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MÉDECINS DE FAMILLE ET POPULATION VIEILLISSANTE : LES DEUX GRANDS DÉFIS DE L’EST

Pour souligner le lancement du site EST MÉDIA MONTRÉAL, une douzaine de dirigeants d’organismes et d’élus influents de l’Est de la métropole ont accepté de participer à une importante série d’entrevues exclusives et de partager avec vous leur vision des enjeux et des défis à relever sur le territoire au cours des prochaines années. Cette semaine, le résumé de notre rencontre avec Yvan Gendron, président-directeur général du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.

(NDLR – 12 novembre 2018 : Yvan Gendron occupe à partir d’aujourd’hui le poste de sous-ministre de la Santé et des Services sociaux. La nomination du nouveau pdg du CIUSSS n’a pas encore été annoncée).

Comment se porte le système de santé dans l’Est de Montréal? Pour Yvan Gendron, qui dirige le CIUSSS de la région depuis 2015, il s’améliore sans aucun doute, mais il reste aussi beaucoup à faire. « Depuis que les installations et les ressources de santé de l’Est sont regroupées en une seule organisation (CIUSSS, en 2015), c’est définitivement plus facile de rejoindre la clientèle, de communiquer avec elle et de définir les besoins », affirme-t-il.

Rappelons que le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a englobé les trois anciens CSSS de l’Est de Montréal et couvre aujourd’hui un large territoire composé d’Anjou, Mercier, Montréal-Est, Pointe-aux-Trembles, Rivière-des-Prairies, Saint-Léonard, Saint-Michel, Hochelaga-Maisonneuve et Rosemont. Il compte dans ses rangs notamment les hôpitaux Maisonneuve-Rosemont, Santa Cabrini, l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (anciennement Louis-H. Lafontaine), 15 CHSLD, 38 cliniques médicales, 33 cliniques spécialisées, 8 CLSC, et compte plus de 15 000 employés dont un millier de médecins. Avec un budget annuel dépassant les 1.2 milliard de dollars, le CIUSSS est l’un des trois plus importants du réseau dans presque tous les champs d’analyses du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Selon son pdg, la mise sur pied du CIUSSS aurait permis de faire rapidement des gains importants pour l’Est de Montréal en matière de qualité de service. « On peut dire que, entre autres, grâce à des investissements de plus en plus importants en soins à domicile, il y a beaucoup plus de patients qui sont suivis chez eux aujourd’hui.  Et plus de personnes qu’avant se dirigent vers les cliniques au lieu des urgences des hôpitaux, on parle de presque 20 % de plus, c’est une belle amélioration », soutient M. Gendron. Ce dernier ajoute que le suivi et les services de dépistage mis en place de manière systématique dans les résidences pour personnes âgées sur le territoire est un autre gain significatif pour la population du secteur. « Quand je suis arrivé il y a trois ans à la direction du CIUSSS, il y avait environ 5 500 personnes en résidences sur le territoire, aujourd’hui c’est 8 500 personnes. En étant plus près de cette clientèle, en dépistant plus rapidement les problèmes de santé et en aidant ces gens souvent dans leur propre environnement, nous avons certainement contribué à désengorger le système de santé. Sans compter que leur qualité de vie est mieux préservée », de dire M. Gendron.

Des infrastructures à renouveler

Il n’y a pas que la population qui vieillit dans l’Est de Montréal, les infrastructures de santé aussi. Tout comme le réseau scolaire, plusieurs bâtiments gérés par le CIUSSS, compte tenu de leur âge et, disons-le, d’un manque d’entretien au cours des récentes décennies, sont dans un état de vétusté avancé, et le problème est ici plus criant qu’ailleurs. Le plus connu, l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, le plus important de l’Est de Montréal, est en décrépitude et il a même fallu il y a quelques mois entourer son enveloppe d’un grillage afin que la brique ne se détache. Bref, sa rénovation, envisagée depuis une vingtaine d’année, ne tient plus la route et c’est d’un tout nouvel hôpital que l’on parle maintenant et que l’on devrait ériger d’ici une dizaine d’années. Un projet évalué à près de 2 milliards de dollars. « Ce n’est plus un projet, mais un fait. Les budgets sont réservés et nous irons de l’avant avec un nouvel hôpital, mais toujours sur le même emplacement. Trois scénarios sont à l’étude en ce moment et le cruciforme sera démoli et remplacé », affirme M. Gendron. Selon lui, le récent changement de gouvernement ne changera pas la donne. « Les besoins sont trop importants, la mobilisation trop forte dans l’Est de Montréal pour que l’on investisse pas dans le réseau de la santé, tant en termes de ressources matérielles que de ressources humaines. Nous sommes d’ailleurs déjà en planification clinique pour déterminer lequel des trois scénarios sera adopté », explique le pdg.

Si Yvan Gendron reconnait que plusieurs infrastructures d’importance devront être rénovées d’ici quelques années, notamment des CHSLD, et que des sommes considérables devront y être consacrées, il rappelle que la région a tout de même bénéficié récemment de grands ajouts dans son réseau. « Pensons à la toute nouvelle urgence de Maisonneuve-Rosemont, du nouveau centre de dialyse du même hôpital, un projet de 53 millions de dollars, ou bien de la toute première Maison des naissances qui sera ouverte bientôt dans Mercier-Est. Nous avons aussi annoncé en mai dernier le projet d’agrandissement et de réaménagement du bloc opératoire et de l’unité de retraitement des dispositifs médicaux (URDM) de l’Hôpital Santa Cabrini, un autre 43 millions de dollars d’investissement. C’est vrai que l’Est a des besoins d’infrastructures, mais nous avons aussi eu notre part d’investissements ces dernières années, il faut le dire », soutient M. Gendron.

Soulignons également que depuis la création du CIUSSS, le territoire est passé de 11 à 16 GMF (Groupe de médecine de famille) et 8 super-cliniques ont été créées ou officialisées. Toutefois, seulement 63 % des résidents de l’Est de Montréal peuvent aujourd’hui compter sur un médecin de famille, soit un pourcentage nettement en bas de la moyenne dans le Grand Montréal.

Médecins de famille : la maladie chronique de l’Est

Ce n’est pas d’hier que des secteurs comme Hochelaga-Maisonneuve, Saint-Michel et Montréal-Nord sont aux prises avec un manque criant de médecins de famille. « C’est chronique, c’est historique dans l’Est, et c’est définitivement le plus grand défi à relever. C’est très difficile d’attirer des médecins de famille dans la région. Il en manque au moins 80 en ce moment sur le territoire du CIUSSS, et je dirais une quarantaine juste pour Hochelaga et Montréal-Nord* », clame M. Gendron. Dans Hochelaga-Maisonneuve, on parle d’un effectif d’environ 9.5 médecins de famille pour 54 000 habitants, un seuil que l’on qualifie de « désert médical » dans le milieu de la santé.

Pourquoi est-ce si difficile d’attirer des médecins dans certains quartiers? C’est principalement en raison des choix qui s’offrent aux finissants. Grosso modo, si une zone géographique peut leur être imposée, les médecins ont toujours le choix des établissements. Dans Hochelaga-Maisonneuve par exemple, les médecins finissants sont plus souvent qu’autrement attirés par l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui a des besoins évidemment pour des nouveaux médecins, que par des petites cliniques de quartier peu équipées et dont la clientèle est malheureusement souvent défavorisée. « On a beau essayé d’inciter les médecins à se regrouper et à créer de nouvelles cliniques, mais on ne peut pas les obliger, du moins pas selon les règlements actuellement en vigueur. Nous devons donc continuer à sensibiliser les médecins face au manque de services dans certains quartiers, et ça fonctionne un peu, mais c’est certain que ce n’est pas l’idéal. On continue de travailler avec le ministère pour trouver une solution à ce problème chronique, c’est assez complexe », mentionne M. Gendron. Soulignons que le ministère tente depuis deux ans de recruter de nouveaux médecins de famille en Europe notamment, mais avec plus ou moins de succès. Quelques-uns seulement seraient venus s’installer dans l’Est, dont à Montréal-Nord.

Les dossiers prioritaires

Nonobstant le plus grand souhait de M. Gendron qui est d’attirer plus de médecins de famille dans les cliniques sur le territoire, le CIUSSS doit aussi faire face, tout comme dans l’ensemble du réseau de la santé, à une pénurie de main-d’œuvre qui ne cesse de perdurer. « La priorité du CIUSSS actuellement est définitivement du côté des ressources humaines. L’enjeux de recrutement ne touche pas seulement les médecins mais bien tout le personnel médical, surtout les ressources attitrées aux soins à domicile. Vous savez, le CIUSSS de l’Est avec ses 15 000 employés, c’est un gros défi de ressources humaines et la compétition est très forte », affirme M. Gendron.

La prévention et le dépistage auprès des clientèles à risque fait aussi partie des priorités du CIUSSS. Ainsi l’accompagnement médical dans les centres pour personnes âgées devrait continuer de prendre de l’ampleur, de même que la prévention auprès des jeunes et des personnes souffrant de troubles mentaux. « Nous voulons améliorer notre taux d’intervention sur le terrain auprès de certaines clientèles plus vulnérables, être plus proactifs afin d’intervenir plus vite et finalement prévenir plus que guérir. Nous mettons beaucoup d’emphase là-dessus depuis deux ans et j’y crois profondément », affirme M. Gendron.

La santé de la population de l’Est de Montréal, secteur aux origines industrielles et prolétaire, est un sujet préoccupant depuis fort longtemps. « On dit que dans l’Est de la ville on vit de 7 à 8 ans moins vieux qu’ailleurs dans le Grand Montréal, et c’est malheureusement vrai. Il y a donc encore beaucoup de changements à faire dans la région, mais ça touche beaucoup plus large que le réseau de la santé. Il faut agir en éducation, en environnement, sur l’économie et améliorer la qualité de vie des gens. La santé de l’Est, c’est reliée à tout ça », conclut Yvan Gendron.

* NDLR : l’entrevue avec M. Gendron a eu lieu au printemps dernier. Cinq médecins de famille ont depuis annoncé qu’ils pratiqueraient au CLSC Hochelaga-Maisonneuve à partir de 2019.