VILLERAY TERRE D’ACCUEIL… ET DE BASEBALL
Le quartier Villeray connaît ses premiers développements avec la mise en chantier d’un chemin en 1699, la Côte Saint-Michel (l’actuelle rue Jarry). Des premiers colons s’y installent alors au début du 18e siècle. Les lieux s’avèrent un monde rural jusqu’à l’arrivée d’un événement majeur qui va permettre à la population d’aller vivre loin des quartiers ouvriers longeant le fleuve Saint-Laurent, devenus insalubres : le tramway. Il atteint Villeray en 1893.
Le tramway va donc permettre le développement des quartiers situés au nord. À ce moment, le Québec est toujours dans sa période d’exode rural vers les villes. Plusieurs de ces « immigrants de l’intérieur » choisissent de s’installer dans ces banlieues comme Villeray.
Villeray devient une municipalité en 1896 et sera annexée à Montréal en 1905. Comme ceux de Saint-Michel, ses habitants trouvent du travail dans les carrières, dont celle de la « Villeray Quarry » qui était située sur le site de l’actuel Parc Jarry. Ces emplois dans les carrières permettent de constituer une population puis apparaissent de nouvelles constructions résidentielles, essentiellement des édifices à logements. S’ajoutent des infrastructures de services telles que le bain public Saint-Denis en 1910, la caserne de pompiers 42 en 1912, des écoles, des églises pour desservir de nouvelles paroisses…
Babyboom
Le « Babyboom » va attirer de nouveaux résidents qui logeront dans des constructions « modernes » comme les blocs appartements, les maisons de vétérans et les différents plex. La grande crise des années 1930 et la Deuxième Guerre, avec le rationnement des matériaux de construction, freinent la construction domiciliaire. Le « Babyboom » mènera finalement à une crise du logement, alors que la construction résidentielle mènera à la densification rapide des quartiers du nord.
L’arrivée du métro en 1966 va accentuer cette tendance et permettre l’étalement urbain vers les quartiers du nord comme Villeray où la population demeure majoritairement ouvrière et locataire.
Villeray est devenu un quartier bien urbain et populeux comptant aujourd’hui plus de 12 000 habitants par km2, alors que la moyenne montréalaise est d’un peu plus de 3 700 habitants par km2.
Immigration
L’urbanisation et la densification du quartier qui suivent la fin de la Deuxième Guerre mondiale sont accompagnées par l’arrivée d’immigrants internationaux. Les Italiens vont s’installer dans le secteur dès la création de la paroisse Notre-Dame-de-la-Défense en 1911, mais leur présence s’intensifie après la Deuxième Guerre où rayonnera la Petite-Italie. Les Italiens choisissent ce secteur notamment pour les espaces leur permettant de faire pousser leurs propres légumes. Ils seront suivis ensuite par les Vietnamiens, les Portugais, les Haïtiens, les Maghrébins, les Sud-Américains et les Français. Plus du quart de la population de Villeray est aujourd’hui issue de minorités visibles.
Plusieurs des nouveaux arrivants ouvriront des petits commerces de proximité dans les secteurs de l’alimentation et de la restauration, ce qui donne une certaine couleur à Villeray.
Jackie Robinson : un Américain à Villeray
Villeray a été la terre d’accueil d’un grand athlète qui marquera l’histoire des États-Unis. Le baseballeur Jackie Robinson brisera la barrière de la ségrégation qui empêchait les afro-américains de jouer dans des ligues majeures où les joueurs étaient exclusivement blancs. Le début de cette page d’histoire se déroule en partie dans Villeray! Plus précisément au 8232 avenue de Gaspé.
Jackie Robinson est né en 1919 dans l’état du sud de la Géorgie. La famille déménage à Pasadena en Californie. Il fréquente l’université de Californie à Los Angeles (UCLA). C’est à cette université qu’il rencontre sa future épouse Rachel Annetta Isum. Il s’y illustre dans plusieurs disciplines sportives comme l’athlétisme, le football, le basketball et le baseball. Un de ses frères, Matthew, se distingue aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936 en remportant une médaille d’argent au 200 mètres derrière la vedette afro-américaine Jesse Owen en plein cœur de la capitale de l’Allemagne nazie. Tandis que Jackie portera l’uniforme de l’armée américaine lors de la Deuxième Guerre mondiale.
Après son service militaire, il joue pour les Monarchs de Kansas City de la ligue de baseball pour afro-américains. Les ligues professionnelles pour joueurs noirs existent depuis la fin du 19e siècle. Plusieurs se doutent du talent qui existe dans les ligues noires. Mais qui osera briser la ségrégation raciale ayant de longues racines aux États-Unis? L’après-guerre voit apparaître une remise en question de cet état de fait.
Le président et le directeur général des Dodgers de Brooklyn, Branch Rickey, considère mettre sous contrat un athlète noir. Rickey annonce le 28 août 1945 qu’il misera sur Jackie Robinson. Le monde du baseball est sous le choc. La décision de Rickey était également basée sur l’expérience de Robinson au sein de l’armée américaine où il a vécu et « subi » la mixité raciale. D’ailleurs, il y avait été jugé devant une cour martiale pour insubordination lorsqu’il refusa de s’asseoir à l’arrière d’un autobus. On ne lui reprocha pas son refus de s’asseoir à l’arrière, mais le ton de son refus! Branch Rickey était un fervent méthodiste qui croyait fermement que la discrimination envers les noirs était injustifiable. Cependant Rickey souhaite recruter un athlète ayant les tripes pour ne pas réagir devant l’inacceptable et les provocations. Il devait trouver un bon athlète, mais aussi quelqu’un possédant une force de caractère sans pareil. Rickey sait aussi que son équipe pourra profiter du talent de ces athlètes noirs. En plus de Robinson, il met sous contrat également le lanceur John Wright.
En 1946, le monde sort d’une guerre mondiale qui a eu comme trame de fond la haine, l’antisémitisme et le racisme. Cependant, aux États-Unis les noirs doivent toujours s’asseoir à l’arrière des autobus. Ils ne peuvent pas utiliser les mêmes toilettes que les blancs. Ils ne peuvent pas fréquenter les mêmes hôtels… Les Dodgers de Brooklyn (maintenant à Los Angeles) engagent Jackie Robinson. Il va jouer une saison dans leur club-école, les Royaux de Montréal. Le camp d’entraînement se déroula à Daytona Beach en Floride, un état du sud des États-Unis reconnu pour ses pratiques racistes. Lui et son épouse Rachel devront fréquenter des hôtels miteux. Puis, ils arrivèrent à Montréal, une ville francophone. Ils se sont rappelés publiquement, plus tard, de la gentillesse de l’accueil fait par leurs voisins. La propriétaire de l’appartement de l’avenue Gaspé à l’époque les a reçus pour le thé!
Deux des dirigeants des Royaux, Hector Racine et Roméo Gauvreau, qui étaient aussi actionnaires du fameux parc d’amusement Parc Belmont, jouèrent un rôle important dans l’accueil de Robinson à Montréal. Ils croyaient que si « un homme noir pouvait se prendre des balles pendant la guerre, il pouvait bien jouer à la balle avec nous ».
Le voisinage se prendra d’affection pour eux. Madame Robinson laissait des fruits à l’extérieur sur la galerie pour que les enfants des alentours se servent. Montréal, Villeray et l’avenue de Gaspé s’éprennent de Robinson et des Royaux. Cette année-là, les Royaux remportent le championnat, la « Petite Série Mondiale » grâce aux exploits de Robinson. Ce dernier dut se sauver d’une foule qui voulait l’étreindre de joie et d’amour. Robinson sera alors porté sur les épaules des partisans montréalais pour un tour d’honneur aux abords du stade De Lorimier!
Jackie Robinson ne passe qu’une seule saison à Montréal. L’année suivante en 1947, il est promu au sein des Dodgers de Brooklyn. Cette saison passée à Montréal a été un test pour Robinson et une expérience pour lui de briser la barrière de la ségrégation. L’athlète avait pour consigne d’accepter les insultes des spectateurs, des adversaires et…de ses coéquipiers! Même l’entraîneur des Royaux de Montréal, Clay Hooper n’est guère enchanté d’avoir à diriger un joueur noir. Hooper provenait d’un milieu très intolérant du sud des États-Unis, l’état du Mississippi. Il avait dit à Branch Rickey « Croyez-vous que les n***** sont des êtres humains ? » Il se ravisa rapidement, car Robinson sera de loin son meilleur joueur. Les détracteurs espéraient qu’il ne puisse supporter cette pression.
Les Dodgers et Rickey ont préféré faire débuter Robinson à Montréal où l’histoire du racisme envers la communauté noire est moins vive et présente qu’aux États-Unis. Il devra tout de même vivre l’intolérance lors des voyages des Royaux de Montréal aux États-Unis, surtout dans les villes du sud. D’ailleurs lors d’un match des Royaux à Jacksonville, le stade est cadenassé. La police locale ne veut pas laisser l’athlète noir participer au match. Le caractère de Robinson a été mis à l’épreuve lors de cette saison. Les incidents racistes dans les villes américaines seront fréquents : chambres d’hôtels refusées, insultes racistes, menaces de mort…
Rhéaume Brisebois secrétaire des Royaux se rappelle qu’il accompagnait les joueurs blancs à l’hôtel puis les joueurs noirs ensuite dans des hôtels de seconde classe situés hors des villes. Lorsqu’ils étaient de retour à Montréal, le couple Robinson retrouvait un havre de paix dans leur appartement de l’avenue Gaspé dans un quartier blanc francophone et catholique alors qu’ils étaient noirs anglophones et protestants!
À sa première saison avec les Dodgers en 1947, il remporte le titre de la recrue de l’année. Jackie Robinson a joué 10 saisons avec les Dodgers de Brooklyn. Il sera intronisé au Temple de la renommée du baseball majeur en 1962. Robinson s’impliquera par la suite dans la défense des droits civiques aux États-Unis. Il décède en 1972. Le baseball majeur retire le numéro 42 de Jackie Robinson en 1997. Plus aucun joueur ne pourra endosser ce numéro. Une statue à son effigie est érigée sur le site de l’ancien stade De Lorimier à l’angle des rues Ontario et De Lorimier en 1986. Elle est l’œuvre de l’artiste Jules Lasalle. Ce monument nous rappelle le moment de l’arrivée du premier joueur noir dans le baseball professionnel. Cette statue, qui représente Robinson offrant une balle à deux garçons, sera déplacée au Stade olympique sur la rue Pierre-de-Coubertin. Il s’agit d’une métaphore de l’admiration envers ce grand athlète et de l’humanisme qui l’habitait. Elle nous rappelle la place du baseball dans l’histoire de Montréal et symbolise le vivre ensemble en harmonie. D’ailleurs, la devise de Montréal n’est-elle pas « Concordia Salus », le salut par la concorde?