Le projet de pont à étagement enjambant la rue Notre-Dame pour aller s’arrimer directement au boulevard de l’Assomption.

Le projet de pont à étagement enjambant la rue Notre-Dame pour aller s’arrimer directement au boulevard de l’Assomption, va par exemple avoir un impact sur l’environnement sonore. (Photo: Courtoisie Administration portuaire de Montréal.)

AMÉNAGEMENT URBAIN : L’ENVIRONNEMENT SONORE À CONSIDÉRER

Pourrait-on conserver les lieux de quiétude sonore de la même façon que l’on protège les espaces verts ou les cours d’eau? Des chercheurs de l’Université McGill, qui ont sondé les environnements urbains de l’Assomption-Sud–Longue-Pointe (ASLP) et du centre-ville de Montréal, soulèvent la question.

De juin à novembre 2022, des membres de l’équipe de la Ville Sonore, un département de recherche de McGill spécialisé dans l’analyse et la compréhension des données portant sur le son, ont parcouru les rues du secteur ASLP dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, avec des résidents et des travailleurs locaux.

« Pour [ce projet], nous avons fait 23 balades accompagnées dans cinq sous-secteurs, dont l’aspect sonore était un volet. Ils se situaient entre les rues Viau et de Boucherville », explique Christopher Trudeau, chercheur et étudiant au doctorat à l’École des sciences de l’information à McGill.

Accompagnés de membres de l’équipe de l’Observatoire des milieux de vie de l’UQAM, les chercheurs de McGill ont effectué des entrevues avec les individus qui connaissent bien le quartier où se côtoient habitations et industries. De plus, plusieurs mesures sonores ont été relevées par la firme SNC-Lavalin à sept endroits dans le secteur. Or, selon les données colligées dans tous les lieux de collecte de son sauf un, on estimait un niveau de gêne de modéré (entre 50 et 55 décibels) à sérieux (plus de 55 décibels), d’après les standards de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« L’endroit considéré comme acceptable se trouvait à proximité d’un parc et du Boisé Vimont, ce qui expliquerait les plus faibles niveaux sonores. Les autres endroits étaient souvent proches des grands axes routiers et infrastructures ferroviaires. On voit donc que le secteur ASLP présente des problématiques quant au bruit. Mais on y trouve aussi des espaces sonores qui ont possiblement un caractère agréable et paisible », résume M. Trudeau dans un courriel.

Selon ce dernier, les résultats des balades accompagnées allaient dans le même sens que ceux des données acoustiques. Les plaintes visaient le trafic routier surtout, le camionnage en particulier. « Ces bruits de trafic routier contribuaient souvent à un sentiment d’insécurité, voire de danger, parmi les participants lorsqu’ils étaient sur les grandes artères. Pour s’en sortir, ils ont mentionné l’utilisation des ruelles et des petites rues pour se rendre à leurs destinations, et parfois même l’emprunt de sentiers informels dans le quartier, même si ces détours rendaient leurs trajets plus longs », poursuit le chercheur. En outre, les participants ont affirmé posséder un sentiment d’appartenance pour les lieux qui leur offrent du répit, dans les parcs et espaces verts, notamment au Boisé Vimont.

Des sons de « bonne qualité »

Bien entendu, l’exposition aux bruits élevés peut avoir des effets néfastes pour la santé. Au-dessus de 80 décibels, une exposition prolongée peut causer une perte d’ouïe temporaire et éventuellement permanente. Dans ASLP, les sons entendus atteignaient parfois ce niveau, mais seulement pour un bref moment. « Cela pouvait monter jusqu’à 90 décibels dans certains secteurs, mais seulement de façon momentanée, par exemple le bruit d’un camion qui passe sur un nid de poule », indique M. Trudeau.

Christopher Trudeau, étudiant au doctorat à l’École des sciences de l’information à McGill et chercheur de l’équipe Ville Sonore. (Photo: Courtoisie McGill.)

À certains endroits, il était fréquent d’entendre des sons entre 60 et 65 décibels de façon plus continue. Pour information, au-dessus de 50 décibels, les sons peuvent engendrer des problèmes de stress, des complications cardiovasculaires ou des effets sur le système métabolique lorsqu’ils sont prolongés.

Selon l’OMS, les enfants y sont particulièrement vulnérables, et subissent davantage de répercussions, incluant une baisse des « performances cognitives ; une altération du bien-être et de la motivation dans une mesure légèrement plus limitée ; et des effets sur la tension artérielle et la sécrétion d’hormones catécholamines (qui régulent entre autres la pression artérielle et le débit cardiaque) ».

M. Trudeau ajoute qu’une « conversation normale se fait aux alentours de 50 décibels, alors quand on dépasse ce niveau dans l’environnement, on peut commencer à avoir de la difficulté à converser ». Mais les décibels ne révèlent pas tout sur les sons dont nous faisons l’expérience en milieu urbain. Par exemple, le REM de l’ouest, récemment inauguré par CDPQ Infra, a fait les manchettes cet été à cause du bruit lors du passage des trains. Un article de La Presse révélait que le bruit généré par le REM dépasse régulièrement les 70 décibels.

Or, il n’y a pas que le niveau du bruit qui puisse être désagréable aux résidents à proximité, selon le chercheur de McGill. « Les mesures cachent beaucoup d’information. CDPQ a sans doute évalué que la plupart du temps, elle était dans les paramètres établis. Mais la seule mesure des décibels est insuffisante pour révéler la vraie qualité du son ». En effet, un train ordinaire peut faire du bruit de façon importante sur une courte durée de temps dans la journée et ne pas être dérangeant pour le voisinage. Mais quand les passages sont fréquents, même si les trains légers génèrent des décibels moins élevés, ceux-ci accaparent l’espace sonore des résidents et deviennent désagréables.

L’enjeu du son

Pour mieux illustrer l’enjeu, M. Trudeau donne un autre exemple. « Dans le Plateau – Mont-Royal, il y a un petit espace vert boisé en forme de triangle à l’angle des avenues du Parc et des Pins Ouest. Outre le fait qu’il se trouve en plein milieu du trafic automobile, l’espace est plutôt beau. Cependant, personne ne s’y installe pour se reposer. Or, à quelques mètres de là, près du monument à George-Étienne Cartier, il y a des terrains de volleyball qui sont toujours très fréquentés durant l’été et les gens viennent souvent aux alentours pour s’y reposer. Selon les mesures sonores, les décibels sont à peu près identiques dans les deux lieux. Qu’est-ce qui fait alors qu’un de ces endroits est attirant et l’autre non ? Est-ce que la qualité sonore a un rôle à jouer dans cela ? ».

Plus simplement encore, la musique d’un festival ou le rugissement d’un cours d’eau peuvent atteindre de hauts niveaux de décibels, mais être agréables pour ceux qui les écoutent. La qualité d’un son est donc une donnée qui devrait être prise en compte lors de la gestion des espaces urbains, croit M. Trudeau. « Les espaces de haute qualité sonore permettent de vivre des moments de quiétude et de minimiser le stress causé par le bruit. » 

Ce dernier encourage ainsi les décideurs publics à inclure les résidents des quartiers voués à être revitalisés, notamment dans l’est de Montréal. « Il faut que les citoyens soient présents à la table de discussion pour faire part de leur quotidien. Il est important de considérer l’utilisation des espaces offrant une bonne qualité sonore, même lorsqu’il ne s’agit pas de lieux officiels, comme les terrains en friche. Il faut comprendre que leur transformation pourrait causer la destruction de modes de vie pour plusieurs citoyens », conclut-il.