Photo : Ville de Montréal/Revitalisation du Vieux-P.A.T.

VIEUX POINTE-AUX-TREMBLES : LA REVITALISATION MISE À L’ÉPREUVE

Revitaliser le cœur du Vieux Pointe-aux-Trembles sera plus complexe que prévu. Du moins, le promoteur immobilier à l’origine du projet devra s’armer de patience, puisque celui-ci sera soumis à un processus d’approbation référendaire.

« On a déjà pris trois mois de retard sur le calendrier à cause de la demande de référendum », se désole Christian Yaccarini, président et chef de la direction de la Société de développement Angus (SDA). L’entreprise d’économie sociale est conceptrice du projet qui vise la démolition de neuf bâtiments dans le quadrilatère à l’angle du boulevard Saint-Jean-Baptiste et de la rue Notre-Dame afin d’ériger des immeubles plus densifiés. Les édifices construits à cet endroit et devraient voir le jour dès l’automne 2024 et incluraient 10 espaces commerciaux, 60 copropriétés en mode cohabitat et 45 logements locatifs abordables. Or, le président de la SDA déplore que la procédure administrative en place retarde les travaux. « Ce projet, on l’a bâti en collaboration complète avec l’arrondissement et le comité consultatif d’urbanisme. On a fait des présentations et des consultations et on sentait avoir l’approbation du milieu », insiste-t-il.

Quoi qu’il en soit, des citoyens ont déposé une demande d’ouverture de registre référendaire dans le cadre des deux Projets particuliers de construction, de modification ou d’occupation d’un immeuble (PPCMOI) prévus pour les bâtiments planifiés. Le 6 septembre prochain, si ces citoyens ont obtenu 12 signatures de la part de résidents du secteur voulant l’ouverture d’un registre référendaire, le processus sera enclenché par l’arrondissement. Par la suite, si le registre obtient assez de signatures (le nombre requis est à confirmer), un référendum sur le projet en soi serait organisé.

Christian Yaccarini, président et chef de la direction de la Société de développement Angus (photo courtoisie SDA).

L’aboutissement de ce processus serait une « catastrophe » pour le projet, entrevoit M. Yaccarini, qui affirme que son élaboration a déjà été très onéreuse pour la SDA. « On ne peut pas réduire la hauteur des bâtiments, ça serait impossible de livrer le projet. Théoriquement, moins d’étages signifierait une augmentation des loyers, ce qui ne concordera plus avec le marché locatif de Pointe-aux-Trembles », affirme celui-ci. La SDA planifie d’y offrir des logements abordables de 2 chambres à coucher à partir de 850$ par mois.

Il y a toutefois très peu de chances qu’un référendum sur le sujet aboutisse, selon l’ex-maire de Rosemont – La Petite-Patrie, François W. Croteau. « Un arrondissement ne va jamais tenir un référendum, parce que ça coûte beaucoup trop cher, et l’administration sait qu’elle va perdre la proposition mise de l’avant, étant donné que le nombre de signatures requis est atteint. Donc, l’arrondissement sera porté à retirer le projet de règlement », explique le détenteur d’un doctorat en études urbaines sur la gouvernance urbaine et la gestion des parties prenantes.

Dérogations

Donner naissance à un projet immobilier innovant n’est jamais une mince affaire, surtout quand celui-ci déroge au plan d’urbanisme d’une ville ou d’un arrondissement. Il faut souvent se plier au Programme particulier d’urbanisme (PPU) local, qui vise parfois des zones dont on veut préserver des aspects architecturaux ou de densités spécifiques.

Dans le cas du projet de la SDA, des dérogations à la hauteur des bâtiments sont nécessaires, car celle-ci est limitée à 2 ou 3 étages dans le secteur, tandis qu’un des édifices projetés atteindrait 6 étages.

Image courtoisie SDA.

C’est d’ailleurs là où le bât blesse pour les opposants au projet. « L’arrondissement a donné l’approbation à un promoteur qui se croit au centre-ville de Montréal. On n’est pas là du tout! », insiste Pierre Bleau, vice-président des Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ). Bien qu’il soit résident de Pointe-aux-Trembles, celui-ci n’habite pas dans la zone visée par le projet. C’est plutôt à titre d’accompagnateur qu’il aide les résidents opposants aux plans de la SDA.

En effet, le nouveau secteur de densité proposé regroupe huit propriétés actuelles, toutes comprises entre le boulevard Saint-Jean-Baptiste et la rue Sainte-Anne. « Il apparaîtra sous cette forme à l’intérieur du nouveau PPU et constituera un secteur de densité unique le long de l’axe de la rue Notre-Dame, dans le Vieux-Pointe-aux-Trembles, explique l’arrondissement de RDP-PAT dans un courriel. Les gabarits des bâtiments institutionnels voisins sont déjà plus importants et les efforts de revitalisation commerciale sont attendus depuis des années [dans ce secteur]. »

Quant aux principales dérogations prises en charge par les PPCMOI en processus d’adoption, elles concernent la hauteur des bâtiments en étages et en mètres, le taux d’implantation au sol, les marges de recul ainsi que le nombre de logements par terrain. « À noter que les deux PPCMOI proposent également des conditions strictes de réalisation ainsi que des critères d’encadrement architectural, patrimonial et paysager afin d’optimiser l’intégration et l’appréciation de ces deux immeubles au cœur du Vieux-Pointe-aux-Trembles », insiste l’arrondissement.

Pourtant, selon un billet publié sur le site de l’APMAQ, les orientations présentées par l’arrondissement dans le cadre de son PPU ne sont pas considérées pour l’intégration du projet de la SDA. « Pourquoi ne pas attendre l’adoption du nouveau PPU pour que les projets de redéveloppement y soient conformes et, conséquemment, étudiés selon la vision des citoyens? », plaide l’association.

Préservation du patrimoine

Images courtoisie SDA.

Pour M. Bleau, il y a aussi une question de conservation du patrimoine bâti qui est en jeu dans ce dossier. Ce dernier cite des recommandations faites par le Conseil du patrimoine de Montréal et le Comité Jacques-Viger, deux instances qui jouent un rôle consultatif auprès des arrondissements. Dans un avis publié en avril dernier, les deux organisations ont fait sept recommandations, dont certaines portent sur la valeur patrimoniale des édifices situés dans la zone visée par le projet. Entre autres, on suggère de « prendre en compte la valeur patrimoniale et le caractère villageois du lieu, notamment en matière de découpage parcellaire, avec l’implantation d’immeubles de gabarits et de matériaux différents, afin de mieux ancrer le projet dans son contexte » et de « diminuer la hauteur des bâtiments proposés afin de préserver la primauté des bâtiments institutionnels du Vieux Pointe-aux-Trembles. » Selon M. Bleau, l’arrondissement et son comité consultatif d’urbanisme ont fait la sourde oreille à ces recommandations.

De son côté, Joanne Paiement, présidente de l’Association des commerçants et professionnels du Vieux Pointe-aux-Trembles, croit qu’il s’agit d’un faux enjeu. « Il n’y a rien de patrimonial dans les édifices qui seront détruits. Leur toiture coule, ils sont dans un piètre état », déclare-t-elle. Même son de cloche de la part du directeur général du Centre communautaire Roussin, Daniel Gratton, dont l’édifice se trouve à deux pas du secteur visé. « Les maisons qui vont être remplacées n’ont pas été bien entretenues depuis des années. Quand je regarde l’ancien bâtiment de Équipements de restaurants de l’est par exemple, je ne vois pas grand-chose de très patrimonial là-dedans », insiste ce dernier.

Ceux-ci se disent vivement en faveur du projet de la SDA, parce qu’il apporterait une densification et de nouveaux résidents dans le quartier, ce qui engendrera une revitalisation des activités commerciales et communautaires à leur avis. « Pour moi, le Vieux Pointe-aux-Trembles, c’est un dortoir en ce moment. Moi je veux que ça devienne la pouponnière de demain », indique Mme Paiement.

Un débat de philosophies

Selon M. Croteau, bien qu’il soit contraignant, le processus d’approbation référendaire demeure essentiel à la démocratie des villes et arrondissements. « La question est de savoir si la réglementation en place est adaptée au type de développement que les citoyens veulent voir sur leur territoire. Il y a déjà eu un débat sur la nécessité de l’approbation référendaire et il y a eu un consensus pour préserver ce processus de rempart démocratique à la population. Moi, je serais très inquiet qu’on enlève ce pouvoir aux citoyens », indique l’ancien homme politique. Ce dernier plaide pour que l’on adopte des réglementations qui faciliteraient plutôt l’adoption de projets innovants sur les territoires urbains.

François W. Croteau (photo : EMM).

De plus, celui-ci affirme que le débat sur la densification des quartiers oppose souvent des visions très différentes chez les citoyens, ce qui peut ralentir certains projets. « Il y a des gens qui sont pour une très forte densification, tandis que d’autres sont pour une densification plus douce. Selon mon expérience, les citoyens qui se trouvent dans les quartiers qui ne sont pas centraux sont très rébarbatifs face à une forte densité. On parle alors de quartiers dans lesquels on voit du 3 ou 4 étages, et souvent les citoyens, lorsqu’ils voient arriver des projets de 10 étages, comme ce fut le cas des citoyens aux alentours du parc du Pélican dans Rosemont, ils vont se trouver en opposition. »

Tout projet de densification doit se faire selon le contexte local, soutient M. Croteau. « Les deux quartiers les plus densifiés au Canada sont le Plateau et La Petite-Patrie, avec environ 13 000 habitants au kilomètre carré, alors que la majeure partie des édifices ont une hauteur limitée à 2 ou 3 étages. Donc, aujourd’hui on ne peut plus développer sur de nouveaux terrains, il n’y en reste plus, il faut alors avoir un débat sur quelle forme de densité on veut adopter dans ces quartiers », conclut M. Croteau.