CUISINE COLLECTIVE HOCHELAGA-MAISONNEUVE : UN ORGANISME D’ÉCONOMIE SOCIALE RÉVOLUTIONNAIRE
Fondée en 1986, la Cuisine Collective Hochelaga Maisonneuve (CCHM) est un organisme à but non lucratif situé au coeur de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve (MHM). La CCHM s’est depuis développée pour devenir aujourd’hui un exemple d’entreprise d’économie sociale de premier plan de l’est de Montréal et, plus largement, du Québec.
Une des plus grosses cuisines collectives de la province (Hochelaga-Maisonneuve est fondateur du mouvement des cuisines collectives du Québec), la CCHM a comme objectif de desservir les besoins de la communauté en termes de sécurité alimentaire. Pour ce faire, elle doit générer de l’argent à l’instar d’une entreprise classique. Cependant, en économie sociale, les profits vont à la collectivité et non à l’actionnaire : « Dans notre cas, les revenus des activités économiques servent à financer la mission en insertion socioprofessionnelle, en sécurité alimentaire et la pérennité du déploiement de la corporation », explique Benoist De Peyrelongue, directeur général (DG) de la CCHM depuis 2014. Néanmoins, comme dans toute entreprise, celle d’économie sociale se doit d’avoir un flux de trésorerie qui permet d’assurer la pérennité de la mission : « L’an dernier, sur un budget de 3 millions, il nous restait pas grand-chose car tout est réinvesti dans la mission », raconte-t-il.
Répondre aux besoins
La force d’une entreprise collective est « d’aller chercher son autonomie au maximum en développant un modèle d’affaires structurant au service de la communauté », explique Benoist De Peyrelongue. Cette logique permet à la CCHM de contribuer à répondre aux besoins liés à l’insécurité alimentaire présente dans l’est de l’île. L’été dernier, elle a par exemple démarré un pôle d’approvisionnement pour tout l’est en partenariat avec Moisson Montréal, la banque alimentaire de l’île de Montréal. 16 organismes ont ainsi desservi 70 000 personnes sur les territoires de l’est jusqu’à Pointe-aux-Trembles.
Pendant la pandémie de COVID-19, qui a duré presque 2 ans, l’organisme a servi environ 200 000 repas et 23 tonnes de paniers de denrées de première nécessité livrés directement aux portes des habitations à loyer modique grâce à l’implication des organismes. Ces paniers étaient entièrement gratuits. Cependant, la CCHM ne générait plus aucun revenu tiré de ces paniers : « On a bénéficié des mesures d’urgence, ce qui nous a aidés à traverser cette période particulière en soutenant les plus fragiles », confie le DG de la CCHM.
Pour pallier ce manque de revenus autogénérés, l’organisme a décidé d’ouvrir une épicerie, qu’elle nomme « L’épicerie La Collective ». Cette plateforme de vente en ligne permet aux usagers de faire leurs courses et de commander des plats cuisinés en portions individuelles ou familiales. Ce commerce se consacre principalement à la communauté des aînés, qui quittent de moins en moins leur domicile. « Cette réalité permet aussi d’assurer notre développement, mais toujours avec une tarification sociale, notamment grâce à nos liens avec « La Cantine pour Tous » qui donne l’opportunité aux gens de se restaurer tout en restant chez eux », souligne Benoist De Peyrelongue. Les clients savent qu’en choisissant d’acheter à l’épicerie de la CCHM, ils participent à une mission sociale. Une partie de la vente des légumes est d’ailleurs reversée aux producteurs en situation d’insécurité alimentaire.
Vers une meilleure autonomie d’approvisionnement
Il y a 9 ans, la CCHM a développé un toit potager qui a produit 700 kg de légumes la première année. Ils étaient utilisés dans les cuisines de la CCHM ainsi que par le traiteur qui venait parfois y cueillir certaines herbes aromatiques. Aujourd’hui, avec la création de la ferme sur plusieurs sites en maraîchage, en jardinières et en serres, la CCHM aura produit en 2023 pas moins de 13 t de légumes qui permettent d’approvisionner la majorité des activités de l’organisme : paniers de saison, marchés publics, cafétérias, restaurateurs, et ce, au juste prix et permettant même de donner 30 % des récoltes aux familles dans le besoin et à des organismes en sécurité alimentaire. « Également, depuis un an maintenant, on cuisine le plus possible avec nos légumes à notre cafétéria, au siège social de la CSN et au service traiteur », confie fièrement le DG. L’organisme propose des menus et des bocaux « 100 % produits de la ferme ». Le client bénéficie ainsi d’un menu composé à partir d’aliments locaux. Issus d’un circuit court, ils ne parcourent pas plus de 5 km. « Ce sont des légumes 100 % Hochelaga! », plaisante Benoist De Peyrelongue.
Pour respecter ses valeurs, la CCHM dit non à la spéculation et assume de refuser la fluctuation des prix : « Du début à la fin de la saison, les 140 cultivars produits de la ferme sont vendus au même tarif », insiste le DG de la CCHM. Le client payera ses tomates moins cher que chez son grossiste au mois de juin, mais plus cher au mois de septembre lors des grosses récoltes de tomates : « Ça fait trois ans qu’on vend nos légumes. Depuis trois ans, les prix n’ont pas bougé », souligne-t-il.
La CCHM poursuit le développement de son agriculture urbaine, qui monte en puissance et qui lui permet ainsi une autonomie croissante. Durant l’été 2023, l’organisme a ajouté un terrain supplémentaire de 22 000 pieds carrés chez Scientific Games, ce qui fait 60 000 pieds carrés plantés au total. Une nouvelle serre de 100 pieds par 30 pieds sera également bientôt en fonction 12 mois par an, contrairement à celle de la SAQ, de 190 pieds par 30 pieds, qui fonctionne 10 mois par année.
Ces projets d’implantation ont réussi à se financer par des soutiens privés et publics, ou grâce aux revenux autogénérés de la CCHM : « Cela permet aux investissements d’implantation de ne pas impacter le prix des légumes », explique Benoist De Peyrelongue. Cette année, un terrain de 70 000 pieds carrés s’ajoutera, et l’an prochain, un autre terrain supplémentaire de 90 000 pieds carrés prendra racine : « On dépassera les 2 ha en maraîchage et en agriculture urbaine dans l’entrée de l’est. Une cible de 50 t d’ici 4 ans de production de fruits et légumes est à notre portée », mentionne le DG.
En plus de rechercher une meilleure autonomie, l’organisme se veut écoresponsable avec une approche circulaire. Ainsi, la CCHM mène une politique « zéro déchet » en récupérant les résidus des légumes, tels que les épluchures, en les passant dans un composteur industriel pour alimenter ensuite les terrains. Des substrats de champignonnières, des copeaux de bois des grands parcs de Montréal et bientôt de la drêche de microbrasseurs nourrissent aussi les sols de la ferme.
Insertion professionnelle
En plus de contribuer au bien-être de ses membres et de la collectivité, une entreprise d’économie sociale peut être créatrice d’emploi. La CCHM propose justement un apprentissage en milieu de travail réel pour des personnes souvent victimes d’exclusion. Pensons à sa formation d’aide-cuisinier de six mois succédée par un accompagnement de deux ans sur le marché du travail. Depuis l’ouverture il y a sept ans de sa cafétéria, « La Solidaire », située au siège social de la CSN, la CCHM a pu intégrer le service à la clientèle à ses formations puisque les apprentis font affaire avec des clients dans un milieu économique. En plus de vivre l’intégration sur le marché du travail, les apprentis sont accompagnés dans leur cheminement par des intervenants socioprofessionnels.
Durant les 3 dernières années, des personnes issues de 23 nationalités différentes ont participé au parcours d’insertion professionnelle de la CCHM. Et l’équipe actuelle compte 50 % de participants finissants qui ont par la suite été recrutés à l’interne. « Par exemple, mon adjointe, qui gère aujourd’hui un budget de 4,5 millions, est issue d’un parcours d’employabilité réalisé il y a 27 ans », souligne fièrement Benoist De Peyrelongue.
La CCHM se consacre aussi aux personnes neurodivergentes, qui peuvent bénéficier d’un parcours plus long de 14 mois : « Il faut juste que le plateau de travail soit adapté à eux. Il suffit parfois juste de bien séquencer les tâches et les espaces dans un environnement repensé. On peut par exemple fournir une paire d’écouteurs pour limiter le bruit qu’impose l’usine », indique le DG. L’organisme souhaite ainsi offrir un accompagnement personnalisé qui considère encore davantage l’individu et son enjeu personnel. « La CCHM recrutera à l’interne quatre personnes neurodivergentes comme employés permanents d’ici un an », annonce Benoist De Peyrelongue.
Au niveau de l’employabilité à l’externe, l’enjeu est de convaincre les entreprises de favoriser l’intégration sociale : « Aujourd’hui, le milieu des affaires est prêt à le faire. Il faut juste une confiance partenariale à long terme avec les organisations en employabilité et le milieu des affaires », croit le DG de la CCHM.
De nouveaux projets
La CCHM est en train de transformer son épicerie numérique « La Collective » en magasin communautaire général à tarification sociale afin qu’elle prenne vie physiquement. Les prix des produits de ce petit supermarché dépendront alors des revenus sociaux des clients. Ces derniers s’inscriront en ligne afin d’obtenir une carte qui indiquera le taux de leur réduction personnalisée lors de leur passage à la caisse : « Ainsi, l’anonymat de facturation leur permettra de garder leur dignité dans un lieu de mixité sociale », souhaite Benoist De Peyrelongue. De plus, en faisant leurs courses, les clients pourront découvrir les groupes de cuisine collective, qui pourront également s’approvisionner à cet endroit.
Cette épicerie sera aussi un centre de dons de marchandises qui retourneront aux banques alimentaires. Elle offrira éventuellement un service de livraison à domicile pour les aînés qui sont dans l’incapacité de se déplacer. Afin de poursuivre la politique d’inclusion de la CCHM, ce magasin sera géré uniquement par des employés neurodivergents qui seront accompagnés par un employé neurotypique.
Cette nouvelle version de l’épicerie devrait ouvrir ses portes au début du mois de septembre 2024. « Je touche du bois, mais une fois qu’elle sera bien implantée, on pourra faire des copier-coller! », rêve déjà Benoist De Peyrelongue.