Le CDEM en action le 10 mai dernier. (Photo : EMM).

LE CDEM À LA CROISÉE DES CHEMINS

C’est le 10 mai dernier qu’avait lieu la rencontre saisonnière du Comité de développement de l’Est de Montréal (CDEM), cette fois dans les locaux de la Bibliothèque de Saint-Léonard. Comme à l’habitude, une cinquantaine de participants représentant la plupart des principaux organismes publics du territoire, ainsi que du personnel politique de plusieurs élus locaux, ont pris part à une journée d’échanges et de discussions concernant nombre d’enjeux de l’Est de Montréal. Est Média Montréal, tout comme d’autres médias locaux, était invité à assister à une partie des échanges, en matinée.

Rouleau annonce son retrait du CDEM

Après les présentations d’usage terminées, la présidente du CDEM, Nicole Léger, déclare que la présentation de la députée de Pointe-aux-Trembles, ministre déléguée aux Transports et ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal, Chantal Rouleau, qui était planifiée depuis longtemps, a été annulée « à une semaine d’avis » et que d’après ses informations, « la ministre ainsi que son bureau de comté ne participeraient plus aux rencontres et aux travaux du CDEM. » L’ex-députée péquiste de P.A.T., qui ne cachait pas son irritation, a alors annoncé qu’elle allait communiquer avec l’équipe de Mme Rouleau pour faire le suivi de cette histoire et essayer de régler la situation. Un petit malaise planait, mais aucune intervention de la part des participants. On passe alors au point suivant…

Nous avons bien sûr communiqué plus tard avec Chantal Rouleau, et elle nous a confirmé en entrevue qu’elle ne participerait effectivement plus au CDEM, ni personne de sa garde rapprochée d’ailleurs. Un dur coup pour le Comité. « Je n’ai rien contre la concertation, je suis vraiment pour, et je crois que le CDEM, même s’il s’est trop politisé au fil des années, a joué un rôle important pour diriger quelques réflexions de la part de nombreux acteurs de l’Est, pour avoir piloté des études pertinentes, et pour avoir donné l’occasion à tous de pouvoir s’exprimer sur les grands enjeux du territoire. Mais comme je l’ai dit depuis ma dernière campagne électorale, maintenant c’est le temps de passer à l’action. Nous savons depuis longtemps ce que nous avons à faire, il faut le faire, pas seulement en discuter, et c’est ce que je fais », a déclaré la ministre, en ajoutant que « ce n’est pas le CDEM qui a assuré une navette fluviale pour les trois prochaines années, qui a investi 100 M $ pour la décontamination des sols dans l’Est, qui a mandaté la CDPQ pour étudier un nouveau mode de transport structurant sur le territoire et qui a mis sur pied un bureau de projet pour la rue Notre-Dame, c’est le gouvernement, et en moins d’un an. »

Chantal Rouleau reconnait qu’elle avait accepté de faire une présentation au CDEM, mais que c’était « aujourd’hui moins pertinent » compte tenu que les grands projets du gouvernement Legault pour l’Est de Montréal, du moins pour le présent mandat, ont pour la plupart été annoncés. « Ma présentation devait porter essentiellement sur la Déclaration du gouvernement du Québec et de la Ville de Montréal pour revitaliser l’Est de Montréal, rien de bien nouveau. Les gens qui s’intéressent à l’Est savent bien que les médias parlent régulièrement de nos actions pour dynamiser la région. Je crois que mon temps et celui de mon équipe, qui se fait rare évidemment, est mieux investit aujourd’hui dans l’action, sur le terrain », affirme-t-elle.

Chantal Rouleau, députée de Pointe-aux-Trembles, ministre déléguée aux Transports et ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal. (Photo : gouvernement du Québec).

La députée de Pointe-aux-Trembles et ex-mairesse d’arrondissement est aussi d’avis que la plupart des organismes publics et autres acteurs influents de l’Est de Montréal qui prennent part aux travaux du CDEM sont directement impliqués dans le plan d’action du gouvernement. « On ne fait pas ça tout seul. On travaille avec la Ville de Montréal, le CIUSSS, le réseau scolaire, la Chambre de commerce de l’Est de Montréal, etc. On vient par exemple de mandater la Société de développement Angus pour un projet de relance du secteur commercial de Pointe-aux-Trembles, et Cargo M, la grappe métropolitaine de logistique et transport de Montréal doit rencontrer bientôt tous les industriels de la rue Notre-Dame pour leur parler du projet de boulevard urbain et en savoir davantage sur leurs besoins et leurs attentes face aux travaux qui s’en viennent. On ne travaille pas en vase clos, on implique les acteurs de l’Est dans notre plan », dit-elle.

On se souviendra également que l’ex-ministre libérale et députée d’Anjou, Lise Thériault, ne participait pas aux rencontres du CDEM ces dernières années et que son bureau de comté était peu impliqué dans les travaux du comité.

Un CDEM pavé de bonnes intentions

Fondé en 2011 à la suite de la fermeture dramatique de la raffinerie Shell pour l’Est montréalais, qui s’ajoutait à la longue hécatombe industrielle du territoire, l’ex-députée Nicole Léger a fait rapidement de la création du CDEM sa cause et son combat. Malgré sa retraite récente de la vie politique, elle tenait à continuer le travail à titre de présidente, fonction bénévole que les membres lui ont confié à nouveau l’an dernier.

Nicole Léger, présidente du CDEM. (Photo : EMM).

Ce comité, qui agit finalement à titre de table de concertation régionale, regroupe plus d’une centaine de membres provenant, comme nous le soulignons plus haut, principalement des organismes publics ou parapublics du territoire composé de sept arrondissements et de la Ville de Montréal-Est. Tous les paliers de gouvernement dans tous les comtés et arrondissements sont invités à participer aux travaux et aux rencontres, quatre par année, et les élus locaux et/ou leurs représentants constituent l’autre grande portion de participants. Environ une cinquantaine de personnes prennent part généralement aux rencontres saisonnières.

Le principal objectif du CDEM est d’ériger un front commun pour défendre et faire avancer les grands enjeux socioéconomiques de l’Est de Montréal, une région qui abrite historiquement des allégeances politiques opposées et où justement la concertation générale autour de grands projets structurants a toujours été très difficile, du moins comparée à l’Ouest de Montréal. La situation politique est très différente au nord de l’autoroute 40 qu’au sud de celle-ci, notamment. Les intentions fondamentales du CDEM et la grande et réelle volonté de ses participants de faire avancer les dossiers de l’Est sont extrêmement pertinentes, louables et importantes pour la région, qui s’avère malheureusement depuis quelques décennies le parent pauvre des investissements publics majeurs, c’est un fait aujourd’hui reconnu de tous les acteurs politiques et de tous les paliers de gouvernement. Et soulignons ici que, tant qu’à glisser sur le chemin de l’éditorial, Est Média Montréal apprécie grandement et sincèrement Madame Nicole Léger qui s’est consacrée corps et âme tout au long de sa carrière, et encore aujourd’hui, à la défense et au bien-être de la population de l’Est de Montréal. C’est une grande dame qui a fait beaucoup pour la région, et le CDEM est une de ses grandes réalisations.

Mais après huit ans de réflexions, plénières, analyses et études, où en sont ressorties les grandes lignes des besoins fondamentaux de l’Est de Montréal (transport, décontamination des sols, requalification des terrains et infrastructures industrielles, santé publique, infrastructures scolaires, main-d’œuvre, etc.), est-ce encore nécessaire de réunir quatre fois par année tous ces représentants, et de les impliquer de surplus dans divers comités de travail, ou plutôt des comités de réflexion au mandat très large? Les quatre groupes de travail étant : « Milieu de vie et santé », « Développement du territoire », « Emploi, savoir et entrepreneuriat », et finalement « Transport et logistique ». Intéressants exercices, mais est-ce qu’aujourd’hui ces petits groupes de travail, formés de participants aux expertises diverses et pas nécessairement dans les secteurs visés par les groupes de travail, ont réellement un impact dans le développement de l’Est de Montréal? Il est permis d’en douter. Il faut également réaliser que malgré la prétention du CDEM de fonctionner avec un budget quasiment nul, la grande majorité des participants, qui sont fonctionnaires ou politiques, sont tout de même payés par les contribuables.

Une structure qui a ses limites

Le CDEM a été dans ses premières années, il faut le souligner, très pertinent. Il a effectivement réussi, avec les moyens du bord, à regrouper autour d’une table la plupart des grands acteurs socioéconomiques et politiques du territoire. Il a joué un rôle de catalyseur important pour identifier et documenter nombre de dossiers et d’enjeux qui sont aujourd’hui de tous les débats entourant la revitalisation de l’Est.

Maintenant, une fois que les objectifs et que le grand travail est connu et reconnu pour redynamiser la région, la balle est dans le camp politique. La pression doit s’exercer sur les pouvoirs publics et l’énergie doit être canalisée pour tenir la corde raide. Et c’est là que le CDEM, dans sa forme actuelle, a atteint ses limites. Dégager des consensus pour améliorer l’Est de Montréal, ça va, prendre position formellement pour mettre de la pression sur un gouvernement, ça devient délicat par exemple pour le PDG du CIUSSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, pour les dirigeants de PME Montréal, bien sûr pour des représentants politiques de divers partis et des trois paliers de gouvernement, pour la direction d’un cégep, pour tout organisme subventionné.

Depuis deux ans on annonce une déclaration commune des membres du CDEM pour une vision ou une position du Comité, on y arrive pas… même s’il s’agit d’une déclaration qui semble se vouloir somme toute assez générale. Lors de la dernière réunion, 20 minutes de débat à savoir si oui ou non le CDEM devrait envoyer une lettre à la ministre Rouleau concernant une position du Comité face au projet de REM ou de tramway ou autre système de transport structurant se sont terminées en queue de poisson. La discussion a surtout été menée par les deux élus de Québec Solidaire (Marissal et Leduc) et par Christine Fréchette de la Chambre de commerce de l’Est de Montréal (qui avait d’ailleurs déjà fait ses représentations au gouvernement à ce sujet), pour finalement aboutir à aucune décision. En tant qu’observateur, c’était évident de constater que ce genre d’action plutôt simple est presque impossible, et que nombre de participants préfèrent s’abstenir.

Lors de la rencontre du 10 mai dernier, une intervention fort à propos et qui démontre une fois de plus les limites du CDEM (de sa structure plutôt) est venue de Dieudonné Ella Oyono, chef d’équipe – mise en valeur des pôles économiques à la Ville de Montréal, qui assistait à titre d’observateur. Après environ 1h45 de discussion, en début de journée, il a pris la parole et affirmé que d’après lui, un des gros problèmes de l’Est est son image assez négative que perçoivent encore aujourd’hui plusieurs investisseurs. « Je me bute souvent à ce problème lorsque je discute avec des gens d’affaires qui ne connaissent pas la région. Quand on est sur le territoire, on voit que ça change, que ça évolue et qu’il se passe plein de belles choses dans l’Est, mais pour les gens de l’extérieur, ce n’est pas évident. Vous devriez travailler sur cet aspect », a-t-il déclaré. Personne n’est intervenu, ne serait-ce encore une fois Christine Fréchette qui a souligné les efforts de la CCEM en ce sens via leur initiative « Ça se passe dans l’Est », une plateforme qui présente des aspects positifs de la région pour les gens d’affaires (voir le lien sur notre site, dans la colonne de droite). En fait, le CDEM peut difficilement faire quelque chose à ce sujet, n’ayant aucun budget. Un autre aspect qui limite énormément le pouvoir d’action de l’organisation, et peut-être même aujourd’hui sa pérennité.

Pour un CDEM 2.0

Si pour le CDEM il est plus difficile aujourd’hui de se positionner sur l’échiquier des forces vives de l’Est de Montréal, c’est que son mandat d’origine est peut-être arrivé à échéance, du moins selon plusieurs membres qui se sont confiés à Est Média Montréal. Cela expliquerait une baisse d’intérêt depuis quelques temps surtout des membres politiques du Comité, dont le retrait spectaculaire de Chantal Rouleau ne fera probablement qu’accentuer la tendance.

Ceci étant dit, Est Média Montréal est d’avis que le CDEM est toujours une excellente initiative et que cette grande table de concertation doit continuer à faire le travail essentiel de regrouper toutes les forces de la région autour des grands enjeux et défis de l’Est, un outil qui a trop longtemps manqué sur notre territoire.

Toutefois, le CDEM, pour gagner en efficacité, devra se réinventer. Nous croyons, et proposons du même souffle, que le CDEM pourrait très bien se convertir en états généraux de l’Est de Montréal, un grand événement annuel qui regrouperait tous les membres et acteurs influents du territoire, les médias et aussi des invités de marque qui ont à cœur le développement de la région. Il pourrait s’agir de l’occasion idéale pour présenter des conférences pertinentes, des résultats d’études ou de projets, le suivi des dossiers chauds pour l’Est de Montréal, organiser quelques débats, etc. Cela pourrait même être le moment idéal pour identifier, à l’aide d’un vote, les priorités pour l’année à venir, et ces mêmes priorités pourraient très bien générer une déclaration commune annuelle pour conclure les états généraux. Peut-être aussi que cette formule pourrait être financée par les trois paliers de gouvernement.

Est-ce qu’il y aura d’autres idées qui jailliront bientôt pour un CDEM 2.0? C’est à espérer pour assurer la pertinence et l’intérêt de cette grande et toujours belle initiative pour l’Est de Montréal. Le débat, du moins, est maintenant lancé.