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Le Centre Paul-Sauvé, en 1973. (Source : Archives de la Ville de Montréal).

DÉMOLITION DU CENTRE PAUL-SAUVÉ : 30 ANS DÉJÀ

Le Centre Paul-Sauvé fut le théâtre d’innombrables réunions syndicales et politiques qui ont marqué l’histoire du Québec. Des stars internationales et nombre d’artistes québécois s’y sont produits. De mémorables galas de lutte et de boxe et autres compétitions sportives majeures s’y sont déroulés.

Curieuse histoire que celle du Centre Paul-Sauvé, un vaste aréna inauguré en 1960 dans Rosemont à l’angle sud-ouest de la rue Beaubien et du boulevard Pie-IX. L’édifice aura connu ses heures de gloire dans les années 1960 et 1970, pour disparaître bêtement sous le pic des démolisseurs à la fin de 1992.

Une idée de la Palestre nationale

En 1958, l’Association Athlétique Nationale de la Jeunesse (AANJ), qui administre la Palestre nationale sur la rue Cherrier à Montréal, voit grand. L’entretien du vieil édifice exigu, ouvert en 1919, lui coûte de plus en plus cher, de sorte que l’AANJ caresse l’idée de le vendre pour construire un édifice moderne plus grand. Le tout serait financé par une campagne de souscription de 1 million de dollars.

La Ville de Montréal fait sa part et accepte de céder le terrain de Rosemont pour 15 000 $, alors qu’il en vaut 1 million. La construction débute en 1959 et le nouveau complexe ouvre ses portes en septembre 1960 sous le nom de Centre Paul-Sauvé, en l’honneur de Paul Sauvé qui fut pendant quelques mois seulement premier ministre du Québec en raison de son décès subit le 2 janvier 1960.

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La construction de la Palestre nationale, devenue le Centre Paul-Sauvé, en 1960. (Source : Archives de la ShRPP).

L’édifice présente une architecture aux formes audacieuses pour l’époque. Il comporte un amphithéâtre de hockey de 4 000 sièges, une vaste salle de quilles, deux gymnases, cinq surfaces de curling et un restaurant. Mais les coûts de construction auront grimpé à 4 millions, sinon plus. Malgré le relatif succès de la campagne de souscription (775 000 $), le gouvernement doit en effet dès mars 1960 mettre de l’argent sur la table : il garantit une dette de 2,4 millions de l’AANJ, pour le paiement de laquelle il octroie 800 000 $ en subvention. De plus, le gouvernement garantit en juin 1961 un emprunt supplémentaire de 800 000 $. On est loin du coût de construction de 1 million prévu au départ.

Du sport, du spectacle et des assemblées

Qu’à cela ne tienne. Sur le plan sportif, le Centre fait son nid. Ce sont les Canadiens de Montréal et les As de Québec qui participent au match d’inauguration de la patinoire en septembre 1960. Un important tournoi de hockey bantam s’y tient en 1961. Le National de Rosemont, une équipe de la Ligue de hockey junior majeur du Québec, y joue pendant deux saisons, de 1969 à 1971. Les Bombardiers de Rosemont, de la ligue Métropolitaine Junior, y évoluent durant plusieurs saisons. La patinoire sert aussi au patinage libre, au ballon-balai et à la crosse durant l’été. Les installations de curling sont toutefois délaissées, les espaces étant bientôt loués pour des réceptions et des assemblées. L’endroit accueille les Six Jours cyclistes pendant plusieurs années, ainsi que les compétitions de volleyball lors des Jeux olympiques de 1976.

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Les Six Jours cyclistes au Centre Paul-Sauvé, en mai 1968. (Source : BAnQ, Fonds La Presse).

Plusieurs galas de boxe y sont présentés, mettant entre autres en vedette Robert Cléroux, Donato Paduano, Eddie Melo, Fernand Marcotte, les frères Hilton, Gaétan Hart et Deano Clavet. La lutte y connaît aussi ses belles soirées : les frères Rougeau, Larry Moquin, Mad Dog Vachon, Édouard Carpentier, Abdullah the Butcher, le Géant Ferré, Dino Brito, Dino Bravo, Pat Patterson, les frères Leduc, Eddie Creatchman… s’y tabassent à qui mieux mieux. Une populaire émission télévisée de lutte y est en partie enregistrée.

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Gala de lutte au Centre Paul-Sauvé, janvier 1982. (Source : BAnQ, Fonds La Presse).

Sur le plan artistique, Paul-Sauvé accueille des vedettes internationales telles que Jimi Hendrix, Cream, Frank Zappa, James Brown, Jerry Lewis ou Johnny Hallyday. Les artistes québécois y tiennent aussi l’affiche : Pierre Lalonde, Ginette Reno, Joël Denis, etc. L’émission télévisée Le Donald Lautrec Chaud y est enregistrée. Le Centre accueille également le Cirque des Shriners et différents salons, comme le Salon des sciences occultes, et les fameuses parties de bingo.

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Affiche pour le spectacle de Frank Zappa, au Centre Paul-Sauvé en juillet 1971. (Source : Pinterest (image fournie par la ShRPP)).

Enfin, Paul-Sauvé est le siège de plusieurs assemblées syndicales (policiers, pompiers, postiers, débardeurs, chauffeurs d’autobus, etc.), et politiques. C’est ici que le Parti québécois savoure sa victoire lors des élections provinciales de 1976. Il y panse également ses plaies lors de la défaite référendaire du 20 mai 1980; René Lévesque y prononce son célèbre « Si j’ai bien compris, vous êtes en train de me dire : à la prochaine fois ». Au même endroit, le 14 mai précédent, le premier ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau avait prononcé un discours non moins mémorable, où il avait pris l’engagement solennel qu’un « Non » serait interprété comme un mandat pour changer la constitution et renouveler le fédéralisme.

Un Centre dont plus personne ne veut, ou presque

Malgré ses succès, le Centre peine à faire ses frais. On organise par exemple une nouvelle campagne de souscription en 1966, afin de joindre les deux bouts. Cela n’empêche pas de voir grand : en 1968, on envisage en vain d’ajouter une piscine olympique, dans l’espoir d’y accueillir des compétitions advenant l’octroi des Jeux olympiques à Montréal.

Paul-Sauvé souffre de la concurrence des autres installations sportives qui ont vu le jour en même temps que lui, soit le Centre sportif Maisonneuve (maintenant le Centre Pierre-Charbonneau) ouvert sur la rue Viau en 1960, au sud de la rue Sherbrooke, et tout près, l’aréna Maurice-Richard inauguré en 1961. Autre tuile : le Centre doit maintenant rivaliser avec de nouveaux concurrents à proximité. S’est en effet ajouté en 1976 le Centre Étienne-Desmarteau, doté de deux patinoires et de deux gymnases, qui accueille les compétitions préliminaires de basketball pour les Jeux olympiques. C’est le coup de grâce, selon certains observateurs. Il aurait plutôt fallu investir dans la rénovation de Paul-Sauvé, car l’ajout d’autres installations olympiques, notamment le Centre Claude-Robillard, ne fera qu’amplifier le problème.

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Source : La Presse, 14 juillet 1976.

Même si le Centre doit plus souvent qu’il le voudrait s’éloigner de sa mission première, la diversification lui permet de joindre les deux bouts. Toutefois en 1978, sous une nouvelle administration, les difficultés financières se font sentir plus nettement : l’AANJ déclare carrément ne plus avoir les moyens de le faire fonctionner. Cousu de dettes, Paul-Sauvé ferme même ses portes en juin, pendant que le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal se renvoient la balle pour déterminer qui héritera de ce cadeau empoisonné. Ce sera finalement le gouvernement qui l’achètera pour un montant symbolique de 1 $ et le confiera à la Régie des installations olympiques (RIO). Cette dernière devra toutefois débourser des centaines de milliers de dollars pour éponger la dette et remettre l’immeuble en état. Après consultation auprès des associations et organismes, la RIO réalise des améliorations aux installations existantes et y intègre une salle de réception pour des banquets, des soirées dansantes et des spectacles. Le Centre rouvre en octobre 1978, mais ce n’est que partie remise.

L’arrangement dure tant bien que mal jusqu’en 1988, alors que le gouvernement manifeste son intention de se départir du Centre, et que commence à circuler l’idée d’une démolition. La RIO y a englouti 1,5 million et le complexe n’est pas davantage rentable. Des investissements majeurs doivent être faits, au niveau de la toiture notamment. La RIO en a de plus plein les bras avec la conversion du vélodrome du Parc olympique, qu’elle aimerait rentabiliser en le transformant en musée des sciences naturelles (il sera finalement nommé le Biodôme). Le Centre Paul-Sauvé est donc de nouveau offert à la Ville de Montréal, qui décline la proposition dans un premier temps, alléguant que le quartier est déjà bien pourvu en installations sportives et culturelles, et ne voulant pas se plier à la condition de la RIO de respecter la vocation sportive du centre.

Après moult pressions, la Ville s’entend en 1991 avec la RIO pour en faire l’acquisition, pour la somme de 3,1 millions, soit approximativement la valeur du terrain. Un décret gouvernemental officialise le tout en mai 1992, prévoyant que la RIO affectera cette somme au parachèvement du Biodôme (qui, surprise, souffre de dépassements de coûts) qui sera du même coup cédé gratuitement à la Ville de Montréal. Le maire Jean Doré et la présidente du comité exécutif Léa Cousineau, elle-même conseillère du district où se situe le Centre, ne cachent pas leur intention de démolir Paul-Sauvé pour construire des logements sociaux et des logements privés. Le sort en est presque jeté, mais la contestation s’organise. Un mouvement pour sa sauvegarde est créé, des entreprises privées et des personnalités publiques se montrent intéressées. Plus de 300 000 personnes ont fréquenté le Centre en 1990, dont près de 40 000 joueurs de hockey, 125 000 amateurs de bingo, 30 000 quilleurs et 15 000 amateurs de boxe. D’après l’architecte en chef de la Ville, le Centre est en très bon état et vaut 40 millions, …mais a besoin de 11,5 millions en modernisations. La Ville rejette en mai 1992 les deux propositions officielles d’achat qui lui sont parvenues, les jugeant non recevables, sinon loufoques.

Le vénérable bâtiment affronte le pic des démolisseurs en décembre 1992, quelques mois après une dernière manifestation peu courue de soutien à Paul-Sauvé.

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La démolition du Centre Paul-Sauvé, en janvier 1993. (Source : BAnQ, Fonds La Presse).

Faire contre mauvaise fortune bon cœur

Aussi déplorable soit-elle, la démolition du Centre Paul-Sauvé aura laissé place à un vaste complexe résidentiel, comme le souhaitait l’administration Doré. Aujourd’hui, le quadrilatère comprend des maisons de ville, des copropriétés et des logements pour aînés (Les Habitations Nouvelles Avenues). Ce qui n’empêche pas le sentiment qu’il aurait bien pu en être autrement si le Centre Étienne-Desmarteau n’avait pas été construit… Si la boxe et la lutte avaient conservé leur ferveur dans les années 1980… Si le Biodôme n’avait pas autant grevé les finances de la RIO… Si la population de Rosemont avait davantage appuyé la sauvegarde du Centre Paul-Sauvé… Mais bon, inutile de réécrire l’histoire. Il nous reste toujours la nostalgie!

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(Source : Le Devoir, 16 août 1994).


Ce texte de la Série Desjardins Histoire et Patrimoine de l’est II a été rendu possible grâce à la contribution financière de la Caisse Desjardins du Cœur-de-l’Île.
Recherche et rédaction : Société d’histoire Rosemont-Petite-Patrie.