Charles Raymond, sur son terrain rue Notre-Dame, dans le secteur Assomption sud (photo : EMM).

AFFAIRE RAY-MONT LOGISTIQUES : CHARLES RAYMOND BRISE LE SILENCE

Après une éprouvante bataille judiciaire avec la Ville de Montréal qui aura duré près de cinq ans, et mis en péril son entreprise, l’homme d’affaires Charles Raymond, propriétaire de Ray-Mont Logistiques, est sorti de l’ombre cette semaine en donnant sa version des faits à EST MÉDIA Montréal, une longue entrevue de deux heures qui vient jeter une lumière parfois bien différente de l’histoire véhiculée notamment par les médias depuis 2017.

Rappelons que l’entreprise, spécialisée dans le transfert de marchandises de wagons de train à des conteneurs destinés à l’exportation par bateaux (dans 150 pays), s’était portée acquéreur de l’immense terrain de l’ancienne Canadian Steel Foundries située en plein cœur du secteur industriel Assomption sud, une superficie de quelque 2,5 millions de pi2, soit cinq fois la grandeur de son actuel terrain sur Wellington, dans le quartier Pointe-Saint-Charles. Ce terrain fortement contaminé et acheté tout de même au coût de 20 M $ (aujourd’hui décontaminé en grande partie aux frais de Ray-Mont Logistiques), permettait de plein droit à l’entreprise d’opérer ses activités selon la réglementation municipale en vigueur. « C’est le terrain parfait, et le seul disponible, qui nous permet d’accueillir des trains uniques, c’est-à-dire composés d’une centaine de wagons de marchandises, principalement des produits agricoles, et qui ferait de ce site l’un des plus importants sinon le plus important en Amérique du Nord dans ce domaine d’activité. Par exemple, la capacité d’accueil sur notre site actuel est de 30 wagons à la fois », explique Charles Raymond, ingénieur électrique qui a repris il y a une quinzaine d’années la totalité des actions de l’entreprise familiale fondée par son père en 1982.

L’enthousiasme du promoteur sera toutefois de courte durée, puisqu’un petit groupe de résidents installés surtout à l’ouest du terrain réussira à faire entendre fortement sa dissidence face au projet. Appuyés notamment par la conseillère municipale du secteur et membre de Projet Montréal, Laurence Lavigne Lalonde, les militants et opposants au projet réussiront à récolter 6 600 signatures dans une action d’opposition au développement du site par Ray-Mont Logistiques (Mobilisation 6 600), ce qui mettra assez de pression sur le maire de l’époque, Réal Ménard (Équipe Denis Coderre pour Montréal), qui changera finalement la réglementation de l’arrondissement dans ce secteur (projet de Cité de la logistique) et qui viendra réduire considérablement la capacité d’opération de l’entreprise. C’est alors, en 2017, que débute la saga judiciaire avec la contestation en Cour supérieure du nouveau règlement par Ray-Mont Logistiques.

Une intéressante sculpture est apparue inopinément ces derniers jours sur le terrain de Ray-Mont Logistiques, et qui semble tenir la garde… au nom de qui? « Moi je l’aime cette oeuvre, même si je comprends sa symbolique. Nous allons la mettre en valeur quelque part sur le terrain c’est sûr », dit Charles Raymond. (Photo : EMM).

La Ville de Montréal subira un premier échec mais ira en appel, procédure qu’elle perdra à nouveau le 14 janvier 2021. La Ville de Montréal, selon nos informations, aurait décidé de ne pas contester le jugement cette fois, et a finalement délivré le certificat d’occupation à Ray-Mont Logistiques, et le fameux permis de construire le 2 avril dernier. « Mais on peut seulement construire la base du projet, celui présenté en Cour et qui nous permet d’opérer, sans aucune mesure d’atténuation des nuisances. L’objectif pour nous était de protéger avant tout nos droits, mais on est loin de notre véritable projet qui était un aménagement exemplaire en termes d’intégration urbaine et d’atténuation des nuisances. C’est ironique, mais avec les nouveaux règlements mis en place par Réal Ménard et ensuite par le maire Pierre Lessard-Blais (Projet Montréal), je ne peux même pas mettre un talus d’arbres sans devoir demander un nouveau permis. Comme on sait ce qui nous attend, c’est hors de question de rouvrir la boite de Pandore. J’essaie de discuter avec Pierre Lessard-Blais pour trouver maintenant une solution, négocier pour mettre en place un projet intéressant pour tout le monde, car nous débuterons la construction dans quelques semaines, mais il refuse de me parler. Vraiment, c’est ridicule », affirme Charles Raymond.

Vue des installations permises à Ray-Mont Logistiques en date d’aujourd’hui.

Un projet méconnu du public

EST MÉDIA Montréal a mis la main sur le projet initial de Ray-Mont Logistiques présenté aux deux administrations qui ont chevauché le projet (Ménard et Lessard-Blais), document qui n’avait toutefois pas été déposé lors des audiences de l’OCPM portant sur la vision d’Écoparc industriel de la Grande Prairie mise en jeu par l’administration municipale en 2019 (l’entreprise avait plutôt déposé un mémoire qui faisait mention de certains éléments du plan). Ce qui étonne dans cette présentation co-produite par la firme d’architectes et de design Lemay, c’est la place prépondérante des mesures d’atténuation des nuisances dans le projet, mais que peu de gens ont pu voir ou analyser. « Lorsque j’ai présenté le projet à Réal Ménard, lui il trouvait surtout que 100 wagons c’était beaucoup trop, il avait comme peur de cela au point que j’avais le sentiment que tout le reste du projet ne l’intéressait pas. Quant à l’équipe de Pierre Lessard-Blais et des quelques résidents qui s’opposaient activement au projet à l’époque, j’avais beau présenter toutes les mesures que je voulais mettre en place, qui auraient fait de ce projet un exemple d’intégration au niveau mondial, je me faisais dire constamment que de toute façon, je ne le ferais pas mon projet, point à la ligne. Moi, quand j’ai vu comment un aussi petit groupe de citoyens peut contrôler une administration municipale à ce point à Montréal, sans arguments solides et avec une vision complètement fermée face à la réalité, ça m’a complètement désillusionné de la politique qui se passe à Montréal et c’est la démocratie qui se fait bafouer en bout de ligne », clame le jeune homme d’affaires.

En comparaison avec des ententes saluées par l’administration Lessard-Blais entre l’arrondissement et quelques entreprises dans le secteur Assomption sud (notamment Décathlon et UAP Napa), qui ont accepté certains aménagements proposés par la Ville sur leur terrain respectif lors de récents travaux, aménagements visant une meilleure qualité de vie pour les citoyens des alentours, les propositions mises sur la table par Ray-Mont Logistiques dans cette optique sont, de très loin, beaucoup plus importantes. Par exemple, dans le projet initial et connu des autorités, on proposait la construction d’un belvédère avec vue sur le fleuve, une immense plateforme pour cacher l’activité de transbordement des marchandises, un imposant lien vert reliant la piste cyclable de Notre-Dame et la rue Ontario, un centre d’escalade, des espaces pour l’art urbain, un terrain pour de l’événementiel, un jardin communautaire, un parc, et même un parc à chien, entre autres. Est-ce que ces aménagements d’envergure étaient pour être défrayés par la Ville? « Ce seraient des aménagements auxquels Ray-Mont Logistiques peut contribuer, certainement, mais leurs opérations étaient laissées à la Ville ou à des partenaires. Mais on prévoyait beaucoup d’accommodations au niveau du terrain et des pieds carrés en fonction d’une intégration harmonieuse du site et pour atténuer le plus possible les nuisances. Je rêve de faire de ce projet le plus hot au monde, et je leur dis depuis le début, sans écoute. Je suis conscient que les activités de Ray-Mont Logistiques causent des nuisances, mais il est possible de rendre tout cela très vivable pour tout le monde. Il faut juste que nous travaillions ensemble. Et je pense qu’il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un terrain en zone industrielle, fortement contaminé, et que ce n’est certainement pas l’endroit pour faire un grand parc de toute façon. Il faut être réaliste », avance Charles Raymond.

Au niveau de l’augmentation possible du camionnage dans le secteur, une des grandes préoccupations des opposants au projet, le promoteur se veut aussi rassurant à ce sujet. Selon lui, malgré qu’il y aura nécessairement plus de conteneurs qui seront expédiés vers le port par camion, le réaménagement annoncé de Souligny et la construction d’un nouveau viaduc par le Port de Montréal, deux infrastructures qui seront à proximité de Ray-Mont Logistiques, réduira tellement la distance de camionnage par rapport au site sur Wellington que les GES devraient être réduits de plus de 80 %, selon une étude du CIRED.

Des appuis… mais pas publics

Autre aspect intéressant dans ce dossier majeur pour le développement de l’est de Montréal, c’est l’absence totale de prise de position publique depuis le début des procédures judiciaires, mais aussi depuis le 2e jugement qui donne raison à Ray-Mont Logistiques de la part des grands acteurs socio-politiques du territoire, mis à part bien sûr les élus de Projet Montréal. Selon Charles Raymond, tous les grands décideurs sur le territoire, de même que certains ministres provinciaux et fédéraux, ont été mis au courant du dossier depuis ses débuts, plusieurs rencontrés personnellement dit-il. « C’était toujours la même réponse. Je cherchais des appuis, et on me disait Charles, on voit bien que ce dossier n’a pas de sens et que tu fais bien de te battre, on trouve ton projet vraiment intéressant, mais on ne sait pas quoi te dire. On est désolé. J’espère maintenant que ceux qui font de la politique sur le développement de l’est et qui disent que c’est maintenant au tour de l’est vont se lever et vont au moins prendre le temps de discuter objectivement des aménagements possibles du site. Nous on est prêts à faire quelque chose d’unique au monde dans l’est, alors on fait quoi maintenant? »

Escalade, plan d’eau et terrasse publique étaient des possibilités proposées dans le plan initial.

La cicatrice risque d’être réelle

Ainsi, la réalité en date d’aujourd’hui est que Ray-Mont Logistiques peut construire une cour d’asphalte, installer ses rails, et faire ses activités de transbordement et d’entreposage temporaire des conteneurs à ciel ouvert, en toute légalité. Finalement, le pire des scénarios pour les opposants au projet, mais aussi pour tout le voisinage, industriel et résidentiel. « Comme je le disais, on peut construire strictement selon le plan de base présenté en Cour. Pour toute autre initiative, il faut demander un permis à la Ville », rappelle Charles Raymond. Proposera-t-il de nouveaux scénarios? « Non car c’est hors de question que je revive des histoires du genre avec la Ville. Par contre, j’en appelle au maire de l’arrondissement. Pour le bien de tous les gens autour du site, c’est toujours possible de bien faire les choses et de s’entendre sur des aménagements, mais ce n’est pas vrai que cette fois c’est encore moi qui vais porter le chapeau du méchant citoyen corporatif. S’il n’y a pas de mesures d’atténuation, ce ne sera pas ma faute, je veux que les gens le sachent. »

Un belvédère vers le fleuve, un des principaux attraits dans les mesures d’atténuation que proposait le promoteur.

Lorsqu’on lui fait remarquer que, tout de même, Ray-Mont Logistiques poursuit maintenant la Ville en dommages pour un faramineux montant dépassant les 370 M $, et qu’il peut être normal que l’administration municipale réagisse négativement à cette poursuite, Charles Raymond ne voit pas la situation du même œil. « Ça, ce n’est pas mon problème. Le montant n’est pas évalué au hasard, on peut aisément justifier ces pertes depuis cinq ans dans ce dossier. Et d’ailleurs la Ville savait très bien qu’elle risquait ce genre de poursuite si je gagnais, il n’y a rien d’étonnant dans ce cas-ci. Cependant, il faut séparer les affaires ici, pas parce qu’on poursuit l’administration municipale que les représentants de la Ville ne peuvent pas me parler. Des règlements hors-cour, ça existe et on peut encore se parler. C’est une fausse excuse de Lessard-Blais de ne pas me parler parce qu’il y a une cause devant les tribunaux. Come on, soyons sérieux. »

Vue des aménagements proposés dans le plan initial longeant le côté ouest du terrain.

Le REM dans tout cela?

Après le dur combat juridique, un autre élément d’incertitude est venu bouleverser les plans de Ray-Mont Logistiques ces dernières semaines. L’annonce par la CDPQ-Infra d’une réserve foncière d’environ un million de pi2 (!) de terrain sur le lot de l’entreprise, soit plus du tiers de sa superficie. Une autre tuile qui aurait pu fragiliser grandement l’avenir du projet sur Notre-Dame, mais qui ne semble pas préoccuper outre mesure le propriétaire, finalement. « C’est sûr que ça ne fait pas notre affaire, mais après tout ce qu’on a vécu, je prends cela avec une certaine résilience. Nous aurons dans le pire des cas toujours trois fois plus d’espace que sur Wellington, même si on ne parlera plus dans ce cas d’une possibilité d’accueil de trains de 100 wagons. Mais en ce moment, on ne connaît pas exactement les intentions de la CDPQ-Infra, donc il faut attendre. Par contre, j’avoue que cela nous amène en ce moment à revoir les plans pour la construction des infrastructures qui débutera dans quelques semaines », avance Charles Raymond.

Une entreprise de plus en plus imposante

Ray-Mont Logistiques connaît un essor fulgurant depuis une quinzaine d’années. Du seul terminal dans Pointe-Saint-Charles, l’entreprise s’est implantée avec succès à Vancouver en 2008, et à Prince Rupert par la suite, deux terminaux de plus grande envergure que sur Wellington. Tout récemment, l’entreprise a inauguré un premier terminal aux États-Unis dans la région de Seattle. Des bureaux administratifs ont aussi pignon sur rue à Montréal (rue Richardson) et à Spokane, USA. « Notre croissance aux États-Unis est très rapide en ce moment. Nous allons ouvrir dans deux mois un terminal à Charleston et dans neuf mois on devrait être en mesure d’inaugurer un site à Mobile, en Alabama. Et nous avons trois autres projets de terminaux aux États-Unis d’ici deux ans, ce qui devrait nous amener à un effectif total dépassant le millier d’employés en Amérique du Nord », affirme Charles Raymond. Deux autres terminaux seraient également dans les plans au Canada dans un avenir rapproché, nous dit-on.

Si la croissance de Ray-Mont Logistiques est bouillonnante en ce moment, et que les affaires ont donc plutôt l’air de bien aller, le projet sur Notre-Dame aurait tout de même donné des sueurs froides à Charles Raymond quant à l’avenir de l’entreprise, dit-il. « Quand un projet de l’ampleur du terminal Notre-Dame est gelé parce que l’administration municipale décide unilatéralement de changer la donne, et que tes investisseurs s’inquiètent et que tu ne sais pas trop quoi leur répondre, vous vous imaginez bien que cela a des répercussions sur tous les projets de développement de l’entreprise. On te dit : règle ta situation à Montréal et après on verra. Mettons que ça a ralenti beaucoup de choses, aussi nous comptions sur d’importants revenus d’exploitation ces quatre dernières années au terminal Notre-Dame. J’avoue qu’à un certain moment, l’entreprise ne voyait pas la vie en rose à cause de cette saga dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. L’avenir de l’entreprise était certainement en jeu. »

Présentation publique le 27 avril

Avis aux intéressés, Charles Raymond prendra part le 27 avril prochain à 19h à une rencontre publique en visioconférence organisée par la table Concertation Assomption Sud–Longue-Pointe, une nouvelle instance ayant pour mission d’orienter le développement de ce secteur en donnant une voix aux citoyens et aux parties prenantes du territoire. Une initiative financée par l’arrondissement de Mercier−Hochelaga-Maisonneuve et annoncée le 6 novembre dernier (avant le jugement en Cour d’appel du Québec). Cette rencontre devrait porter strictement sur le cas de Ray-Mont Logistiques, et donnera l’occasion à son propriétaire de s’exprimer sur la situation actuelle et de répondre aux questions des participants. « J’aurai aussi l’occasion d’exposer enfin le projet initial devant, je l’espère, un large auditoire. J’aimerais bien également que les élus sur le territoire y participent, et les médias montréalais. Je pense que c’est le temps de parler du vrai projet et d’en débattre ouvertement. Il est encore temps de faire des belles choses sur le site, mais là ça va prendre un vrai dialogue et il faut qu’on accélère le processus », conclut Charles Raymond.

Pour en savoir plus sur Concertation Assomption Sud–Longue-Pointe :  https://www.realisonsmtl.ca/concertationaslp

Mémoire de Ray-Mont Logistiques déposé à l’OCPM en 2019 : https://ocpm.qc.ca/sites/ocpm.qc.ca/files/pdf/P%2093/8.44_ray-mont_logistiques.pdf