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ÉPUISEMENT ET CHARGE MENTALE : UNE RÉALITÉ QUI TOUCHE AUSSI LE COMMUNAUTAIRE

Fatigue, surmenage ou abattement professionnel, le personnel du milieu des organismes communautaires n’est pas à l’abri de subir les contrecoups d’une santé mentale fragilisée. Cette situation toucherait actuellement plusieurs employés, membres et intervenants des organismes supportés par la Corporation de développement communautaire de Rivière-des-Prairies (CDC RDP), et ce, malgré la fin de la récente crise sanitaire.

Isabelle Fortin (Courtoisie)

On aurait pu penser que le retour à une vie normale, à la suite de la pandémie de COVID-19, aurait redonné le sourire aux travailleurs du milieu communautaire. Pourtant, rien n’est moins vrai selon Isabelle Fortin, adjointe de direction, responsable administrative et service aux membres de la CDC RDP. Celle-ci a en effet plutôt remarqué que le personnel était particulièrement fatigué, moins empathique et même découragé. « La charge mentale semble beaucoup plus grande pour eux en ce moment. Dans certains cas, il s’agit de gens que nous avons côtoyés pendant des années, qui étaient toujours de bonne humeur, compatissants. On a aussi remarqué un désengagement des employés au niveau des activités organisées ou dans les rencontres de tables sectorielles. On s’est donc posé des questions. »

Et le constat établi par la suite n’est pas très encourageant. Pour Isabelle Fortin, le discours sociétal généralisé sur la santé mentale fait bien souvent état de maladies diagnostiquées, telles que les troubles anxieux, la dépression ou bien la schizophrénie, mais on oublie parfois qu’une simple fatigue prononcée du personnel peut avoir des conséquences importantes. « C’est essentiel de parler des pires états, mais la lourdeur psychologique, ça reste encore tabou d’en parler. Actuellement, avec le coût de la vie élevé, la crise du logement, les augmentations doublées de demandes d’aide alimentaire, c’est difficile pour les membres de la CDC de vivre ça et de constater qu’il n’y a plus de ressources, qu’ils croulent sous le travail et qu’ils ont les mains liées. »

Isabel Louis-Seize (Courtoisie)

Sexologue B.A et coordonnatrice au Centre de jour L’Art-Rivé de Rivières-des-Prairies, Isabel Louis-Seize a elle aussi pu constater que préserver le bien-être de son personnel représente présentement un défi important. « Notre organisme de santé mentale pour adultes reçoit des personnes qui ont des problèmes de santé psychologique persistants ou transitoires. On est dans un travail de relations humaines, donc en présence d’individus plus vulnérables. Nos intervenants sont donc confrontés à beaucoup de détresse au quotidien, ce qui peut être parfois difficile pour eux. Mais ils doivent toujours garder en tête l’importance qu’a leur propre bien-être mental dans leurs interventions avec les membres. »

Le manque de financement et de main-d’œuvre en cause

Mmes Louis-Seize et Fortin croient que plusieurs facteurs peuvent expliquer cet épuisement ressenti au sein du personnel communautaire. Le taux de roulement élevé, par exemple, oblige les employés à former encore et encore de nouvelles recrues, créant au fil du temps un sentiment de découragement et de contrariété. « Quand, en deux ans, ça fait cinq fois que tu es obligé d’engager et de donner la formation à du nouveau personnel, ça t’empêche d’avoir ta légèreté et ton empathie habituelle. Et souvent, il va quand même manquer un, deux ou trois employés pour répondre adéquatement aux demandes », illustre Isabelle Fortin. 

Ces difficultés de recrutement et de rétention n’ont rien de surprenant pour l’adjointe de direction de la CDC RDP, déjà bien au courant qu’une pénurie de main-d’œuvre menace son secteur. « Mais les demandes explosent quand même, et on doit parfois annoncer aux gens qui nous appellent pour de l’aide, et qui n’ont pas pu en recevoir ailleurs, que ce sont les seules ressources disponibles dans le quartier. Ça peut être démoralisant pour le personnel de réaliser qu’on ne peut rien faire de plus pour eux. À la CDC RDP, on ressent cet épuisement généralisé au sein des organismes qu’on accompagne. »

Au Centre de jour L’Art-Rivé, c’est le même son de cloche. Isabel Louis-Seize ajoute que la surcharge mentale provient bien souvent d’une accumulation de travail réparti sur les épaules des employés. « Pour porter l’organisme, on doit aller chercher le financement, les subventions nécessaires. Il faut donc faire des appels de projets, où on présente un nouvel axe de notre organisme ou un nouveau volet. C’est certain que ce fonctionnement nous ajoute des tâches supplémentaires, et nous n’avons pas la possibilité d’engager des gens de plus. Donc, les personnes en poste, qui répondent déjà à la mission et aux activités de l’organisme, deviennent surchargées, mais ont aussi moins de temps pour l’écoute et la relation d’aide. »

La recherche et le manque de financement jouent effectivement un rôle majeur dans cette surcharge vécue par les travailleurs des organismes de l’est de la métropole, croit Isabelle Fortin. « C’est un problème qui est présent depuis un moment, mais présentement, c’est encore pire. » 

La situation sociale et économique actuelle se répercute jusque sur la recherche de bénévoles, qui donnent habituellement un précieux coup de main aux organismes communautaires déjà surmenés. Présentement, les volontaires, ce sont pour la plupart des personnes à la retraite ou en voie de l’être. « Certains organismes nous ont fait part de problématiques au niveau de la relève en bénévolat. Les citoyens sont déjà épuisés de devoir travailler de longues heures pour payer leur loyer exorbitant ou bien pour nourrir leur famille, ils n’ont pas de temps à donner. C’est une roue qui tourne », déplore Mme Fortin.

Quelles seraient les solutions pour pallier le problème?

L’écoute et l’échange sont déjà des pistes empruntées par la CDC RDP pour épauler les membres de son personnel et des organismes membres aux prises avec un sentiment d’épuisement et de découragement. Et puisque l’équipe de la CDC RDP est plus nombreuse que celles d’autres organisations qu’elle accompagne, elle souhaite offrir son aide pour les décharger au niveau des tâches. « Je ne dis pas que ça va fonctionner, que c’est un remède miracle, mais c’est quelque chose de nouveau que la CDC pourra offrir. Elle organisera aussi des rencontres avec les organismes, fera du codéveloppement, si besoin il y a, et sera une facilitatrice pour tenter de combler ou d’atténuer leurs besoins. Ce qui est certain, c’est que nos gens ont besoin de temps d’arrêt pour respirer, mais comment peut-on réellement les aider? C’est une question d’importance cette année. » 

Pour Mme Louis-Seize, le fait que le Centre de jour L’Art-Rivé soit dirigé par une petite équipe soudée permet la tenue de rencontres informelles où les employés peuvent ventiler et discuter de ce qui les touche afin de se sentir mieux. « Ça peut être de se confier sur des interventions qu’ils ont vécues plus difficilement, sur la lourdeur de leurs tâches. Ça fait toujours du bien. On utilise aussi beaucoup l’humour pour alléger des moments plus préoccupants. Bien sûr, si la personne en ressent le besoin, on l’encouragera à aller chercher l’aide dont elle a besoin auprès de professionnels. »

La plateforme LÉO, une ligne de soutien psychologique pour les personnes engagées dans les coopératives et OBNL de la province, est aussi un outil de soutien très intéressant pour les travailleurs communautaires, selon Isabelle Fortin. Le service est gratuit et disponible facilement. « La ligne donne accès à un psychologue ou un spécialiste selon le besoin, jusqu’à un maximum de 6 rencontres d’environ 1 h. Je l’ai utilisée l’année passée, parce que je recevais beaucoup de demandes et j’étais au bout de mon énergie. C’est une ressource précieuse pour tous les travailleurs, bénévoles et membres de CA d’organismes communautaires qui ont besoin de prendre soin d’eux », termine l’adjointe de direction à la CDC RDP.


Cette série spéciale est financée par la Corporation de développement communautaire de Rivière-des-Prairies.