une entreprise sociale en santé mentale qui allait créer des emplois réguliers pour ces personnes et les rendre plus mobiles sur le marché du travail », explique Jeanna Roche, directrice adjointe chez Collection Innova.
Collection Innova, qui fêtera son 25e anniversaire l’an prochain, s’est inspirée d’un modèle européen. L’entreprise à vocation sociale embauche également des personnes sans handicap qui travaillent main dans la main au quotidien avec des employés en perte d’autonomie. Ces derniers représentent environ 65 à 70% du personnel total de l’entreprise. « Entre 1998 et 1999, c’était une période de cogitation pour bien cerner le modèle d’affaires que nous allions adopter et pour définir dans quel secteur nous allions nous lancer. Diane Vinet, chargée du projet à cette époque, a rencontré une entrepreneure économique qui faisait des vêtements adaptés pour des résidents en CHSLD ou des personnes en perte d’autonomie. Elle avait beaucoup de difficulté à trouver de la main-d’œuvre pour fabriquer les pièces spécialisées. Après avoir mis en commun leurs idées, Collection Innova est née », ajoute la directrice adjointe.
Un domaine d’emploi pérenne et accessible
Malgré une compétition notoire dans le domaine du vêtement, la fabrication de morceaux adaptés est un créneau de niche qui a beaucoup de potentiel, croit Jeanna Roche. « En choisissant cette industrie, on voulait assurer la longévité, mais aussi aller vers un domaine qui n’était pas encore trop investi par les entreprises en économie sociale, comme peuvent l’être ceux du service de traiteur ou de l’entretien ménager, par exemple. »
Du pantalon à la robe, l’entièreté de la gamme de vêtements adaptés est fabriquée sur place, puis les pièces sont envoyées vers différents points de vente. Bien que complexe, le secteur manufacturier permet cependant de distribuer aux employés atteints de problèmes de santé mentale des tâches variées, dans différents corps de métier parfois peu populaires, croit Martin Rouillard, directeur général de Collection Innova. « Être couturière, ce n’est pas un métier très à la mode, donne-t-il en exemple. Mais nos employés sont placés partout où ils ont l’opportunité d’apporter une valeur ajoutée à la compagnie et de développer leur employabilité. Ça peut aussi être en vente, en comptabilité ou dans la chaîne de production. »
Jeanna Roche, dont un des rôles au sein de l’entreprise est d’accompagner les travailleurs dans leur quotidien, s’assure que ces derniers sont bien positionnés et formés adéquatement dans leur métier. « Selon leurs compétences, mais aussi leur bagage professionnel, les employés peuvent occuper divers rôles. Il y a d’abord une période d’observation et d’orientation, et ensuite les parcours sont personnalisés selon le potentiel et les habiletés de la personne. Un de mes mandats est de m’assurer qu’ils reçoivent le support adéquat qui leur permettra de demeurer en emploi. »
Quelques embûches entrepreneuriales
Assurément empreint d’altruisme, un modèle d’affaires à visée sociale comme celui adopté par Collection Innova détient néanmoins son lot d’enjeux. « Il y en a beaucoup! », lance d’emblée Jeanna Roche. Et plus particulièrement au niveau financier. Bien qu’appuyée par une subvention, l’entreprise a vu la demande monter très rapidement. Les ventes, et par le fait même, la production, sont devenues de plus en plus importantes. Une situation délicate qui engendre nécessairement des coûts importants.
« L’enjeu principal de ce type de modèle, est que notre première mission en est une d’intégration. On a donc engagé des gens, et il y avait un réel besoin pour les vêtements adaptés. Mais c’est comme si nous étions partis à l’envers d’un processus entrepreneurial normal. Nous avions des employés, il fallait les faire travailler, donc nous avons atteint directement un important niveau de production. Nous avons été rattrapés rapidement par une gestion plus ardue de la productivité et des inventaires. Une fois que l’activité économique grossit, la subvention ne peut plus pallier », explique Martin Rouillard.
« Nous nous sommes beaucoup questionnés sur les processus de travail qui n’avaient pas été réfléchis en amont, ajoute la directrice adjointe. Nous avons pensé à tout ça par après, pour améliorer les façons de procéder, notamment au niveau d’une formation plus adéquate des employés ou de la rentabilité des produits dans leur confection », ajoute Jeanna Roche.
Heureusement, le modèle économique s’est peu à peu peaufiné et une structure plus rodée de l’entreprise s’est installée au fil du temps. Collection Innova s’est finalement lancée il y a quelques années dans l’univers de la mise en marché, en faisant l’achat d’un détaillant dont les succursales sont situées à Saint-Lambert et à Longueuil, sur la Rive-Sud de Montréal.
Un emploi qui valorise
Pour les travailleurs en perte d’autonomie et aux prises avec des problèmes de santé mentale, leur poste chez Collection Innova est non seulement une part importante de leur cheminement professionnel, mais aussi de leur vie. Les salaires y sont honnêtes et les journées de travail, motivantes. « On part d’un produit manufacturé à un produit fini, il y a donc une part de création qui amène beaucoup de fierté chez les employés. Ils sont impliqués et contents de venir travailler. Nous sommes aussi très fiers de constater leurs réussites et leur évolution dans l’entreprise », explique Martin Rouillard.
D’ailleurs, Collection Innova enregistre un taux de rétention assez élevé, preuve que beaucoup d’employés s’y sentent réellement à leur place. Cette réalité est pourtant loin de refléter la situation générale sur le marché de l’emploi régulier, selon les observations de Jeanna Roche. « Le processus d’intégration en emploi de personnes qui ont des problèmes de santé mentale ne prend pas 6 mois ou même 1 an, c’est beaucoup plus long que ça. J’ai remarqué que plusieurs programmes en place sont axés surtout sur la motivation, et les diverses statistiques démontrent qu’au bout d’une année, 90% de ces travailleurs-là démissionnent. Avec l’entreprise, nous voulions vraiment nous attaquer à cette problématique et miser davantage sur le long terme. »